Économie

Le capitalisme hors la loi, à réformer d’urgence

Temps de lecture : 3 min

Marc Roche, journaliste spécialisé dans la finance, livre une analyse intéressante de la situation de crise que nous vivons.

Un trader à la Bourse de Frankfort, le 29 septembre 2011. REUTERS/Remote/Pawel Kopczynski
Un trader à la Bourse de Frankfort, le 29 septembre 2011. REUTERS/Remote/Pawel Kopczynski

Au théâtre d’ombres de la haute finance, on mise et on risque chaque jour. Sur les titres des dettes souveraines, l’or, les matières premières, des sociétés ou des indices. On y gagne des fortunes, on y perd aussi des sommes colossales.

Mais, et c’est plus grave, on y met parfois à risque l’ensemble de l’économie mondiale. Marc Roche, journaliste spécialisé dans la finance basé à Londres pour Le Monde, le démontre dans son nouveau livre, Le capitalisme hors la loi.

Au moment où les économies se débattent avec un nouvel avatar de la crise, son ouvrage jette une lumière aveuglante sur les métamorphoses de la finance. Malgré les réglementations créées depuis 2008, la sphère des activités financières hors la loi, non pas délictueuses mais situées dans une zone grise non régulée, dépasse désormais celle de la finance régulée. Après sa radiographie de La banque Goldman Sachs, parue voici un an, Marc Roche nous entraîne dans ce monde discret, sinon secret.

Rappelez-vous, dit Marc Roche: avec la crise de 2008, les autorités se sont bien promis de réguler ce capitalisme devenu fou.

En 2011, où en est-on? Certes, les banques sont recapitalisées, et des lois ont été votées, comme la loi Dodd Frank aux Etats-Unis, en vue d’empêcher la réédition de la crise modèle 2008. De nouvelles institutions de contrôle des marchés ont vu le jour. Les hedge funds sont soumis à de nouvelles règlementations.

Rien ne va plus depuis 2008

Mais ces efforts n’ont aucunement ramené la sérénité sur les marchés financiers. Au contraire: rarement les banques auront autant souffert en Bourse, rarement la méfiance aura été aussi grande.

C’est que la crise de la dette publique a remplacé celle des dettes immobilières, que les agences de notation, négligentes en 2008 crient aujourd’hui au loup au moindre risque et que les banques ont transféré vers le shadow banking, la banque de l’ombre, peu ou pas réglementée, leurs activités à risque.

Via une filiale installée dans un paradis fiscal, tout devient possible: spéculer sur ses fonds propres, prendre des positions contraires à celles de ses clients, posséder des hedge funds…

En outre, la technologie est du côté de la spéculation: ainsi le trading à haute fréquence, qui permet de jouer sur des écarts très faibles sur des valeurs, n’existe que grâce à l’informatique… Et les petits génies de la finance n’ont pas cessé de créer des produits complexes et hautement spéculatifs parce qu’il y a eu une crise en 2008! Par exemple les ETF (exchange-traded funds) adossés à des stocks de matières premières.

Ces activités bancaires semi-clandestines ont été dénoncées dès 2007 par l’économiste Paul McCulley, rappelle Marc Roche. Lors de la réunion estivale des banquiers centraux à Jackson Hole (Etats-Unis) il avait parlé des «banquiers de l’ombre, une soupe de structures, d’entités et d’intermédiaires hors des circuits traditionnels qui sont endettés jusqu’au cou».

Intuition juste, mais restée lettre morte. C’est qu’il est plus difficile, par définition, de réglementer les zones grises de la finance que la banque qui exerce en pleine lumière. Même (ou surtout) lorsqu’il s’agit des mêmes. Ainsi, aux Iles Caïman, cinquième place financière mondiale grâce à une confondante absence de législation, les plus grandes banques internationales ont pignon sur rue. Y compris, jusqu’en 2010, la BNP, la Société générale et le Crédit Agricole…

Un système jamais à court d'imagination

De toutes manières, même sans ouvrir d’antennes au Vanuatu ou au Luxembourg, à Jersey ou au Belize, on peut faire de la banque de l’ombre avec… du hors bilan. Quoi de plus simple et élégant que cette solution pour éviter de rendre des comptes? Deux des banques qui ont fait faillite en 2008, Lehman Brothers l’américaine et Northern Rock la britannique, avaient recours à cet expédient.

Et puis, la crise amenuisant les espoirs de gain sur les marchés classiques, les financiers se sont tournés vers les matières premières. D’autant plus que l’expansion de la Chine, de l’Inde et des «Brics» poussent à la hausse les cours des métaux comme ceux des produits agricoles. Voici donc créés des véhicules d’investissement, dont certains accumulent des stocks physiques…

Et tant pis si certains peuples ne peuvent payer les prix internationaux, eux qui ne cherchent qu’à se nourrir.

D’agences de notation en fonds matières premières, le système n’est jamais à court d’imagination. Il est désormais couronné par les fonds souverains, énormes fonds d’investissement utilisant les finances des états –le plus souvent sans grand contrôle. Et voici comment la Libye est entrée au capital de la banque italienne Unicredit, lorsque celle-ci a dû renflouer son bilan…

Marc Roche livre un portrait vivant et saisissant de ces multiples activités inconnues du public, et qui ont pourtant une telle importance dans nos vies quotidiennes.

Il se refuse à condamner le système libéral, qu’il considère comme disait Churchill de la démocratie, le meilleur à l’exception de tous les autres. Mais il estime urgent une refonte complète des règles du jeu, à commencer par la séparation nette entre banque de crédit et banque d’affaire.

«S’attaquer à cette économie hors-la-loi est le chantier des chantiers. Il faut pour cela une volonté irrévocable “d’aller au charbon”. Sinon, le capitalisme risque à nouveau de rencontrer de fortes turbulences. Et ce sont les peuples qui paieront.»

Il y a urgence.

Marie-Laure Cittanova

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