C’est peu dire que la cote d’amour de Marc Lièvremont —déjà pas au mieux avant son arrivée dans l’hémisphère sud— ne va guère en s’améliorant auprès des journalistes français. L’Equipe ne manque jamais de souligner son caractère ronchon et ses conférences de presse à géométrie variable. D’autres commencent même à évoquer du bout des lèvres un «syndrome Domenech». Certes, le souvenir d’un match plein des Bleus remonte à un bail. Mais certains signes incitent à l’optimisme, comme la victoire surprise de l’Irlande face à l’Australie, et qui pourrait offrir aux hommes de Marc Lièvremont un tableau plus dégagé jusqu’à la finale.
Les deux premiers matchs des Bleus dans cette Coupe du monde ont, c’est vrai, été décevants. Leurs victoires contre le Japon et le Canada (47-21 et 46-19) ne se sont dessinées que dans le dernier quart d’heure. Les 60 premières minutes, à chaque fois, ont été polluées par les mauvais choix, les erreurs techniques, voire, plus inquiétant, par un manque d’impact physique. Les joueurs l’expliquent par les mauvaises conditions météorologiques, qui favorisent les supposées «petites» équipes.
De l'avantage du turnover
Le turnover érigé en règle d’or par le staff ne facilite pas les automatismes entre les joueurs. Mais ces rotations permanentes ont des avantages. Elles maintiennent tout le monde sous pression. Morgan Parra, célébré il y a 18 mois comme le nouveau «Petit Prince» des Bleus, s’était peu à peu perdu. Mis en concurrence avec Dimitri Yachvili, il semble aujourd’hui se faire violence pour reconquérir son poste de numéro un à la mêlée. Déjà efficace lors de sa sortie du banc face aux Nippons, il a été un des meilleurs tricolores dimanche contre le Canada, assurant un joli 9/10 au pied. Et comme on sait qu’aucune équipe de France ne s’en est jamais sortie sans un petit caporal à la baguette...
Le Clermontois n’est pas le seul exemple. Pascal Papé et Julien Bonnaire, remplaçants il y a dix jours, ont été très bons face aux Canucks. Louis Picamoles et Raphaël Lakafia continuent de se tirer la bourre au poste de numéro 8. Résultat, c’est quand le banc français entre en action que le score gonfle. François Trinh-Duc, lui, est certain d’enfiler le numéro 10, et on voit le résultat... Un signe aussi que la préparation physique, censée permettre un pic de forme au moment des quarts de finale, a été efficace, puisque les joueurs parviennent encore à appuyer sur l’accélérateur à la fin d’un match.
Bien sûr, tout cela n’efface pas les approximations et le manque d’ambition des Français au cours des 60 premières minutes de jeu. Marc Lièvremont en est conscient, il a largement vilipendé ses ouailles à l’issue du match inaugural. Une remontée de bretelles en public qui n’a pas plu aux joueurs visés. Dimitri Yachvili, par exemple, aurait «préféré que ça reste dans l’intimité. Il faut que l’entraîneur soit psychologue aussi».
Depuis, Marc Lièvremont a d’ailleurs changé d’attitude. Bien qu’agacé par la performance de ces joueurs contre le Canada, le sélectionneur a gardé un discours officiel:
«Je suis content qu’on ait gagné avec le bonus, je reste positif.»
Surtout, il a trouvé de nouvelles cibles pour ses scud: la presse, qu’il accuse de «mensonge et d’inconséquence».
Dans tous les cas, les Bleus doivent maintenant préparer le match contre les Blacks. Pas un sommet, mais un match comme les autres sur la route des quarts: «Si on bat les Blacks, on ne sera pas champions du monde, donc on n’a pas de pression», explique Vincent Clerc. Marc Lièvremont a lui aussi été clair: «Battre les Néo-Zélandais, c’est toujours un exploit, donc on va jouer pour l’exploit.» Pas question donc de lâcher le match.
Au fond, le débat n’est pas de savoir si la France est capable de battre la Nouvelle-Zélande. Le passé commun des deux équipes en Coupe du monde montre que oui (quoique cela est surtout vrai dans les matchs à couteaux tirés en phase finale).
La victoire de l’Irlande face à l’Australie ce week-end a rappelé que le rugby du nord a quelques atouts à faire valoir, notamment la puissance de ses packs, et d’autant plus par temps humide. En revanche, la capacité du quinze tricolore a rééditer ce genre de performance plusieurs matchs d'affilée reste douteuse. Le passé l’a montré.
Et ce n’est pas le mandat de Marc Lièvremont qui a changé la donne. Certains choix du sélectionneur au cours des quatre dernières années posent évidemment question. Mais certaines tendances lourdes —le manque de temps passé ensemble par les joueurs, le jeu restrictif favorisé en Top 14, les saisons à rallonge —sont des facteurs d'explication au moins aussi intéressants que les débats interminables sur une composition d’équipe.
François Mazet et Sylvain Mouillard (à Auckland)