Il faudra que les deux «impétrants» se dépassent, a dit en substance Arnaud Montebourg, qui était interrogé pour savoir de qui il se sentait le plus proche, ou vers qui il souhaitait porter ses suffrages, en vue du second tour de la primaire socialiste.
Cette adresse provoque aussitôt un sentiment ambivalent: on se dit d’abord qu’il a raison, car tout vainqueur d’une élection présidentielle est évidemment celui ou celle qui est capable de se dépasser, de se porter donc à la hauteur de la fonction; on se dit aussi que les socialistes sont dans une situation bien étrange, où leur sort paraît suspendu aux propos, souvent emphatiques, d’un apprenti leader qui ne pèse, après tout, que moins de 17% des suffrages.
Le malaise s’accroît lorsque l’on regarde le corps électoral. Il faut commencer par saluer le succès incontestable de cette primaire, qui a rassemblé plus de deux millions et demi de votants, et qui a permis d’ouvrir, devant les Français, un débat d’autant plus nécessaire que, pendant que la crise se déroule implacablement, le pouvoir s’abstient de toute pédagogie.
Mais il faut aussi constater que la nature même du corps électoral a conduit le Parti socialiste et ses leaders à se décentrer vers des positions que l’on dit «de gauche», mais qui sont surtout sommaires et qui peuvent présenter, pour celui ou celle qui les représentera, un solide handicap lorsqu’il faudra affronter Nicolas Sarkozy.
Tout laisse penser en effet que de solides bataillons venus du Front de gauche qui, à la présidentielle, voteront pour Jean-Luc Mélenchon, se sont portés, lors de la primaire, vers Arnaud Montebourg.
En l’absence d’analyses précises et objectives, il est évidemment difficile d’évaluer avec précision le poids de ce mécanisme, qui était l’un des risques de cette primaire. Mais ces phénomènes ont existé et devraient inciter les deux candidats à rester prudents dans l’énoncé de leurs inévitables concessions à celui qui fait figure d’arbitre du scrutin et qui s’est abusivement présenté lui-même comme «placé aux portes du deuxième tour».
Placé, il l’est certainement désormais pour l’avenir et cette ambition risque de ne pas être le moindre des problèmes que devra affronter le, ou la, vainqueur.
François Hollande a sans doute raison d’avoir interprété le message contenu dans le score d’Arnaud Montebourg comme une demande de «renouvellement». C’est l’aspect le plus positif de la démarche de celui qui s’est singularisé par le combat mené pour la moralisation de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. Et, lorsqu’il prône une sixième République, en mettant en avant sa propre démarche entre les deux tours –écrire aux deux «impétrants» et publier les échanges– on ne peut manquer d’évoquer plutôt la quatrième République, qui se caractérisait par le rôle démesuré joué par des petits partis charnières dont les voix étaient nécessaires pour gouverner, qui faisaient et défaisaient les gouvernements.
Il est vrai que le maître absolu de ces manœuvres fut, pendant cette période-là, François Mitterrand! Il serait plus hasardeux de le suivre sur ses autres terrains de prédilection. Il veut une protection européenne, qui existe déjà à travers une politique commerciale commune, et qui est aujourd’hui brandi par les Etats-Unis conte la Chine. Elle porte en germe une vraie guerre commerciale qui pourrait être autrement plus dévastatrice que les adaptations que nous avons devant nous.
Et pourquoi ne pas prêter attention aux propos de Karel De Gught, commissaire européen au commerce, qui rappelle opportunément que deux tiers de ce que l’Europe importe de Chine sont réexportés et que deux tiers de ces deux tiers sont produits en Chine par des entreprises européennes. Prudence donc.
De même lorsqu’il s’agit du «capitalisme coopératif»: mais la France n’est-elle pas déjà pionnière dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, qu’il faut développer mais qui, lorsqu’elle réussit, se comporte comme tout un chacun dans une économie de marché (voir le réseau du Crédit mutuel ou celui du Crédit agricole)…
Quant à la pression qu’il faut exercer sur les banques, n’est-ce pas simplement la position de Laurent Fabius qu’il faut adopter en préférant à des fonds publics un effort propre des actionnaires de ces mêmes banques, en vue de leur recapitalisation? Cela a été fait aux Etats-Unis mais les actionnaires français de nos grandes banques s’y refusent. Etc.
L’essentiel sera bien sûr le débat télévisé qui va opposer mercredi Martine Aubry à François Hollande, parce que l’autre leçon qui a surgit de cette primaire est que ce sont largement les débats télévisés qui ont façonné l’opinion. Ce sont eux qui ont donné une hiérarchie conduisant à l’élimination sans gloire de Ségolène Royal et à la position qu’occupe Arnaud Montebourg.
Ce sont eux aussi qui ont permis à François Hollande de s’imposer avec une avance de 9 points. Et c’est sans doute de ce face-à-face que viendra la différence et le résultat d’un tournoi qui sera, de toutes façons, serré. Or, dans la dernière période, François Hollande a sans doute eu le tort de ne pas répondre aux attaques frontales de Martine Aubry, et notamment à celle-ci: «Face à une droite dure, il ne faut pas une gauche molle.»
Ainsi aurait-il pu faire valoir que la reddition sans condition et sans contrepartie de Martine Aubry au mot d’ordre des écologistes, sortir du nucléaire, n’était certes pas à ranger au chapitre de ce que l’on peut attendre d’un homme ou d’une femme d’Etat. Là où, au contraire, François Hollande pouvait se prévaloir d’une position plus conforme à ce que pourra être la réalité française, à savoir sortir du tout nucléaire. On l’a vu, au soir du premier tour: François Hollande est resté sur une posture présidentielle, celui qui parle au pays et non au parti.
Son succès éventuel dépendra donc de la composition du corps électoral du second tour. S’il reste en l’état, Martine Aubry qui, dans son discours, a constamment cherché à caractériser de façon négative son vis-à-vis, aura plus de chances d’être entendue.
Jean-Marie Colombani