Culture

Comment le «mademoiselle» est devenu ringard aux Etats-Unis et au Québec

Temps de lecture : 6 min

La suppression du terme dans les documents administratifs avait reçu le même accueil qu'en France avant de finir par s'imposer facilement.

A Rio en 2007. REUTERS/Jorge Silva
A Rio en 2007. REUTERS/Jorge Silva

Le terme «Mademoiselle» devrait disparaître des formulaires administratifs français, selon une circulaire datée du 21 février 2012. En septembre, les associations Osez le Féminisme et Les Chiennes de garde avaient milité pour cette disparition.

Le 16 février, déjà, la ville de Fontenay-sous-Bois avait annoncé qu'elle avait banni de ses formulaires la mention «Mademoiselle», faisant ainsi figure de précurseur.

La circulaire du 21 février précise, selon l'AFP, que les formulaires déjà imprimés pourront toutefois être utilisés «jusqu'à épuisement des stocks».(1)

La campagne pour l'élimination de la case Mademoiselle dans les formulaires officiels et administratifs divise. Beaucoup reprochent aux féministes de les importuner avec un débat insignifiant. Une des réactions type consiste à faire la liste des problèmes plus graves que cette histoire de vocabulaire: En attendant, les femmes ne peuvent toujours pas conduire en Arabie Saoudite, etc…

Certes, mais le débat est tout de même digne d’attention. Tout d’abord, une femme devrait pouvoir symboliquement se définir en dehors de son rapport aux hommes. Deuxièmement, la distinction Madame/Mademoiselle est de moins en moins apte à décrire la réalité actuelle.

Pourquoi est-ce que les journaux parlent de «Mlle Banon», mais de «Mme Royal», alors que Ségolène n'est pas plus mariée que Tristane? Certes, l’ancienne candidate à la primaire socialiste est plus âgée, mais à 32 ans et quand on a publié plusieurs livres, pourquoi ne serait-on pas appelée Madame? Peut-on dire Mademoiselle à une jeune avocate ou professeur sans que cela ne diminue son autorité? Les femmes homosexuelles doivent-elles s’abonner à vie à la case mademoiselle? Dans un pays où beaucoup de femmes vivent en couple sans se marier, ou se marient sans prendre le nom de leur époux, la distinction Mme/Mlle est devenue floue, un mélange de statut marital, âge, apparence physique et pouvoir.

Depuis les années 1970, de nombreux pays ont fait sauter l'alternative, jugée anachronique. Les équivalents de Mademoiselle sont soit tombés en désuétude, soit été retirés des formulaires au Danemark, au Canada, aux Etats-Unis, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre et en Italie. Signorina et Señorita sont passés de mode, dans deux pays où les gens s’appellent très vite par leur prénom. Le Fraülein a disparu de la paperasse officielle, et le Mademoiselle danois est quelque peu ridicule. «Si on m’appelait Frøken, je croirais qu’on se moque de moi», explique une journaliste danoise dont l’apparence la cataloguerait en France comme une Mademoiselle.

Origines du Ms. américain

Lorsque les féministes américaines ont tenté d'introduire le titre neutre Ms (prononcé Mizz) au début des années 1970, la réaction a été similaire à ce qui se passe actuellement en France: on s’en fiche, il vaut mieux se concentrer sur l'essentiel. Mais au bout du compte, quelques acharnées et le magazine féministe «Ms» (écrit pour une femme indépendante qui veut lire autre chose que des recettes et des conseils beauté) ont permis d'imposer une alternative qui s'est rapidement exportée au Canada et en Angleterre.

«A l'époque, je n'insistais pas pour qu'on m'appelle Ms. je ne voulais pas avoir l'air hostile», explique Gail Collins, éditorialiste au New York Times qui a écrit un livre sur les mouvements féministes. «Les femmes qui défendaient quotidiennement le Ms étaient très courageuses.»

