Culture

Ceci n'est pas le printemps du cinéma iranien

Temps de lecture : 3 min

Entendons-nous bien: «Ceci n’est pas un film» de Jafar Panahi est sûrement le plus accompli des nombreux films iraniens sortis en France cette année. Mais cette qualité et cette quantité donnent une idée trompeuse de la situation dans le pays.

Détail de l'affiche de «Ceci n'est pas un film» de Jafar Panahi.
Détail de l'affiche de «Ceci n'est pas un film» de Jafar Panahi.

Ce mercredi 28 sort en salles Ceci n’est pas un film, le très beau nouveau film (si, si!) de Jafar Panahi, coréalisé avec Mojtaba Mirtahmasb. On a écrit l’importance cinématographique de ce geste de liberté, découvert lors du dernier festival de Cannes. Ceci n’est pas un film est sans doute le plus beau film iranien sorti cette année, année qui aura été marquée par une exceptionnelle présence des réalisations de cette origine sur nos écrans.

Depuis la découverte du grand cinéma iranien au début des années 1990 grâce à Abbas Kiarostami, plus tard Mohsen Makhmalbaf et Abolfazl Jalili, jamais les films de cette origine n’avaient autant attiré l’attention. Plusieurs phénomènes ont concouru à ce spectaculaire engouement, qui est aussi à bien des égards un leurre sur la réalité du cinéma dans ce pays.

Le premier phénomène, extra-cinématographique, tient à l’omniprésence de l’Iran dans l’actualité, le plus souvent pour les pires raisons qui soient: répression impitoyable des opposants, écrasement des velléités démocratiques, où les cinéastes ont payé un lourd tribut, en outre mieux médiatisé à l’étranger où ils bénéficient de davantage de relais.

Le malentendu «Une Séparation»

Le deuxième phénomène tient au succès considérable du troisième film d’Asghar Farhadi, Une Séparation.

Abusivement présenté comme un film dissident alors qu’il a été largement financé sur fonds publics et qu’il vient d’être désigné pour représenter son pays aux Oscars, le film connaît un succès considérable depuis l’obtention de l’Ours d’or au Festival de Berlin en février 2011. En France notamment, il approche le million d’entrées.

Tout en y voyant un malentendu ayant consacré en grande œuvre cinématographique un téléfilm roublard, on ne saurait nier la réalité du succès commercial. En Iran même, le film (pas du tout interdit contrairement aux rumeurs habilement distillées) a d’ailleurs aussi été un succès, notamment parce qu’il est apparu comme l’antidote à un film de pure propagande sorti en même temps: Ekhrajijha 3 (Les Déclassés 3) du réalisateur hezbollahi Masoud Dehnamaki, comédie à l’arme lourde contre les candidats démocrates Moussavi et Karoubi a été diffusé avec le soutien massif du régime.

Mais cette année a également vu la sortie en France deux réalisations ambitieuses de Saman Salour, Quelques kilos de dattes pour un enterrement et Lonely Tunes of Tehran. Elle est l’année de la découverte du très beau The Hunter de Rafi Pitts, parabole onirique sur la liberté en forme de polar.

Une des principales figures artistiques et politiques du cinéma iranien, la réalisatrice Rakhshan Bani-Etemad cosignait avec Mohsen Abdolvahab le remarquable Mainline affrontant le problème, massivement répandu en Iran, de l’addiction aux drogues.

Condamné en même temps que Jafar Panahi aux mêmes peines absurdes (6 ans de prison, 20 ans d’interdiction de filmer), Mohammad Rasoulof a présenté l’impressionnant et rigoureux Au revoir, à ce jour le film le plus juste sur l’atmosphère oppressante qui règne en Iran depuis l’écrasement des démocrates.

Iranienne en exil, Shirin Neshat évoquait avec Femmes sans hommes un événement fondateur de l’Iran moderne rarement raconté, la destruction du pouvoir démocratiquement élu du Dr Mossadegh par les Américains en 1953 et la brutale restauration de la dictature du Shâh. Et on attend le 9 novembre la sortie des Noces éphémères de Reza Serkanian, autre film important et singulier découvert à Cannes, dans la sélection ACID.

Une telle liste finirait par donner l’impression en trompe-l’œil d’une activité féconde du cinéma en Iran, malgré la répression.

En fait, l’accès aux salles est devenu beaucoup plus difficile pour les produits dissidents ou originaux, non seulement du fait de la censure (mais les cinéastes iraniens savent depuis longtemps jouer avec elle), mais aussi voire surtout du fait du désengagement de l’Etat dans toute politique culturelle, notamment de soutien aux écrans projetant des œuvres différentes.

Du coup, les cinémas de Téhéran sont envahis de productions commerciales d’une grande médiocrité, qui marginalise les observateurs plus affutés de la réalité iranienne plus efficacement qu’un bataillon de censeurs. Et ce alors même que le cinéma, l’idée du cinéma, conserve un immense prestige en Iran. Agnès Devictor, universitaire spécialiste du cinéma iranien, note ainsi combien est représentative de la réalité la séquence de Ceci n’est pas un film où le jeune homme qui collecte les poubelles revendique hautement d’être étudiant en cinéma, sans même se demander vers quel métier cela le mène, à la grande surprise de Panahi.

Jean-Michel Frodon

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