Culture

Nettoyons aussi la littérature de toute trace de violence

Temps de lecture : 6 min

Après tout, il n'y a pas que dans le rap qu'existe l'apologie du meurtre.

Charles Pierre Baudelaire DR
Charles Pierre Baudelaire DR

Depuis quelques temps, une poignée de courageux résistants se sont lancés dans une entreprise de salut public: éradiquer les textes abominables des rappeurs (1). Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin? La «mal pensance» est partout, rongeant notre pays depuis bien trop longtemps. Pour faire suite à cette belle initiative, nous proposons donc de nettoyer définitivement le patrimoine littéraire français de toute trace de violence, de se lancer une purge de grande ampleur. Il est grand temps d'épurer les pages des manuels littéraires et autres anthologies de soit disant auteurs dont la plume n'a eu de cesse de faire l'apologie du meurtre.

C'est dans ce sain état d'esprit que nous demandons immédiatement des poursuites judiciaires bien que posthumes contre les individus ci-après nommés:

André Breton en tant que chef de file, ou pape, d'une «bande» de potentiels assassins. Au rang desquels on trouve Jacques Rigaut qui écrivit avec une véritable délectation du mal:

«Quel éclat de rire en voyant le visage de ma maîtresse, qui s'attendait à une caresse, s'épouvanter quand je l'eus frappée de mon coup de poing américain, et son corps s'abattre quelques pas plus loin.»

De même Louis Aragon, auteur en 1932 du poème Front Rouge dans lequel il n'appelle à rien de moins qu'à l'assassinat des policiers.

«Pliez les réverbères comme des fétus de pailles

Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace

Descendez les flics

Camarades

descendez les flics

Plus loin plus loin vers l'ouest où dorment

les enfants riches et les putains de première classe

Dépasse la Madeleine Prolétariat

Que ta fureur balaye l'Élysée

Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine

Un jour tu feras sauter l'Arc de triomphe

Prolétariat connais ta force

connais ta force et déchaîne-la.»

M. Breton s'est lui-même rendu coupable d'incitation au meurtre dans le Second manifeste du surréalisme dont est extraite la phrase suivante :

«L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tout ce qu'on peut dans la foule.»

Charles Baudelaire pour son ouvrage si justement intitulé les Fleurs du mal et particulièrement pour les «poèmes» Le Vin de l'assassin:

«ma femme est morte, je suis libre !

Je puis boire tout mon soûl.

Lorsque je rentrai sans un sou

Ses cris me déchiraient la fibre.
[...] /Je l'ai jetée au fond d'un puits,

Et j'ai même poussé sur elle

Tous les pavés de la margelle. [...]

Ecraser ma tête coupable,

Ou me couper par le milieu,

Je m'en moque comme de Dieu,

Du Diable et de la Sainte Table!»

et le poème L'HEAUTONTIMOROUMENOS qui est une incitation fort explicite à la violence contre les femmes et pourtant étudié chaque jour dans des établissements scolaires.

«Je te frapperai sans colère

Et sans haine, comme un boucher,

comme Moïse le rocher!

Et je ferai de ta paupière

Pour abreuver mon Sahara

Jaillir les eaux de la souffrance

Mon désir gonflé d'espérance

sur tes pleurs salés nagera».

Thomas de Quincey pour «De l'assassinat considéré comme un des beaux-arts», un titre plus que suggestif dont nous vous livrons ici un seul extrait pour que vous puissiez juger de son immoralité :

«Le but final de l'assassinat considéré comme un art est en effet précisément le même que celui de la tragédie selon Aristote, c'est-à-dire de 'purifier le coeur au moyen de la pitié ou de la terreur'.»

La bande du cabaret Le Chat noir. Dont nous distinguerons particulièrement l'infréquentable Alphonse Allais, pour le poème hydrocéphale, «Prompte réparation d'une erreur»:

«Devenu le mari d'une exécrable rosse,

Il la tua dès le réveil,

Au lendemain de son absurde noce.

La nuit porte conseil.»

Ainsi que son complice Charles Cros pour son poème «Aux Imbéciles» (sans que nous nous sentions évidemment visés personnellement)

«Donc, gens bien assis,

Exempts de soucis,

Méfiez-vous du poète,

Qui peut, ayant faim,

Vous mettre, à la fin,

Quelques balles dans la tête.»

