2012 ne sera pas une partie de campagne, ça semble maintenant acquis. L'épisode de la Porsche de DSK et les rumeurs sur Martine Aubry ont donné le ton de la campagne présidentielle.
Les boules puantes ont trouvé avec Internet un nouveau terrain de jeu idéal. Sur le web, comme le montrent tous les jours les actions potaches du LOL, les flux de l'information sont manipulables. Et il n'y a pas de raison pour que des cabinets noirs numériques, plus ou moins organisés, ne tentent pas eux aussi de faire dérailler les circuits de l'actualité.
Slate a imaginé 3 scénarios possibles de hacking de l'information qui ne nécessitent aucune compétence technique. L'objectif d'une boule puante lancée sur Internet est qu'elle touche dans un premier temps le plus large public possible, et qu'elle atteigne par la suite les médias, étape essentielle.
1. La boule puante balancée sur un site d'info, la méthode «Jean Dujardin»
2. Le faux journaliste sur Twitter, la méthode «L'informatrice»
3. La manipulation de Google Suggest, la méthode «Martine Aubry»
1. La boule puante balancée sur un site d'info, la méthode «Jean Dujardin»
Pour qu'une information douteuse prenne et que la «rumeur» se transforme en «information», il est essentiel que sa source soit jugée crédible. Une solution peut être de passer par des blogueurs influents prêts à se rouler dans la boue numérique, mais il est aussi possible d'accéder aux médias en les piratant de l'intérieur. Plusieurs sites d'informations permettent de publier n'importe quel contenu sur leur système de blog dont la mise en page rappelle celle du média, entretenant la confusion auprès du lecteur. C'est ainsi que la rumeur d'une relation entre Carla Bruni et un chanteur s'était retrouvée dans la presse anglo-saxonne, après qu'un blog inconnu du Journal du Dimanche avait fait circuler l'information.
Encore mieux, LePost.fr et le NouvelObs.com permettent de balancer une boule puante et d'accéder automatiquement au panthéon de l'information vérifiée, Google News. Un peu comme si les kiosques à journaux vendaient aussi des publications amateures non vérifiées. Voilà comment hacker Google en 5 minutes:
1. S'inscrire sur la plateforme de blog du NouvelObs.com et créer un blog. Appelons-le «Buzz» en hommage à la qualité de l'information Internet. Donner bien évidemment une fausse adresse mail, passer par un proxy pour plus de sûreté.
2. Rédiger un article contenant la boule puante. Dans notre exemple, nous révélons que Jean-Michel Baylet, candidat à la primaire à gauche, a gagné le concours de Miss Univers.
3. Dans les minutes qui suivent, l'information est reprise sur Google News. Avec un peu de chance, la nouvelle se distingue assez des autres pour apparaître en tête des résultats. Avec Jean-Michel Baylet (dont l'actualité n'est certes pas débordante), l'effet est immédiat et l'article apparaît sur la première page de résultats Google, lui octroyant une audience inespérée. Les articles de Google News apparaissent sur Google lorsque le moteur de recherche juge que l'information est récente et d'importance. La victoire surprise du notable tarn-et-garonnais au concours de Miss Univers est de cet ordre.
Pour maximiser ses chances d'apparaître en première page de Google, il est conseillé de créer en même temps d'autres articles sur la même thématique pour faire monter le sujet. Des articles sur LePost.fr peuvent aider Google à comprendre que le sujet est important. Dans notre exemple, pas de chance, LePost.fr a impitoyablement censuré nos reportages sur la carrière de miss de Jean-Michel Baylet.
En mai dernier, nous avions déjà testé la modération du Post.fr. Elle s'était révélée beaucoup plus lente, étant aux abonnés absents un vendredi après-midi. Notre scoop titré «François Hollande mange des enfants» était resté bien calé dans Google News pendant toute l'après-midi.
Comme pour les prisonniers qui cherchent à s'évader, il est conseillé de se renseigner au préalable sur la ronde des modérateurs, et ainsi plutôt privilégier le week-end et la nuit pour balancer des scuds. Quant à la modération du NouvelObs, nous n'avons à ce jour pas de nouvelles.
Offensive sur Twitter
Le lancer de boules puantes sur un site de presse doit, pour plus d'efficacité, se conjuguer avec une offensive massive sur Twitter en espérant que l'information inonde le réseau pendant une dizaine de minutes. Pour créer ce buzz artificiel —susceptible de piéger un mauvais journaliste web— il faut bénéficier d'une armée de comptes fakes qui vont relayer l'information. Si les choses sont bien faites, ces comptes seront préalablement suivis par des «leaders d'opinion» sur le réseau, ce qui nécessite un gros travail en amont.
La méthode a été testée et approuvée par les ados du forum jeuxvideo.com qui avaient fait croire à la mort de l'acteur Jean Dujardin en février dernier, profitant des largesses de la modération du Post.fr et de la crédulité des utilisateurs de Twitter qui ont fait circuler l'article à grande vitesse.
» Autre méthode: le faux journaliste sur Twitter
2. Le faux journaliste sur Twitter, la méthode «L'informatrice»
Une information balancée sur un compte Twitter inconnu a peu de chances de vraiment prendre. Il vaut mieux travailler le «fake» avant de l'utiliser pour balancer la boule puante. Pour rendre crédible un fake, une des méthodes peut être de le faire passer pour un journaliste politique qui préfère garder l'anonymat.
1. Ouvrir un compte Twitter avec un pseudonyme mystérieux. Donner une fausse adresse mail à l’inscription, Twitter n’exigeant pas de confirmation par mail pour utiliser le compte. Seule contrainte: que l'adresse mail n'ait jamais été donnée par un autre utilisateur.
