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Palestine: scénarios pour l'après 23 septembre

Temps de lecture : 6 min

Passé l'effet d'annonce, les attributs d'un véritable Etat ne seront pas au rendez-vous et le risque d'embrasement de la région est bien réel.

Un garçon palestinien durant une manifestation contre le mur de séparation près de Tulkarem . Mohamad Torokman / Reuters
Un garçon palestinien durant une manifestation contre le mur de séparation près de Tulkarem . Mohamad Torokman / Reuters

La déclaration unilatérale d’indépendance des Palestiniens prévue le 23 septembre peut aussi bien être un pétard mouillé que l’étincelle qui mettra le feu à toute la région. Les Palestiniens mettent beaucoup d'espoir dans l'effet d'annonce d'une déclaration qui passé le moment de liesse risque de décevoir et dont les résultats pourraient bien ne pas être à la mesure des attentes. Les attributs d’un véritable Etat ne seront pas au rendez-vous. Si le drapeau et l’hymne sont acquis, l’armée, les frontières et la monnaie restent hypothétiques, à la merci en fait de décisions des Israéliens.

Paradoxalement, cette déclaration d’indépendance a déjà été faite par les Palestiniens le 15 novembre 1988:

«Le Conseil national palestinien, au nom de Dieu et au nom du peuple arabe palestinien, proclame l’établissement de l’État de Palestine sur notre terre palestinienne, avec pour capitale Jérusalem.»

Les effets ont été tellement mineurs qu’elle a été totalement occultée et il n’en est rien résulté.

Cette fois bien sûr, le contexte et la mise en scène seront tout autre. Pour autant, si les occidentaux restent sceptiques sur une décision unilatérale, c'est qu'ils mesurent le risque de provoquer embrasement en chaîne du Moyen-Orient. Barack Obama a fait quelques pas timides en se prononçant sur le tracé des futures frontières palestiniennes basées sur celle de 1967 et il a reçu un soutien appuyé de la France. Nicolas Sarkozy, discrédité en Israël depuis son souhait de partager Jérusalem, cherche à s’insérer dans le processus de paix en devenant un acteur dans la région puisque l’Autorité palestinienne avait émis ce souhait lors de la visite de Mahmoud Abbas à Paris.

En visite en Chine, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, a estimé qu'il restait une «petite chance d'éviter une confrontation à l'ONU. Cette petite chance serait d'arriver à un projet de résolution qui serait acceptable pour un grand nombre de pays. Nous sommes en train d'y travailler en liaison avec la Ligue arabe qui s'est réunie hier au Caire».

Tous les Palestiniens ne semblent pas convaincus de l’opportunité de leur démarche car, selon le négociateur Saëb Erekat, l’entrée à l’ONU de la Palestine annulerait le statut de l’OLP comme représentant exclusif du peuple palestinien et donc des réfugiés installés dans les différents pays entourant Israël. Parce que ces réfugiés ne seront plus représentés, le principe du droit au retour perdra de sa légitimité. On n’entrevoit pas de réel enthousiasme dans les démarches des Palestiniens. Ils craignent aussi de ne pas pouvoir contrôler une situation si elle dégénérait.

Réussite économique exceptionnelle et fragile

Les dirigeants israéliens ne comprennent pas la stratégie de Mahmoud Abbas qui joue à quitte ou double en risquant de casser une économie qui n'est pas en état de supporter un conflit avec Israël. Certes la reconnaissance à l’ONU représenterait une victoire symbolique, mais la motion votée ne serait pas contraignante. Le président américain s’est opposé clairement à toute décision unilatérale des Nations unies et a souligné que les Etats-Unis ne peuvent pas imposer de veto à l’Assemblée générale. Mais si l’Autorité palestinienne l’emporte à l’ONU, «ce vote ne changera pas la réalité sur le terrain».

Le Premier ministre palestinien, Salam Fayyed, peut se targuer d’une réussite économique exceptionnelle puisque la Cisjordanie s’est élevée pratiquement au niveau des pays industrialisés. Il a par ailleurs structuré son pays pour éliminer la corruption et pour marquer des avancées dans le domaine des institutions, de la santé, des services, et de l’éducation. La croissance de l’économie a atteint 9,3% en 2010 loin devant les 4% d’Israël. Certes, l’activité économique concerne à 55% le secteur public, mais les importations de voitures ont augmenté de 77% entre 2009 et 2011. Durant cette période, 389 nouvelles entreprises ont vu le jour en Cisjordanie. Même Gaza, qui est soumis à un blocus partiel et a un niveau de vie très inférieur à celui de la Cisjordanie, connaît un niveau exceptionnel de 15% de croissance.