André Gide pour «Les Caves du Vatican», roman dans lequel le héros Lafcadio commet un meurtre gratuit. Pas un assassinat par goût du sang ou des sensations fortes, juste un crime pour rien, pour tester la possibilité d'agir sans aucun motif particulier — ce qui est, à n'en pas douter, la pire incitation à la violence.

La comtesse de Ségur pour la description de scènes d'une violence insoutenable comme celle-ci, extraite de cet ouvrage honteux que sont «Les Petites filles modèles»:

«Et avant que personne ait eu le temps de s'y opposer, elle tira de dessous son châle une forte verge, s'élança sur Sophie et la fouetta à coups redoublés, malgré les cris de la pauvre petite. [...] Elle ne cessa de frapper que lorsque la verge se brisa entre ses mains.» Il n'est pas inutile de rappeler, pour souligner le sadisme de cette scène, que la pauvre Sophie est alors âgée de seulement six ans.

Isidore Ducasse alias Lautréamont qui parle lui-même des «marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison» et dont la mise en garde liminaire ne nous semble pas suffisante (au même titre que le parental advisory sur les albums de rap) : «Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger.» L'individu en question avoue lui-même :

«Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté!» et jouit très évidemment des abominables tortures qu'il se complait à décrire tout au long des six chants de Maldoror. «On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh! comme il est doux d'arracher brutalement de son lit un enfant qui n'a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très ouverts, de faire semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arrière ses beaux cheveux! Puis, tout à coup, au moment où il s'y attend le moins, d'enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu'il ne meure pas; car, s'il mourait, on n'aurait pas plus tard l'aspect de ses misères. Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures; et, pendant ce temps, qui devrait durer autant que l'éternité dure, l'enfant pleure. Rien n'est si bon que son sang, extrait comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel.»

Donatien Alphonse François, marquis de Sade, pour l'ensemble de son œuvre et particulièrement: incitation au meurtre, au crime, au viol, à l'inceste, à la pédophilie, à la torture, à la barbarie, au vampirisme, à la gérontophilie, à la scatophilie, à l'ondinisme, au cannibalisme, à la zoophilie, à la vivisection humaine, au parricide, à l'infanticide. La bienséance nous interdit évidemment de citer ici les passages incriminés, on se contentera donc d'une exclamation tirée de la trentième journée des «120 jours de Sodome»:

«Voilà bien des façons, pour prostituer une femme et une fille! dit Curval. Comme si ces garces-là étaient faites pour autre chose! Ne sont-elles pas nées pour nos plaisirs, et, de ce moment-là, ne doivent-elles pas les satisfaire n'importe comment?»

Guillaume Apollinaire pour le roman les Onze mille verges ou les amours d'un Hospodar, dans lequel, rappelons-le, des femmes, des hommes et même un bébé sont violés sans parler des cadavres souillés par l'impure semence.

Cette liste est évidemment non exhaustive tant les «belles lettres» ont régulièrement été le réceptacle de la violence des auteurs. Cependant on ne peut que se féliciter qu'à chaque époque, les esprits sages aient su pointer l'abomination de ces textes qui, tous, firent scandale à un moment ou un autre, parfois longtemps après leur publication. Ainsi de la comtesse de Ségur dont les romans, dans les années 70, furent jugés trop violents et donc traumatisants pour les enfants. Suite à la parution de Front Rouge, Aragon fut inculpé pour «incitation de militaires à la désobéissance» et «provocation au meurtre». Malheureusement, ses amis surréalistes lancèrent une pétition pour l'arrêt de la procédure judiciaire.

Charles Baudelaire fut jugé coupable d'outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, certains poèmes des Fleurs du mal furent interdits de publication et il dût s'acquitter d'une amende. Apollinaire eut la prudence de ne pas signer le manuscrit des Onze mille verges. De même les Chants de Maldoror parurent sous le nom du comte de Lautréamont et, de surcroît, ne connurent qu'un succès posthume.

Quant à Sade, ses premières condamnations furent antérieures à son œuvre et concernaient son mode de vie et ses pratiques sexuelles.

(1) Ces textes sont évidemment, comme tout texte littéraire, à prendre au premier degré.

Image de une: Charles Pierre Baudelaire DR

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