Les injonctions tapies entre les pages des magazines féminins sont assez faciles à déceler. On peut globalement les ranger en trois catégories:
- «Maigris, grosse truie»
- «Prends ton pied, espèce de frigide»
- «Ne me dis pas que tu es ENCORE déprimée, pauvre ratée? Va t'acheter des fringues»
Mais qu'en est-il de la presse masculine dite «mainstream»? L'homme moderne est-il infailliblement atteint dans sa virilité chaque fois qu'il parcourt FHM? Se tord-il de douleur, écrasé par la honte et la culpabilité d'avoir un peu de bide, en découvrant les photographies de mâles au corps parfaitement galbé qui parsèment chaque exemplaire de Men's Health?
Ben non, désolé. Les magazines pour hommes sont pour la plupart reposants, voire agréables à lire. Tout simplement parce qu'à la différence de leurs homologues féminins, personne ne vous y enjoint de faire quoi que ce soit. On ne se sent pas tenu, à leur lecture, de devenir plus musclé, ni de coucher avec un maximum de filles, ni même d'acheter quoi que ce soit pour booster son bien-être.
Une formule calquée sur celle des féminins
Pourtant, on retrouve dans GQ ou dans FHM les mêmes rubriques, à peu de choses près, que dans Elle: un peu de culture, un peu de mode, un peu de sexe, beaucoup de pub. Et parfois les mêmes slogans, en version homme.
C'est le cas dans Men's Health, qui fait figure d'exception. En une de ce magazine généraliste axé sur la culture physique, on trouve des titres très impérieux comme: «Plus de muscle, moins de graisse», «Changez tout!» ou encore «Boostez votre corps!».
Chez GQ, l'approche est moins directe. On est davantage dans le registre du conseil futile, mais vaguement instructif, que dans celui de la mise en demeure. La logique est plutôt bienveillante, éducative et légèrement ironique.
Comme dans leur rubrique «Style Académie» qui a vocation à apprendre aux hommes les règles du bon goût vestimentaire en donnant la réponse à des questions existentielles telles que «Faut-il rentrer sa chemise dans son pantalon? » ou «Jusqu'à quel âge peut-on porter des sweats à capuche?». Ça reste bon enfant. Cela dit, dans leur article «50 conseils pour ressembler à quelque chose», ils tentent quand même de nous refourguer des crèmes anti-rides ou des machines pour blanchir les dents...
Globalement, la presse masculine reste assez inoffensive. D'abord parce que le lecteur homme est beaucoup moins sensible aux diktats physiques: la faute à une pression sociale sur son apparence bien moindre.
Au fond, la société n'invite guère les hommes à comparer la fermeté de leurs abdos respectifs ou l'échancrure de leur col de chemise. La mode et la beauté ne suffisent pas pour qu'ils s'identifient à ces magazines. Le problème, c'est que pour rassembler les mâles de France sous leur bannière, les masculins n'ont rien trouvé à la place.
Là où les féminins parviennent à ratisser large en s'adressant tous à une femme abstraite, universelle et obsédée par son poids et son look, la presse masculine apparaît du coup beaucoup plus hétérogène et segmentée.
Trop fragmentée, elle échoue à représenter l'homme moderne dans son ensemble. Comme les masculins ne peuvent pas s'adresser l'Homme en général, ils visent des «types» d'homme –ou plutôt des stéréotypes. Et chaque journal a son créneau bien défini.
Quel homme moderne êtes-vous?
Chez FHM, l'homme moderne est un post-adolescent un peu beauf et néo-macho. Il n'aime pas se prendre la tête (seul psycho-test du numéro de septembre: «Quel sex friend es-tu?»). Ici, les témoignages sont plutôt légers («Mon père m'a piqué ma meuf!») et la rubrique trucs et astuces assez éloquente. Voir l'article «5 trucs pour la garder à la niche» qui nous enseigne comment faire de notre copine «une extension de vous-même» en l'engraissant et en la ruinant afin qu'elle développe le syndrome de Stockholm. Pas bête.
Dans un registre plus trash, Guts, le journal de Cauet, développe les problématiques déjà présentes dans les émissions de l'animateur: gros seins et blagues salaces. Les fans ne seront pas dépaysés.
Sinon, ils pourront toujours aller voir du côté de Maximal, qui flirte avec les mêmes recettes, tout comme l'inoxydable Entrevue. On y trouvera tout ce qu'il faut pour orner sa chambre d'étudiant (ou la cabine de son camion).
Beaucoup plus classe, les magazines de mode type L'Officiel Hommes, Vogue Hommes International et Monsieur: chers et remplis de photos ultra-léchées, ils s'adressent à un public qui travaille dans le consulting, parle en K€ et porte des montres Cartier. Aucune présence féminine n'est admise dans ces temples du bon goût où l'on ne fraie qu'entre hommes haut de gamme.
Men's Health et H For Men sont pour les sportifs hyperactifs qui veillent à entretenir leur corps à coup de musculation et de protéines: au programme, conseils nutrition et exercices physiques. Enfin, GQ et L'Optimum ciblent le trentenaire bobo qui s'intéresse un peu à tout et prend soin de son look.
Au final, aucun magazine n'est capable de fédérer autour de son nom une très large part de la population masculine. Historiquement, c'était pourtant son but: lorsqu'il sont apparus entre 1999 et 2008, ces magazines pour hommes nouvelle génération, importés des États-Unis ou de Grande-Bretagne, venaient prendre la place de la presse pour hommes traditionnelle. Les vieux ténors du genre (Playboy, Lui), à base de photos de charme et à la ligne éditoriale teintée de machisme, avaient alors décliné ou disparu.
FHM, GQ ou Men's Health entendaient se recentrer sur les prétendues nouvelles aspirations des mâles: la beauté, la mode, la consommation de loisirs, le bien-être personnel. Mais pour les thèmes plus traditionnellement masculins (voiture, sport, bricolage...), le terrain était déjà largement monopolisé par L'Equipe, Auto Plus et des dizaines de titres spécialisés. C'est toujours le cas aujourd'hui. Les nouveaux venus ont beau aborder aussi ces thématiques, aucun ne peut en devenir la référence.
De plus, tout un tas de sujets auxquels les hommes pourraient s'identifier sont totalement absents des masculins.
Rien sur la politique, par exemple. Le seul article que nous ayons trouvé est un portrait d'Eva Joly dans lequel GQ ne parle que du look de la candidate. C'est aussi une presse dépourvue de toute ambition militante (contrairement à Elle qui se veut féministe).
Rien de sérieux non plus sur la séduction ou les rapports homme-femme, systématiquement abordés sur un ton potache (FHM: «69 manières de passer pour un intello!»), alors que de leur côté, les femmes sont matraquées dès le berceau de conseils pour séduire ou pour entretenir leur couple.
Du coup, en France, la mayonnaise n’a jamais vraiment pris. Il est rare de croiser des hommes en train de lire H For Men ou FHM de façon ostentatoire dans le métro. En revanche, le fait qu'une femme lise Marie-Claire ou Biba est facilement accepté. Et cela se sent dans les ventes. A titre d'exemple, GQ et FHM, les deux titres les plus connus, culminent chacun autour de 95.000 exemplaires par mois, quand Elle tourne à 410.000 exemplaires.
Pierre Ancery et Clément Guillet