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Marc Lièvremont, entraîneur par défaut

Temps de lecture : 4 min

Malgré son intelligence et son caractère attachant, le sélectionneur du XV de France n'y arrive pas. Ni avec ses joueurs aux ego de plus en plus surdimensionnés, ni avec les médias qui relaient un procès en légitimité intenté par d'influents détracteurs dès sa nomination.

Le 2 octobre à Wellington, après la défaite face au Tonga. REUTERS/Jacky Naegele
Le 2 octobre à Wellington, après la défaite face au Tonga. REUTERS/Jacky Naegelen

Les mots très durs employés par Marc Lièvremont à l’égard de ses joueurs toucheront-ils l’orgueil du XV de France? Nous le saurons lors du quart de finale de cette coupe du monde de rugby contre l’Angleterre dont personne ne semble plus rien attendre si ce n’est une sortie de la compétition que l’on souhaite au moins décente. A l’inverse d’un Raymond Domenech, pour lequel il avoue avoir de l’admiration, Marc Lièvremont n’a usé d’aucune langue de bois ni d’aucun cynisme pour décrire la situation actuelle.

Après avoir accueilli la défaite contre Tonga avec des larmes dans les yeux, il a refusé de botter en touche en utilisant un langage de vérité assez saisissant et même cru dans le sillage de ses échanges déjà très francs du collier avec les journalistes français:

«On est dans une société où l'image est importante. J'ai vu des joueurs avec leur agent la veille du match et après le match au lieu de se rassembler. Je sais qu'ils ont une carrière à gérer, une presse peut-être à satisfaire. Le rugby français et les joueurs se sont gaussés des footballeurs l'an passé. Mais d'une certaine manière, on n'est pas descendus du bus. J'avais envie de leur citer ce poème africain, mais bon: "Le chimpanzé, quelle que soit la laideur de son fils, et quelle que soit sa faute grave, ne le laisse jamais tomber par terre." Cela va du staff vers les joueurs, des joueurs vers leurs performances.»

A la dérive, Marc Lièvremont n’est peut-être pas le sélectionneur qu’il fallait à l’équipe de France, mais c’est un homme intelligent et attachant, comme l’avait montré un long documentaire passé sur France 2 au mois d’août. Ses choix tactiques en ont désarçonné plus d’un et continuent de soulever des questions.

Sa communication, longtemps mutique puis devenue baroque, a pu troubler à l’image de ces propos très directs et très vifs de dimanche qui faisaient évidemment écho au fiasco de l’équipe de France de football lors du Mondial en Afrique du Sud, et stigmatisaient aussi le fait que l’individuel, même en rugby, semblait avoir désormais dépassé le collectif en raison des intérêts particuliers de chacun. D’où l’allusion aux «agents» et aux «carrières à gérer».

Tout cela n’explique pas le pauvre jeu de cette équipe de France, même s’il est clair que le sélectionneur paraît avoir été abandonné en rase campagne néo-zélandaise par ses joueurs. Car s’ils avaient été professionnels jusqu’au bout, les Français auraient dû battre les Tonguiens.

Je ne veux pas quitter mon banc

En sport, le rôle d’un entraîneur de très haut niveau, écrasé sous des pressions de toute nature, est aujourd’hui bien difficile. Arsène Wenger, qui a longtemps cru que Fabregas allait rester à Arsenal et qui a été surpris par la demande de Samir Nasri de quitter le club pour Manchester City, paie actuellement pour le savoir malgré ses 15 ans passés à la tête du club. La loyauté et la naïveté ne sont plus forcément de saison.

Il y a quelques jours, de ce point de vue, le football a basculé dans une autre dimension qui doit être la 167e si ce n’est plus. Lors de la rencontre de Ligue des champions qui opposait le Bayern Munich à Manchester City, Carlos Tevez, remplaçant, à qui Roberto Mancini demandait de s’échauffer pour entrer en jeu alors que les Allemands menaient 2-0, a carrément refusé de se lever et fait la grève sur son banc.

L’Argentin, payé quelque 300.000 euros par semaine, qui a perdu son brassard de capitaine et n’a été titularisé que deux fois cette saison, ne se sentait pas en état de jouer! Tevez va devoir quitter Manchester City, ce qui lui fera probablement une belle jambe dans la mesure où son agent lui trouvera probablement un autre employeur pour lui verser les mêmes salaires astronomiques (et même peut-être plus).

Heureusement, le rugby n’en est pas encore là; mais penser à soi avant de penser au groupe, la tentation est de plus en plus là. Pour être le manager d’une telle colonie d’ego et faire le ménage correctement quand cela est nécessaire, il faut avoir une sacrée poigne, une aura incontestable et désirer vraiment être à un tel poste.

Or Marc Lièvremont n’a jamais été candidat à la fonction qu’il occupe aujourd’hui. Sa nomination en 2007, afin de remplacer Bernard Laporte parti dans une certaine odeur de soufre, avait laissé pantois de nombreux observateurs. Le CV de Lièvremont, ancien entraîneur de Dax et de l’équipe de France des moins de 21 ans, n’avait pas convaincu grand monde à part Bernard Lapasset, alors président de la Fédération française de rugby, et Jean-Claude Skrela, le directeur technique national, qui l’avaient choisi.

Essoré

La Ligue nationale de rugby, emmenée par son chef de l’époque, Serge Blanco, avait même voté contre cette nomination ou plutôt contre la méthode –celle d’une désignation en force par la DTN. A l’époque, beaucoup (le milieu) lui auraient préféré Philippe Saint-André qui lui succèdera d’ailleurs à l’issue de cette coupe du monde.

Nombre de ses détracteurs pensent que si Marc Lièvremont craque ainsi publiquement depuis quelques mois, notamment depuis un Italie-France qui vaut bien ce Tonga-France, c’est parce qu’il n’avait rien à faire à ce poste. «On ne devient pas un grand entraîneur en quatre ans», avait pesté Guy Novès, l’entraîneur de Toulouse.

Procès en légitimité également relayé par les médias, d’où ses relations compliquées avec eux. Marc Lièvremont finira cette coupe du monde essoré qu’il la perde (sûrement) ou qu’il la gagne (miraculeusement). Mais d’une certaine manière, au moins pour ceux qui suivent le rugby de plus loin, il aura gagné une forme de respect parce qu’il aura été (trop) authentique. Son émotion et sa colère n’étaient pas feintes ou «surjouées». Au moins là, il était dans le vrai. Nous étions très loin de la comédie de Knysna.

Yannick Cochennec

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