Belle de Jour, ancienne prostituée bloggeuse qui a inspiré la série Journal Intime d'une Call Girl, a révélé son identité après cinq ans d'anonymat. Elle a expliqué qu'elle avait à l'époque besoin d'argent. Elle préparait son oral de thèse pour achever son doctorat: «Je ne pouvais pas trouver de boulot dans ma spécialité, car je n'avais pas encore mon PhD. Je n'avais pas beaucoup de temps libre, car je finissais [la préparation à mon oral de thèse]. J'ai une aversion pathologique pour la dette. [...] Et là j'ai commencé à réfléchir: qu'est-ce que je peux trouver comme boulot qui me permette de commencer immédiatement, sans formation ni investissement préalable?» Cet article, publié en avril, revient sur la série tirée de son histoire.
***
La série Journal Intime d'une Call Girl*, qui met en scène le quotidien coloré d'une fille de joie, rendrait-elle glamour la prostitution ? Le débat fait rage entre les opposants à la série et ses défenseurs.
«La première chose que vous devez savoir sur moi, c'est que je suis une pute.» Ainsi s'ouvre le premier épisode du Journal Intime d'une Call Girl, comédie britannique diffusée depuis 2007 outre-Manche sur la chaîne câblée ITV2 et en France sur Téva et M6. Inspirée du blog d'une call girl se faisant appeler Belle de Jour - en référence au film de Buñuel - la série met en scène le quotidien d'une jeune londonienne, Hannah, prostituée «de luxe» mieux connue sous le nom de Belle. Exportée dans plus de quinze pays, réussissant des belles audiences pour un programme de fin de soirée, la série a surtout profité d'une polémique féroce autour de sa peinture de la prostitution.
Hannah / Belle n'est en effet pas une travailleuse de la rue, mais une call girl quatre étoiles, aux conditions de travail «enviables.» D'abord «managée» par une maquerelle BCBG aux faux airs de Mme de Fontenay, pour qui « ce boulot permet de faire un maximum d'argent avec un minimum d'efforts », puis indépendante dans la seconde saison de la série, Belle reçoit ses clients chez elle, les sélectionne méticuleusement via son site internet. Hormis quelques fantasmes excentriques, ceux-ci se révèlent être généralement de chics types, et même les situations inquiétantes trouvent une issue heureuse. Le quotidien de Belle est filmé dans une lumière colorée. Elle cultive un humour acidulé et multiplie les répliques pleines d'esprit. Hannah est diplômée, intelligente. La prostitution, explique-t-elle en s'adressant régulièrement à la caméra, est un choix de carrière, pas une fatalité.
«Je n'ai pas été violée dans ma jeunesse, je n'ai pas d'enfants à charge et je n'ai jamais été accro à quoi que ce soit... sauf à la quatrième saison d'A la Maison Blanche, s'amuse-t-elle. Pourquoi est-ce que je me prostitue? Parce que j'aime le sexe et l'argent!»
Une telle vision de la prostitution pouvait difficilement laisser indifférent. A peine la série lancée, les chroniqueurs de la presse britannique et les spécialistes de la question se sont lancés dans un débat passionné. «Je n'ai jamais payé pour coucher, mais je parierais que les discussions post-coïtales des prostituées ont rarement pour sujet le sens d'un palindrome, comme c'est le cas pour Hannah, ironise Martin Daubney, du magazine masculin Loaded. Cette série glamourise l'industrie la moins glamour du monde.» «Journal Intime d'une Call Girl présente une version remarquable du très vendeur mythe de la prostituée heureuse», renchérit Roger Matthews, professeur de criminologie à Londres.
Face à ces attaques, c'est l'interprète principale de la série, Billie Piper, qui monte au créneau. Connue pour sa participation à la série culte Dr. Who, la comédienne s'est impliquée corps et âme dans son rôle. Elle a rencontré la vraie Belle, passé du temps avec des call girls de Londres. «Jusqu'au jour où j'ai pu discuter avec ces filles, je n'arrivais pas à croire qu'une femme pouvait vendre son corps et en être heureuse, explique-t-elle. L'immense majorité des prostituées sont bien entendu des femmes en souffrance, mais il existe une infime proportion de call girls de luxe qui aiment leur métier.» «J'ai interviewé moi-même quelques filles qui se disaient heureuses de leur situation, confirme Sarah Hedley, journaliste au magazine féminin britannique Scarlet. Evidemment, c'est une infime minorité, mais ça ne veut pas dire que leur histoire ne mérite pas d'être racontée dans une série télé, et donc forcément rendue plus glamour.»
N'y a-t-il dans cette peinture idéaliste d'une minorité un risque d'oublier la majorité, les femmes trainées de force dans la rue, la traite des filles de l'Est, la misère, la drogue... « La rue, la nuit, la violence, c'est une autre prostitution, un autre sujet, se défend Billie Piper. Belle est une prostituée de luxe, qui gagne très bien sa vie, dépense des sommes folles dans des vêtements de couturier, mange au restaurant, etc... d'où le côté glamour de la série. » « La call girl qui va au Carlton et au George V est elle aussi sous contrainte, contre-attaque Jean-Sébastien Mallet, de la Fondation Scelles, organisation qui lutte contre l'exploitation sexuelle. Cette vision propre et sûre du métier est un mythe. Pire, plus les gens payent chers, plus y est fréquent qu'ils «sabotent» les prostituées.»
Journal Intime d'une Call Girl «n'est pas une série dangereuse, poursuit sa collègue Catherine Goldman, mais elle a tendance à banaliser et à déformer subtilement la réalité. Par exemple, la maquerelle de Belle est présentée comme un impresario...» Cette figure de style fait partie, selon les détracteurs de la série, de «l'effet Pretty Woman», terme né au lendemain de la sortie du film, qui aurait incité de nombreuses jeunes femmes à se lancer dans une carrière de call girl. «Ce sont les mêmes qui accusent Trainspotting de rendre glamour la cocaïne», s'agace Billie Piper. «Prétendre que Journal Intime d'une Call Girl rend glamour la prostitution, c'est comme dire qu'Harrods rend glamour le fait de faire ses courses, s'amuse, pour la soutenir, Rowan Pelling, journaliste et romancière érotique. Dans le sexe, comme dans n'importe quel autre domaine, il existe un marché du luxe, et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas en faire une série télé.»
Ultime argument de la défense, Journal Intime d'une Call Girl est inspiré d'une histoire vraie, d'un cas unique, on aurait donc tort de condamner la série pour sa peinture de toute une population. «Belle de Jour a choisi une vie, celle de call girl. La série la montre telle qu'elle est, conclue Billie Piper. Qui sommes-nous pour lui dire qu'elle a tort ? Chacun est libre de faire ce qu'il entend de son corps.» «Je ne nie pas l'importance du libre arbitre de chacun, mais dans le cas de la prostitution, nous avons un devoir d'ingérence, riposte Jean-Sébastien Mallet. L'argument qui veut que chacun est libre de faire ce qu'il veut de son corps ne tient pas la route. Il faut parfois opposer aux libertés individuelles une vision éthique de l'existence.»
En Colombie, des ONG, en travaillant avec les producteurs et les chaînes, ont réussi à influer sur l'écriture des soaps locaux, très suivis, pour éduquer les téléspectateurs aux risques de la prostitution. Bien écrit, impeccablement interprété, drôle et vivant, le Journal Intime d'une Call Girl préfère s'en tenir à sa ligne, celle d'une pure distraction, d'un spectacle libre de toutes considérations morales.
Pierre Langlais
* Sur Téva, saison 2 à partir du 25 avril, tous les samedi à 23h15.