Septembre noir

Pour autant, l’Autorité palestinienne est dépendante de l’aide massive qu’elle reçoit des Etats-Unis et de l’Europe. Un rapport de la Banque Mondiale estime qu’elle se dirige vers une grave crise financière. L’assise économique palestinienne est très fragile car axée sur le secteur public tenu à bout de bras par les dons internationaux, très importants au regard de la taille de la Cisjordanie. L’économie palestinienne, manquant d’autonomie, s’effondrerait si l’aide internationale venait à se tarir.

La Palestine ne peut pas se permettre de tenter l’aventure. Lors d’un sommet de la Ligue arabe, Salam Fayyed avait déjà averti que l’existence même de l’Autorité palestinienne serait en danger en cas de crise des dons. La Banque mondiale affirme qu’elle a déjà atteint le seuil maximum de ses prêts, 185 millions de dollars, et qu’elle ne peut plus accepter de dépasser le découvert déjà consenti. La dette est proportionnellement plus grande que celle de la Grèce. Ainsi, la situation peut être qualifiée de mirage économique. Il semble que, dans leur fuite en avant politique, les Palestiniens n’aient pas évalué les conséquences de cette indépendance en septembre.

Les analystes sécuritaires israéliens ont publié les scénarios possibles postérieurs au 20 septembre. Les 45.000 membres du Hamas, opposés au Fatah et résidents en Cisjordanie, seraient tentés de se débarrasser de l’occupation israélienne par la force. Ils pourraient susciter des manifestations et fomenter des flambées de violences susceptibles de s’étendre jusqu’en Israël. Ce qui pourrait s’apparenter à une Intifada-3 donnerait le coup de grâce à l’économie palestinienne et mettrait en banqueroute l’autorité palestinienne. Israël accentuera alors les difficultés en s’opposant au transfert des taxes et en bloquant les entrées de fonds en provenance de l’étranger.

Si les pressions sur Israël se font trop fortes, l'Etat hébreu peut considérer qu'il n'a pas grand-chose à perdre et considérer la déclaration unilatérale comme un casus belli qui légitimerait une occupation de la totalité de la Cisjordanie et une annexion pure et simple des groupes d’implantations juives déjà sous son contrôle. Le mois de septembre 2011 pourrait alors devenir un nouveau «septembre noir» pour l’économie et la société palestinienne.

Tsahal en état d’alerte

L'armée israélienne se prépare d'ores et déjà à contrer les velléités de troubles à ses frontières avec la Cisjordanie, Gaza, le Liban et la Syrie. Une volonté de dramatisation se fait déjà sentir avec les déclarations alarmistes du ministre des Affaires étrangères, le nationaliste Avigdor Lieberman, qui accuse l'Autorité palestinienne de préparer «un bain de sang, sans précédent» tandis que l’ex-chef d’état-major, numéro 2 du Likoud et président de la commission de la défense, Shaoul Mofaz, réclame «le rappel des réservistes».

Le gouvernement a donné ordre aux militaires de ne pas intervenir à l’intérieur des villes palestiniennes contrôlées par «les services de sécurité de l'Autorité palestinienne» et de se borner à «faire respecter la souveraineté d'Israël le long de ses frontières, où il peut y avoir des provocations». Il ne cherche donc pas à attiser le feu, mais prend toutes les précautions. Il a mobilisé en Cisjordanie deux brigades de 6.000 hommes équipés de casques à visière, de boucliers en plexiglas et d’un stock de grenades lacrymogènes.

Plus de 7.500 hommes des unités spéciales de la police et des gardes-frontières ont suivi un entraînement intensif, physique et psychologique pour réprimer les éventuelles manifestations dans les villes arabes israéliennes et à Jérusalem-est.

Le gouvernement n’a pas l’intention de jouer uniquement la carte de la force. Plus de 120 pays sont susceptibles de voter à l’ONU pour cette indépendance et il ne peut se voiler la face sur son isolement. Il est possible aussi qu’il cherche à composer avec l’Autorité palestinienne, avec qui il négocie en secret, en prétendant être victime de pressions de la part de pays amis qui lui imposent des décisions difficiles. Mais Benjamin Netanyahou pourrait alors mettre en danger sa coalition car les nationalistes interprèteront toute concession comme une faiblesse. Il risque d’avoir à faire face d’une part aux palestiniens et d’autre part aux habitants juifs des implantations qui pourraient aussi avoir recours à la violence.

Autrefois, le salut venait des Américains qui, aujourd’hui, n’ont ni le charisme et ni la puissance pour imposer le calme et leur loi dans la région. C'est une banalité dans cette région du monde, mais l’avenir est particulièrement incertain et dangereux.

Jacques Benillouche

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