France

Martine Aubry et le mirage des 50 milliards de niches

Temps de lecture : 6 min

La candidate à la primaire gage son programme sur la suppression de 50 milliards de niches fiscales, confortée par un rapport de l'Inspection des finances. Mais seront-ils vraiment au rendez-vous?

Une militante PS roule une affiche de campagne de Martine Aubry, en septembre 2011. REUTERS/Stephane Mahe
Une militante PS roule une affiche de campagne de Martine Aubry, en septembre 2011. REUTERS/Stephane Mahe

C'est le nouveau totem de Martine Aubry: le rapport de l'Inspection des finances sur l'efficacité des niches fiscales publié en juin dernier. La candidate à la primaire socialiste l'a une nouvelle fois brandi lors du débat télévisé sur France2:

«Il y a aujourd'hui, et nous l'avons toujours dit, 50 milliards de niches fiscales qui sont économiquement inefficaces et qui sont injustes socialement —je rajoute ça à ce qu'a dit l'Inspection des finances.»

Autrement dit, le rapport de l'Inspection des finances souligne l'inefficacité économique de ces 50 milliards et Martine Aubry ajoute qu'elles sont de surcroît «injustes socialement». L'enjeu n'est pas mince: le programme d'Aubry est financé par cette marge de manoeuvre dégagé par les niches, reprenant en cela le projet socialiste:

«Je propose de mettre la moitié [des économies réalisées par la suppression de ces 50 milliards de niches] vers la réduction du déficit et l'autre moitié pour financer nos priorités.»

19,5 milliards de niches pas si inefficaces que cela

Le souci, c'est que Martine Aubry n'a pas dû consulter l'épais dossier de l'Inspection des finances (télécharger en PDF), se contentant sans doute des reprises dans la presse. La candidate à la primaire aurait de quoi s'étrangler en lisant le détail des 50 milliards de niches dont elle parle.

Voici une liste de mesures mal notées (notes 0 et 1 sur le barème de 3) par le rapport de l'Inspection des finances et dont on imagine mal une suppression par la gauche. Il y en a en tout pour 19,536 milliards d'euros.

  • Prime pour l'emploi. Coût: 2,980 milliards
  • Exonération de taxe d'habitation pour les personnes modestes et les handicapés. Coût: 1,376 milliard
  • Demi-part supplémentaire pour les parents vivant seuls avec des enfants à charge. Coût: 1,440 milliard
  • Exonération d'impôt sur le revenu des aides pour l'emploi d'une assistance maternelle. Coût: 1,6 milliard
  • Abbattement de 10% d'impôt sur le revenu sur le montant des pensions et des retraites. Coût: 2,7 milliards
  • Crédit d'impôt pour les économies d'énergie sur l'habitation principale. Coût: 1,950 milliard
  • Exonération d'impôt sur le revenu pour les sommes versées au titre de la participation salariale. Coût: 1,4 milliard
  • Réduction d'impôt pour les dons. Coût: 1 milliard
  • Exonération d'impôt sur le revenu des majorations de retraite pour les personnes ayant élevé 3 enfants ou plus. Coût: 800 millions
  • Abattement d'impôt sur le revenu en faveur des personnes âgées ou invalides de condition modeste. Coût: 245 millions
  • Demi-part supplémentaire pour les handicapés. Coût: 340 millions
  • Demi-part supplémentaire pour les parents d'handicapés. Coût: 100 millions
  • Demi-part supplémentaire pour les parents isolés. Coût: 420 millions
  • Demi-part supplémentaire pour les titulaires de la carte du combattant. Coût: 195 millions
  • Réduction d'impôt au titre des cotisations syndicales. Coût: 130 millions
  • Réduction d'impôt au titre des frais de dépendance des personnes âgées. Coût: 175 millions
  • Réduction d'impôt pour frais de scolarité dans le secondaire. Coût: 240 millions
  • Réduction d'impôt pour frais de scolarité dans l'enseignement supérieur. Coût: 200 millions
  • Exonération d'impôt sur le revenu pour les salaires des apprentis. Coût: 275 millions
  • Exonération d'impôt sur le revenu de la participation des employeurs pour les tickets resto. Coût: 200 millions
  • Exonération d'impôt sur le revenu de la prise en charge des frais de transports par l'employeur. Coût: 100 millions
  • Exonération d'impôt sur le revenu des indemnités d'accident de travail. Coût: 220 millions
  • Taux de TVA à 5,5% pour la fourniture de logement et de nourriture dans les maisons de retraites: 390 millions
  • Taux de TVA à 5,5% pour les services d'aide à la personne: 120 millions
  • Exonération de taxe sur le gaz naturel utilisé par les ménages: 253 millions
  • Dégrèvement de la redevance audiovisuelle pour les personnes modestes: 487 millions
  • Exonération d'impôt sur le revenu pour les indemnités de licenciement: 200 millions

Comme on le voit, Martine Aubry oublie que les niches fiscales ne profitent pas qu'aux riches et aux entreprises, loin de là. Elles sont souvent des avantages sociaux créés pour des populations en difficulté. Leur suppression s'accompagnerait sûrement de la création d'aides directes pour les compenser, ce qui anéantirait le gain budgétaire.