2. Soigner la biographie qui doit donner les raisons de cet anonymat.
3. Commencer par une phase de crédibilisation du compte en distillant quelques informations politiques croustillantes du type page 2 du Canard Enchaîné, soit inédites, soit légèrement modifiées pour que le public ne remarque pas qu’elles sont recopiées de la presse, soit carrément inventées.
4. S’abonner aux comptes Twitter de tous les journalistes politiques et de quelques autres journalistes en vue sur le réseau, afin de se faire remarquer. Laisser le buzz monter tranquillement, tout en continuant à balancer de l’info: naturellement, Twitter va se passionner pour ce compte anonyme, échafaudant des hypothèses pour savoir qui ça peut bien être.
5. Ajouter au besoin des faux «followers» (abonnés) pour crédibiliser le compte. Deux solutions: payer quelques dollars sur des sites américains qui permettent de doper artificiellement les followers, ou passer par un programme informatique qui crée en rafale des faux comptes. La méthode est cependant risquée car elle risque d'être vite découverte et de plomber l'expérience.
6. Une fois le compte crédibilisé et objet de toutes les attentions, commencer à distiller des boules puantes. Si l’information est d’importance, elle sera massivement «retweetée», devenant un sujet de discussion majeur pendant quelques heures sur Twitter. L’effet de loupe induit par le réseau sera susceptible de piéger les médias, persuadés que c’est le «buzz du jour». Une boule puante balancée comme un communiqué de presse à une centaine de journalistes, c’est tout l’intérêt d’un compte Twitter anonyme.
Cette méthode est inspirée par le compte @Linformatrice qui sévit sur Twitter depuis début août. Le fake se présente comme une «journaliste politique curieuse qui essaye de faire son travail honnêtement, mais contrainte de garder l'anonymat» et prétend sortir des informations exclusives, qui curieusement ne se vérifient jamais.
Malgré la faible crédibilité des informations données, @Linformatrice a suscité l'intérêt de plusieurs journalistes politiques chevronnés, comme le correspondant à l'Elysée du journal Le Parisien:
Toutes les hypothèses ont été avancées sur l'identité de cette mystérieuse informatrice. Un blog a prétendu l'avoir démasqué en révélant qu'il s'agissait d'une opération de manipulation de l'extrême-droite. Une explication peu convaincante: un fake utilisé à des fins politiques tâcherait d'être plus crédible que ce compte @Linformatrice qui sentait le faux dès le départ.
» Autre méthode: manipuler Google Suggest
3. La manipulation de Google Suggest, la méthode «Martine Aubry»
Pour faire circuler une rumeur sur Internet, la méthode la plus classique est de passer par la chaîne de mail. À savoir envoyer une information à une dizaine de contacts en leur demandant eux-mêmes de la «forwarder» à une dizaine de leurs contacts. La méthode est très virale, mais a le désavantage de rester sous le radar médiatique. La montée en puissance de Google Suggest, l'outil de suggestion de termes de recherche, permet maintenant de faire accéder la rumeur à une plus large audience, et même aux médias.
Voici une méthode possible, illustrée par le cas de Martine Aubry (même si l'on ne sait pas comment les rumeurs sur la maire de Lille ont été propagées).
1. Mobiliser des contacts dans toute la France en leur demandant de taper tous les jours la même requête dans Google. Une méthode parfois utilisée par les agences d'e-reputation pour faire remonter des suggestions.
2. Laisser agir l’algorithme de Google Suggest qui devrait repérer une activité notoire autour d’un nouveau mot-clé sur l’homme (ou la femme) politique et faire ainsi remonter tout en bas des suggestions ce mot-clé qui semble avoir une actualité. C'est le cas du mot «alcool» sur la recherche «Martine Aubry» au 15 septembre 2011, dont on peut d'avance prévoir qu'il aura autrement plus de succès que la requête «Martine Aubry facebook».
3. Laisser agir la curiosité humaine. Un résultat surprenant qui apparaît dans les suggestions a vocation à remonter plus haut par effet d’autosuggestion. C'étaient le cas des mots «alcoolique» et «voilée» sur la recherche «Martine Aubry» le 10 juillet. Ces deux mots ont depuis été retirés de la base de Google Suggest. Vous pouvez essayer, il n'est pas possible d'avoir une suggestion pour les mots «sexe», «salope», «les arabes» et donc depuis peu pour «Martine Aubry alcoolique» et «Martine Aubry voilée».
4. Une fois Google Suggest manipulé, créer les articles correspondants. Les suggestions de Google ne sont basées que sur les requêtes des internautes, ils n'anticipent en rien la pertinence des résultats. Il s'agit donc d'écrire des articles qui crédibilisent l'accusation. Pour ce faire, il est préférable de passer par des plateformes peu regardantes avec la véracité de l'information et qui ne risquent pas de censurer le contenu posté. Le service de questions-réponses Yahoo Answers est idéal pour ces basses oeuvres. Il convient de bien manier la forme interrogative pour qu'elle fasse passer l'information souhaitée.
5. Attendre que les médias ou que la personne concernée finissent par parler de ces rumeurs. Google Suggest donne une première visibilité médiatique à la rumeur et peut obliger les différents acteurs à en parler. Martine Aubry a pris les devants en juillet en détaillant au Journal du Dimanche toutes ces rumeurs pour tenter de les désamorcer. L'effet sur les recherches est immédiat, comme le montre l'outil Insights for search de Google pour la requête «Martine Aubry alcoolique».
La Voix du Nord a consacré en août un article entier à ces rumeurs sur Martine Aubry qui apparaîssent dans Google Suggest, contribuant là encore à les faire circuler. L'article ici-même en est une nouvelle manifestation. La boule puante est entrée dans le débat public, le rêve d'un cabinet noir numérique.
Vincent Glad