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La schizophrénie des gouvernements

Temps de lecture : 4 min

Comment obtenir de la population qu'elle «garde son sang-froid» tout en l'exhortant «à faire preuve de la plus grande vigilance»?

Un constat: la fièvre ne cesse de monter à l'échelon planétaire. Une question: jusqu'où grimpera-t-elle? Quatre jours seulement après les premières alertes officielles lancées depuis le Mexique une certitude: il est devenu impossible de prendre la mesure exhaustive des conséquences du développement de l'épidémie grippale due à un nouveau virus pathogène jusqu'alors inconnu.

Ainsi apprenait-on successivement, dans la matinée du lundi 27 avril, que la Chine interdisait les importations de porcs et d'aliments d'origine porcine en provenance du Mexique ainsi que du Texas, du Kansas et de Californie ; puis que le Japon avait décidé de renforcer ses contrôles sanitaires aux aéroports ; que les Etats-Unis (vingt cas humains, aucun décès) venaient de décréter «l'état d'urgence sanitaire» ; que la Bourse de Paris (qui avait fait un bond de plus de 3% vendredi 24 avril) était en baisse du fait des craintes d'extension de l'épidémie.

On apprenait encore, les mêmes raisons pouvant produire des effets quelque peu différents, que les actions Sanofi-Aventis étaient à la hausse, comme celles de tous les fabricants de vaccins; et comme celles des sociétés pharmaceutiques (Roche en tête, producteur le l'antiviral Tamiflu). A l'inverse les valeurs des transporteurs aériens et du secteur du tourisme souffraient de très fortes baisses. A la Bourse de Francfort l'action de la première compagnie aérienne allemande Lufthansa plongeait de 12% tandis que la Bourse de Hong Kong clôturait en forte baisse de 2,74%, les courtiers précisant que les investisseurs se montraient fort inquiets face aux risques de «pandémie de grippe porcine».

La Banque mondiale annonçait dans le même temps un crédit immédiat de 25 millions de dollars versé au Mexique tout en acceptant le principe d'un autre (de 180 millions de dollars) à moyen terme.
Et toujours dans la matinée du 27 avril, l'Union européenne apportait une nouvelle fois la démonstration de son incapacité à parler d'une même voix sur des questions aussi essentielles que l'harmonisation des réponses aux menaces sanitaires. La Commission proposait timidement la convocation d'une réunion extraordinaire des ministres de la santé des pays de l'Union. On confiait à Bruxelles qu'Androulla Vassiliou, commissaire européen à la santé, allait tenter d'obtenir de la présidence tchèque de l'Union européenne qu'elle veuille bien organiser une telle réunion «le plus tôt possible».

Toutes ces données surviennent dans un contexte problématique: la situation épidémiologique mexicaine et internationale connaît certes quelques évolutions sans pour autant que l'on puisse les qualifier de majeures. Le bilan officiel des morts recensées au Mexique vient de dépasser le cap de la centaine pour atteindre cent-trois cas. Plus de 1600 cas d'infections ont été identifiés, quatre cents personnes étant toujours hospitalisées. Dans le même temps une série d'alertes (qui sont loin d'être toujours confirmées) laissent penser que -du fait des transports aériens pour l'essentiel- le nouveau virus grippal semble commencer à diffuser dans un nombre croissant de pays.

C'est notamment le cas aux Etats-Unis (huit infections à New York, sept en Californie, deux au Texas, deux au Kansas et une dans l'Ohio), au Canada (quatre cas dans la province de la Nouvelle Ecosse et deux en Colombie-Britannique), en Nouvelle-Zélande (dix cas qui ne sont pas encore confirmés), en Australie, en Israël, en Espagne, en Colombie ou au Brésil. En France une série des cas suspects se sont, pour l'heure, révélés négatifs.

La situation constitue un véritable casse-tête pour les responsables politiques et sanitaires. Ces derniers sont en effet confronté à une problématique de nature schizophrénique: comment obtenir des populations dont ils ont la charge qu'elles gardent leur sang-froid tout en les exhortant à faire preuve de la plus grande vigilance? On vient ainsi de voir le président mexicain Felipe Calderon lancer à la fois, depuis Mexico, un appel au «calme» et au respect des mesures drastiques de prévention (port de masques individuels, arrêt de la pratique des serrements de main et des embrassades, réduction de l'usage des transports, interdiction des grandes réunions collectives etc...). De la même manière l'Organisation mondiale de la santé (OMS), tout en se refusant à modifier le niveau d'alerte et le niveau ad hoc du Règlement sanitaire international ne cesse de mettre en garde la planète contre le «potentiel pandémique» du nouveau virus qui pourrait selon elle continuer à muter et devenir «beaucoup plus dangereux». Et l'OMS de recommander «que tous les pays intensifient leur surveillance de tous les cas inhabituels de maladie ressemblant à une grippe ou à une grave pneumonie».

Ce trait schizophrénique est tout particulièrement apparent en France. Roselyne Bachelot, ministre de la santé, ne cesse ainsi depuis quelques heures de rappeler sur les ondes radiophoniques et les écrans que notre pays dispose de l'une des meilleures organisations au monde de lutte contre la survenue d'une pandémie grippale. Les propos ministériels sont depuis quelques heures sans cesse relayés et légitimés par quelques spécialistes parisiens de virologie et des maladies infectieuses. Pour autant tous, au nom de cette nouvelle clef de voûte inscrite dans la Constitution française dénommée «principe de précaution», en appellent avec le plus grand sérieux et la plus grande solennité à la plus grande vigilance!

Question pratique: comment, sur un tel thème sanitaire, raisonnablement concilier un apparent inconciliable? Cette problématique originale et hautement dérangeante a tout récemment fait l'objet d'un travail qui a fait grand bruit dans les milieux gouvernemeunaux en charge de de la sécurité civile et de la santé publique. Ce travail est signé du sociologue Michel Setbon, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et responsable du Centre de recherches sur le risque et sa régulation au sein de l'Ecole des hautes études en santé publique. Après avoir travaillé sur les affaires du sang contaminé et de la vache folle, il est, depuis un quart de siècle, l'un des meilleurs spécialistes des questions relatives aux crises sanitaires et à leur gestion. Nous en exposerons sous peu l'essentiel et actualiserons au mieux, autant que faire se pourra, cette analyse.

(A suivre)

Jean-Yves Nau

Photo: Des membres de la marine mexicaine distribuent des masques Eliana Aponte / Reuters

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