Coïncidence entre 2 chiffres différents

Au-delà de l'impact social des mesures, le chiffre de 50 milliards de niches inefficaces économiquement avancé par la gauche est en lui-même abusif. L'Inspection des finances ne raye pas de la carte 50 milliards de niches totalement «inefficaces», mais seulement 15 milliards qui obtiennent la note de 0.

Pour obtenir ce chiffre de 50 milliards de niches «économiquement inefficaces», Martine Aubry a additionné les notes 0 («inefficaces») et 1 («peu efficientes»). Cette légèreté dans le calcul s'explique par une coïncidence de chiffres: les 52 milliards obtenus par l'addition des deux chiffres correspondent quasi exactement au gain espéré par les suppressions de niches fiscales dans le projet PS:

«Depuis 2002, la droite a créé plus de 70 milliards de dépenses fiscales inutiles, dont 40 milliards depuis 2007, décisions sans efficacité économique et injustes socialement. Sur ces 70 milliards, nous en annulerons 50 milliards.»

Les deux chiffres n'ont absolument rien à voir, la droite n'a pas le monopole de la création des niches fiscales inefficaces économiquement. Mais la coïncidence autorise Benoît Hamon, porte-parole du PS, classé à l'aile gauche du parti, à défendre un rapport qui estime que la prime pour l'emploi ou les aides fiscales pour les handicapés sont «peu efficientes»:

«Un grand merci à l'IGF qui a confirmé au milliard près qu'il y avait 52 milliards de niches fiscales totalement inefficaces économiquement, du pur gaspillage [...] Ce chiffre confirme l'évaluation du PS.»

Si le PS doit s'en remettre à un rapport de Bercy pour convaincre, c'est sans doute parce que l'estimation des 70 milliards de niches fiscales créés par la droite depuis 2002 était un peu cavalière. Contacté par Slate, le hollandiste Michel Sapin, à l'origine de ce chiffrage à l'occasion du projet du PS, refuse de rentrer dans le détail:

«Vous n'aurez pas la liste exacte des 50 milliards de niches qu'on annulera. Le choix exact de ces niches (ou réductions d'impôts) à supprimer est laissé à l'appréciation des candidats de la primaire.»

Pour atteindre le chiffre des 70 milliards, Michel Sapin dit s'appuyer sur une étude sur les pertes de recettes fiscales sur la période 2000-2010 de Gilles Carrez, député UMP et rapporteur général du budget. Sapin dit avoir retranché les années Jospin, ce qui n'apparaît pas très probant au vu des chiffres donnés par Carrez. Les réductions d'impôt de Fabius atteignaient déjà 20 milliards en 2001 sur les 70-75 milliards de baisse sur la décennie.

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On est donc loin du compte et ces 55 milliards de pertes de recette ne correspondent souvent pas à des niches fiscales. Par exemple, la suppression de la taxe professionnelle qui coûte en année de croisière 4,3 milliards n'a rien à voir avec une niche. Dans le vocabulaire socialiste, le terme «niche fiscale» tend à devenir le synonyme de «avantage pour les riches». Les niches fiscales ne sont vues que comme un instrument d'injustice sociale.

Pourtant, François Hollande propose, sans le dire explicitement, d'en créer une nouvelle, avec son «contrat de génération» qui prévoit d'exonérer les charges sociales pour les employeurs qui embauchent un jeune tout en gardant un sénior. Martine Aubry propose aussi une nouvelle niche fiscale avec une baisse d'impôt pour les sociétés qui réinvestissent leurs bénéfices, une nouvelle possibilité d'optimisation fiscale.

La «niche Copé», éternelle sur-évaluée

Martine Aubry, interrogée par les internautes de Rue89, s'était essayée au détail des «niches fiscales» à supprimer:

  • Revenir sur la suppression de l'impôt sur la fortune qui coûte, d'après Aubry, 1,8 milliard d'euros à l'Etat. Une mesure certes facile à prendre mais qui n'est pas une suppression de niche fiscale.
  • «Limiter fortement» les avantages fiscaux pour les foyers qui «acquièrent des logements pour les louer». Un maquis de niches fiscales qui coûtent 950 millions par an selon l'Inspection des finances. «Ça, c'est des milliards», précise Martine Aubry. Pas forcément, même si les nombreux avantages fiscaux liés au logement laissent une marge de manoeuvre supplémentaire.
  • Supprimer la «niche Copé» qui permet d'exonérer les plus-values à long terme sur la cession de titres de participation. En trois ans, elle a coûté 22 milliards selon Aubry. Ce chiffrage qui circule depuis un an est lié à une erreur de Bercy, le coût sur 3 ans est en fait de 9 à 10 milliards d'euros. Selon la Cour des comptes, une suppression de la niche rapporterait encore moins, entre 2 et 3 milliards par an.
  • Revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires qui coûte 4,7 milliards par an.

Le reste est plus flou, empêchant un chiffrage:

«Il y a toutes les niches qui permettent aux grandes entreprises de payer 8% d'impôt sur les sociétés quand les petites en payent 33%. Il y en a un paquet. Je ne dis pas qu'il faut toutes les supprimer. Nous en avons listé un certain nombre. De même que les niches qui permettent aux revenus du capital d'être moins imposés que les revenus du travail.»

Une chose est sûre: une fois élu, il sera difficile de mettre la main sur le magot des 50 milliards de niches. À moins de mettre en place une taxe sur l'usage abusif du terme «niche fiscale».

Vincent Glad

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