Le barnum télévisuel autour de Dominique Strauss-Kahn incite à explorer un phénomène en pleine mutation: les «plans-médias». Les nouveaux moyens de communication ont introduit une révolution souterraine, qui concerne non seulement les outils, le style, mais aussi le regard du spectateur. Tous les communicants le savent. Tous, sauf ceux de Dominique Strauss-Kahn qui ont concocté un scénario pompeux au coeur de la grand-messe d’un journal télévisé. Or, ce spectacle frappait par son caractère désuet.
Dans un exercice ciselé au mot et à la mimique près, DSK a accompli la seconde séquence de son plan-média, back from New York.
La première image, à la descente d’avion, était celle d’un homme soulagé (un brin radieux) revenant d’un voyage qui a failli très mal tourner.
Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn à leur descente d'avion, le 4 septembre 2011. REUTERS/Eric Gaillard
La seconde, le 18 septembre devant Claire Chazal pleine de componction (un brin compatissante), était celle d’une victime («Je l'ai lourdement payé, je le paie toujours») soumise à une accusation dont il s’estime lavé par le rapport Vance.
Armé de son bouclier juridique (un non lieu au bénéfice du doute), DSK est reste muré quant à cette fatidique matinée du 14 mai. Le spectateur de ce moment télévisé écarquille les yeux lorsque que l’ex-futur Président demande pardon à sa femme et à sa famille pour une faute morale, dont il n’est pas fier.
On ne saura jamais de quoi est faite cette faute morale qui n’est pas un délit et dont DKS se sent responsable, mais non coupable.
Après avoir rendu encore plus ténébreuse son affaire de New York, DSK s’envole in petto vers une analyse de la crise: les Etats européens doivent comprendre qu’ils sont soumis à la concurrence des pays émergents, ils doivent prendre leur charge de ce désastre financier (les dettes), mais sans casser la croissance. Une préconisation originale –pour un ermite ou un misanthrope qui aurait coupé toute communication avec le monde depuis des années.
A l’heure des réseaux sociaux, subjectivité et modestie dans la présentation de soi prennent le dessus sur les cérémonies d’explication narcissique organisées par la fée télévision.
Ainsi pour faire parler de soi, mieux vaut s’atteler soi-même à cette tâche que d’en laisser le soin à des professionnels –c’est la règle de base de la société d’aujourd’hui, celle du personal branding.
Ici, chacun a la possibilité de fabriquer son propre plan-média, de contrôler ce qu’il entend verser de lui-même dans la sphère publique. Entre le très privé et le très professionnel, entre les réseaux abondamment fréquentés par les ados comme Facebook ou MySpace ou les réseaux de professionnels comme Linkedin, la palette des possibilités est large.
Pour les premiers, la popularité se gagne via la mise en ligne de son roman intime –portraits, musiques et écrits, notification de ses contacts et de ses univers d’appartenance. Le Web 2.0, surtout pour les adolescents, est toujours une tribune, un témoignage lancé à la cantonade.
Ne pas chercher à trop «épater la galerie»
Par touches successives, on signale la tribu à laquelle on appartient dans une mise en scène de soi élaborée en fonction de qui l’on souhaite attirer. Elles constituent une mise à l’épreuve du pouvoir magnétique de chacun, de sa capacité à capter l’attraction de ses semblables ou des groupes qu’il entend séduire.
La logique n’est pas tellement différente pour les réseaux professionnels, mais les assises de la construction identitaire sont évidemment fort éloignées: expérience de travail, types d’entreprises, diplômes, langues parlées, projets montés ou livres publiés. Cette présentation de soi, pourtant, ne coïncide pas totalement avec la publicisation d’un CV, et tout signe qui cherche trop ostensiblement à «épater la galerie» est à bannir.
Les valeurs du Net, l’égalitarisme et une culture du partage (plutôt que les signes de distinction hiérarchique), y sont à l’œuvre. D’ailleurs y règnent un certain brassage social et surtout un mélange de «classes d’âge». Au final, la communication Internet a imposé une approche et des méthodes nouvelles.
Dès lors, faire parler de soi par d’autres –avocats, biographes, amis– n’est guère convaincant et leur est prose immédiatement suspectée d’être en premier lieu intéressée et donc manipulée –une suspicion qui n’est pas déraisonnable si l’on songe à l’emprise de la communication sur l’expression publique de nos élites. Ces mêmes communicants ont donc perçu qu’il fallait un engagement plus personnel de leur client et ont poussé DSK vers le devant de la scène.
DSK, ainsi, suscitait une attente: celle d’une parole sincère et authentique. Aurait-il avoué ce qu’il entendait par «un acte inapproprié» (terme utilisé par un de ses avocats), évoqué un malentendu avec Nafissatou Diallo, tenté de donner un semblant de consistance humaine à ce qui s’est passé dans la suite 2806, et qui a bouleversé le destin de deux individus et non pas d’un seul individu –lui, «dans cette affaire, j’ai beaucoup perdu», comme son propos le laisse entendre–, sans doute aurait-il gagné en sympathie ou en bienveillance de la part du public.
La prime à la complexité
Mais une expression moulée dans le marbre d’une démonstration juridique, une rhétorique calibrée au millimètre, un rôle de composition dûment appris et parfois surjoué, tous ces artifices sont apparus dans leur nudité face à un public qui, après des décennies de plans-médias fabriqués par des docteurs patentés en messages téléguidés, ne s’en laisse plus compter.
Ainsi aujourd’hui, la construction de l’image de soi doit être subtile et travaillée. Une présentation où le message sature l’espace, une image qui affirme ses intentions, qui ne cède en rien à une «stimulation de l’imagination» (Umberto Eco, L’Oeuvre ouverte, Le Seuil, 1965) –comme, par exemple, les couvertures de magazines people qui s’acharnent à authentifier le bonheur ou le malheur des stars et des princesses–, s’apparente aux réclames des années 1950.
L’image contemporaine doit chercher l’authenticité, et dans ce contexte, chacun dispose d’un droit à la labilité, ou en tout cas du droit de faire valoir des facettes multiples, voire contrastées.
Ici DSK, loin de se présenter dans sa complexité, dans une humanité accessible à tous, n’a fait valoir qu’un seul message qui se surimprimait à toutes les phrases de cette interview: celui de son désir de se réhabiliter et de revenir sur la scène publique, le choix du JT à la plus forte audience constituant par lui-même une forme d’aveu.
Or c’est exactement le type d’exercice qui incite le spectateur à remplir les vides de ce trop-plein de démonstrations. Un spectacle que l’on suit paresseusement d’un coin de l’œil, car on en devine toutes les arcanes, mais qui, en revanche, surchauffe les méninges et engendre l’ironie.
Ce morceau de bravoure est ainsi apparu comme déconnecté de la sensibilité contemporaine, comme surgi d’un temps révolu. Celui où la télévision prétendait faire l’opinion, où les politiques se sentaient tout-puissants, où les communicants s’exaltaient de leur importance, où journalistes et politiques cohabitaient dans un jeu de distanciations imparfaites, où le folklore des hommes politiques avec la gente féminine était toléré et signe de bonne santé. L’esprit vagabondait: DSK serait-il un personnage d’une autre époque? A bien des égards, probablement.
Monique Dagnaud