Le terme n’a pas été inventé par des militantes, il existait déjà pour des raisons pratiques. Les manuels de secrétariat des années 1950 expliquaient que Ms était acceptable dans une lettre si on ne connaissait pas le statut marital d’une personne. Quelques années plus tard, les Américaines se sont réappropriées le mot.

C’était une époque où les reporters du New York Times devaient systématiquement demander à leurs sources féminines si elles étaient mariées. En effet, à la deuxième occurrence du nom «Jane Smith» dans un article, il fallait continuer avec soit Mme Smith ou Mlle Smith. «Certaines femmes étaient offensées par cette question...et puis, nous ne demandions pas ça aux hommes!», se souvient Gail Collins. Dans les années 1970, de nombreuses journalistes ont commencé à refuser de jouer le jeu.

En 1972, une représentante de l’Etat de New York tente de faire passer une loi pour rendre le Ms obligatoire dans les formulaires. L’idée est rejetée, mais peu de temps après, certaines agences du gouvernement commencent à inclure l'alternative. Au bout du compte, l'utilisation s’impose grâce à la persistance des femmes. «Ms a été popularisé dans le langage quotidien par des millions de femmes qui ont dû affronter beaucoup de résistance, explique dans un article la fondatrice du magazine Ms Gloria Steinem, et dont les efforts étaient souvent tournés en ridicule».

Au New York Times, c’est un casse-tête de la modernité qui permettra de commencer à convaincre les éditeurs au milieu des années 80. Le problème vient d’une candidate à la vice-présidence mariée qui a gardé son nom de jeune fille. Si on l'appelait Madame (Mrs) Ferraro, on aurait pu la confondre avec sa mère. Deux ans plus tard, en 1986, après le lobbying soutenu d’une ancienne journaliste, la direction cède. C’est une des dernières grandes institutions du pays à faire le pas.

Au Québec, de «madelle» à madame pour tous

Les féministes québécoises s’inspirent du modèle américain, et essaient de trouver un équivalent de Ms. Les néologismes proposés — Mad et Madelle ! — ont été vivement critiqués, et jamais utilisés.

Mais est restée l’idée qu’il fallait un terme qui n’impose pas de distinction entre femmes en fonction de leur statut marital. Rapidement, la solution du Madame pour toutes s’est imposée. «Il n’y a pas eu de résistance, aucun combat» explique Micheline Dumont, une historienne québécoise spécialiste des femmes. La population accepte la quasi disparition de Mademoiselle, avant que le Parti Québécois, arrivé au pouvoir en 1976, ne l’entérine officiellement.

Aujourd’hui, selon l’Office Québécois de la Langue Française, «“mademoiselle” ne s’emploie plus que si on s’adresse à une toute jeune fille, ou à une femme qui tient à se faire appeler ainsi.» Même les religieuses sont appelées Madame au lieu de Ma Sœur. Le terme est donc complètement dissocié de la sexualité et du mariage.

A ces Français qui trouvent le «Mademoiselle» indispensable à un jeu de séduction particulièrement troublant, la journaliste québécoise Marie-Claude Lortie répond:

«C’est peut-être encore utilisé par quelques dragueurs qui veulent dire à une femme qu’elle a l’air jeune. Mais c’est très très très ringard.»

L’avant-garde féministe canadienne est allée plus loin. Depuis 1981 au Québec, les femmes ne peuvent pas prendre le nom de leur mari. C’est illégal, sauf si votre nom est imprononçable ou ridicule.

Ceci dit, l’historienne Micheline Dumont, qui a volontairement repris son nom de jeune fille au moment de la réforme, ne pense que le Québec ait fait fausse route. A propos de la défense du Mademoiselle dans l’hexagone, elle explique: «Ça ne m’étonne pas. Ici, on trouve toujours que la France est un peu en retard sur ces questions-là».

Claire Levenson

(1) Cet article a été initialement publié en octobre 2011, avant donc la circulaire prévoyant la disparition du terme dans les formulaires français. Retourner à l'article

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