Quoi de neuf sur la guerre, sur la façon de la raconter? Comme chaque année, tout le gratin des reporters s'est réuni à Bayeux, dans le Calvados, pour découvrir et discuter des nouveautés du moment dans le cadre du festival des correspondants de guerre.
Cette année, les nouvelles technologies ont envahi la scène et suscité le débat. Le récit des conflits pourrait entrer dans une nouvelle ère, plus réaliste et plus interactive que jamais. La guerre comme si vous y étiez, c'est peut-être bien pour demain.
Encore plus beau que du faux
C'est le film de la semaine aux Etats-Unis. Si le corps du sergent Harris est bien rentré, son esprit est toujours en Afghanistan. Hanté par les flashbacks, le Marines tente d'échapper à ses tourments avec l'aide de sa femme. Du grand Hollywood. Sauf que cette fois-ci, ce n'est pas de la fiction.
Hell and back again a été intégralement tourné au pays de l'insolence. Le réalisateur, Danfung Dennis, y a passé plusieurs mois à filmer avec un appareil photo. Le résultat est époustouflant: les images sont si lisses et épurées que l'on atteint un niveau de réalisme inégalé. A Bayeux, le public s'interroge justement: n'est-ce pas un peu trop?
«L'idée, c'est de rapprocher les gens vraiment le plus possible de la réalité de la guerre. J'essaie de réinventer le langage visuel. Ça veut dire utiliser les nouvelles technologies tout en gardant présent à l'esprit le travail de photojournaliste avec tout ce que ça implique d'éthique. Il ne faut pas déformer ce qui se passe.»
Des documentaires plus beaux que des fictions, c'est peut-être un moyen de capter l'attention du public. Hell and back again, dont les extraits ont été récompensés à Bayeux l'année dernière, a été accueilli par une critique unanime outre-Atlantique.
Toute une génération de reporters de guerre est en train de se pencher sur cette nouvelle technique malgré les hésitations des diffuseurs, notamment en télévision, qui ne sont pas encore capables d'offrir au grand public des contenus d'une telle qualité.
Reste que quelques puristes voient un réel danger dans cette approche très «spectacle» du reportage de guerre. Le célèbre photoreporter Stanley Greene, un vétéran passé par le Cachemire, la Tchétchénie, l'Afghanistan ou encore le Liban, voit les choses autrement:
«Ça devient du jeu vidéo. L'instinct, le regard du journaliste est important. Lui perçoit l'horreur. Lorsque je regarde une photo, je veux voir le grain, je veux voir l'imperfection. A trop rechercher la perfection technique, on oublie l'essentiel.»
La machine est pourtant bien lancée et la plupart des journalistes sont séduits par cette avancée technique. Plusieurs anciens se sont réunis autour de Danfung Dennis pour fonder une petite start-up, Condition 1, qui doit développer une série de projets pour tablettes.
Le spectateur peut alors interagir avec l'image en choisissant lui-même le point de vue. Une démonstration circule, tournée par le journaliste Patrick Chauvel avec un objectif grand angle.
Sur ce type d'objets, le journaliste pourrait gagner en objectivité, mettant son propre regard en retrait et laissant au spectateur toute liberté en la matière. «C'est comme si les gens venaient avec moi en reportage», commente Patrick Chauvel.
Reporters catégorie poids plume
Après plus de 40 ans à couvrir les régions les plus violentes de notre monde, la légende du reportage de guerre découvre avec les nouveaux matériels utilisés l'accès à une liberté toute nouvelle. «Comme l'appareil est petit et que j'ai un écran, j'ai une vraie discussion», explique-t-il. L'utilisation d'appareils photo pour tourner reportages et documentaires permet de gagner en légèreté et en discrétion. Terminé les grosses caméras et leurs pieds encombrants, le réalisateur de Hell and back again a ainsi pu tourner avec en tout et pour tout un appareil photo, deux micros, un gilet par balle et un casque.
Seule ombre au tableau, s'il faut en trouver une, les journalistes doivent casser leurs réflexes de photographes et de vidéastes pour en créer de nouveaux.
Patrick Chauvel décrit cette manière de filmer comme la réalisation de «photos avec des gens qui s'agitent à l'intérieur, qui d'un seul coup s'arrêtent, (me) parlent, crient». Danfung Dennis a dû pratiquer et expérimenter pendant plusieurs mois pour trouver la combinaison optimale d'accessoires. Il confirme une grande difficulté lors des mouvements qui demandent beaucoup d'adresse:
«Quand il fallait courir, je ne pouvais plus tâtonner. J'essayais de me maintenir à distance égale de mon sujet pour conserver la netteté.»
Une page Facebook. REUTERS/Mal Langsdon
Internet comme source d'information
L'année a aussi été marquée par le vent de liberté qui a soufflé sur l'Afrique du nord et le monde arabe. Lors des manifestations qui ont agité la Tunisie, l'Egypte, la Libye ou encore la Syrie, les médias sociaux ont été en première ligne.
Malgré l'engouement des rédactions occidentales, il reste difficile d'évaluer leur rôle réel, qui a certainement été surévalué. Le blogueur tunisien Sofiane Ben Haj remarque pourtant une vraie diffusion dans l'usage d'Internet:
«En Tunisie, un abonnement est immédiatement ouvert à tous les voisins, (…) dans une famille, quand un jeune trouve une information sur Facebook, il la montre à toute la maison.»
C'est là que survient la véritable nouveauté dans la manière de couvrir ces conflits. Les images captées par les militants pour dénoncer les répressions alors que les journalistes étrangers sont absents circulent sur Internet et deviennent des emblèmes de la révolution.
«Comment utiliser des images qu'on n’a pas vérifiées?, s'interroge un présentateur de la chaîne Al Jazira. On prend le risque.» Des spécialistes de ces régions essaient de vérifier la crédibilité des lieux et des faits. Des erreurs ont été commises, des images d’Irak étant présentées comme venant du Yémen. Patrick Baz, journaliste à l'AFP, s'amuse de la réactivité des manifestants pour résoudre ces problèmes:
«Nous sommes esclaves de ces images (…) On leur explique comment filmer, on réclame les 5W [règle de journalisme qui exige de connaître le lieu, l'acteur, la date, la raison, l'objet –where, who, when, why, what] et eux se sont mis à afficher ces infos sur des panneaux ou simplement sur leurs mains.»
Un enthousiasme et un amateurisme qui ne représenteraient pas une menace pour les journalistes. Les reporters témoignent tous de l'accueil réservé aux étrangers lorsqu'ils arrivent pour couvrir ces événements. Patrick Chauvel insiste sur la différence entre ces témoins de métier, attachés à la prise de recul, et des Syriens qui «filment et racontent leur guerre». Pour lui, ces images restent un «appel au secours» qui permet d'alerter les médias indépendants.
En attendant de pouvoir être immergé au cœur des révolutions et des guerres, le spectateur a pu découvrir la nouvelle catégorie du festival: multimédia. Une série fourre-tout dans laquelle se sont retrouvées des expérimentations narratives. C'est une application iPad sur les viols au Congo qui a été récompensée. Le président du jury, le journaliste de l'agence AP Mort Rosemblum, fasciné par le travail de toute une nouvelle génération de reporters, en conclut que «si les outils changent, ça reste des histoires de guerre».
Romain Mielcarek