Joseph Macé-Scaron vit un supplice médiatique depuis trois semaines. Tout a commencé le 22 août par un article d'Acrimed qui révélait d'étranges similitudes entre son roman Ticket d'entrée et un livre de l'écrivain américain Bill Bryson. Quelques jours plus tard, le Nouvel Obs en rajoute une couche en montrant qu'on peut également retrouver des bribes de Jay McInerney dans le roman du directeur adjoint de Marianne. Puis L'Express relève d'autres reprises non sourcées dans son premier roman Trébizonde avant l'oubli, visiblement inspiré d'un livre d'Ernst Jünger. Le Monde s'attaque ensuite à son deuxième roman, Le Cavalier de la nuit, fortement impregné d'un livre de Victor Malka.
Face à cette avalanche d'articles de presse, Joseph Macé-Scaron trouve encore la force d'être convaincant. Sur le plateau du Petit Journal le 30 août, il revendique d'autres plagiats et plaide pour «un débat sur ce qu'est la littérature aujourd'hui: on n'écrit pas ex nihilo, on écrit par rapport à ce qu'on lit».
L'argument est recevable. Comme le plaide notre journaliste-écrivain-plagiaire Quentin Girard, le plagiat en milieu littéraire n'a pas vraiment de sens. Il peut être une imposture mais il peut aussi s'apparenter à un effet de style ou à un jeu avec le lecteur, quelque chose d'aussi banal et moderne que le mash-up en musique. Le mot plagiat, qui était pourtant revendiqué par Lautréamont, plagiaire multi-récidiviste, ne convient plus à notre époque pour ce genre de pratiques littéraires tant il est connoté négativement. On peut lui préférer le concept plus chic d'«intertextualité» que revendique Joseph Macé-Scaron.
Les choses se compliquent pour le journaliste quand L'Express révèle le 6 septembre 2 reprises non sourcées de passages du magazine Lire dans des articles de Macé-Scaron pour Marianne. «On a donc moins à faire à des dérapages isolés qu'à un système», écrit L'Express. Et surtout Macé-Scaron n'a plus d'excuses, le concept d'interjournalité n'étant pas encore développée sur les campus. Le journaliste n'a pas réagi depuis.
Le plagiat littéraire n'en est pas vraiment un, mais le plagiat des essayistes, chercheurs ou journalistes relève par contre de l'imposture intellectuelle. Le ministre allemand de la Défense, dont on avait découvert de nombreux copié-collés dans sa thèse de droit, en a fait les frais et a été poussé à la démission. S'il est encore permis d'épaissir le dossier Macé-Scaron, Slate peut révéler 4 nouveaux plagiats dans ses éditos pour le Magazine Littéraire qu'il dirige.
Macé-Scaron décompose Cioran
Dans un édito sur Jean Genet, Macé-Scaron reprend très largement des passages de Cioran, issu de son fameux Précis de décomposition. Le nom de l'écrivain roumain est rapidement cité, juste pour lui reconnaître cette citation assez faiblarde: «[Diogène], le plus grand connaisseur des humains.» Les passages de Cioran sont mélangés et quelque peu élagués, le clin d'oeil aux lecteurs est difficilement défendable.
Joseph Macé-Scaron dans le Magazine Littéraire le 24/11/2010 (lien)
Jusqu’à Genet, l’écrivain a une résignation d’automate: affecter un semblant de ferveur et en rire secrètement; ne se plier aux conventions que pour les répudier en cachette; figurer dans tous les registres; sauver la face alors qu’il serait si important de la perdre... [...] Que le plus grand connaisseur des humains pour Cioran ait été surnommé «Chien», cela prouve qu’en aucun temps l’homme n’a eu le courage d’accepter sa véritable image et qu’il a toujours réprouvé les vérités sans ménagement. L’écrivain qui réfléchit sans illusion sur la réalité humaine, s’il choisit la place publique comme espace de sa solitude, déploie sa verve à railler ses «semblables».
Emil Cioran, Précis de décomposition, 1949
Le penseur qui réfléchit sans illusion sur la réalité humaine, s'il veut rester à l'intérieur du monde, et qu'il élimine le mystique comme échappatoire, aboutit à une vision dans laquelle se mélangent la sagesse, l'amertume et la farce; et, s'il choisit la place publique comme espace de sa solitude, il déploie sa verve à railler ses «semblables» [...] Que le plus grand connaisseur des humains ait été surnommé chien, cela prouve qu'en aucun temps l'homme n'a eu le courage d'accepter sa véritable image et qu'il a toujours réprouvé les vérités sans ménagements. [...] Résignation d'automate: affecter un semblant de ferveur et en rire secrètement; ne se plier aux conventions que pour les répudier en cachette; figurer dans tous les registres, mais sans résidence dans le temps; sauver la face alors qu'il serait impérieux de la perdre...
Macé-Scaron plagie son propre article
Une courte citation mais un joli combo de plagiat: une resucée d'une interview de Finkielkraut... par Macé-Scaron dans Le Figaro en 2002. Aucune mention du philosophe n'est faite dans cet éditorial du Magazine Littéraire.
Joseph Macé-Scaron dans Le Magazine Littéraire le 29/12/2008 (lien)
Aujourd’hui, quand le passé est invoqué, c’est pour montrer son imperfection. Et ce n’est qu’habillé des derniers oripeaux de la mode, consacré vintage, qu’il se révélera «chic». Imbu de sa supériorité morale, le présent ne transmet plus que lui-même.
Alain Finkielkraut interviewé dans Le Figaro par Joseph Macé-Scaron et Alexis Lacroix le 14 novembre 2002
Si le passé est invoqué, c'est toujours pour montrer son abjection ou, au moins, son imperfection. Imbu de sa supériorité morale, le présent ne transmet plus que lui-même.
Le prof de littérature plagié
Cette fois, ce n'est pas à Cioran que Macé-Scaron oublie de payer sa dette mais à Patrick Sultan, agrégé de lettres classiques, qui écrit régulièrement sur des sites littéraires. C'est à se demander s'il a vraiment lu le livre de Jean-François Mattéi dont il est fait état.
Joseph Macé-Scaron dans Le Magazine Littéraire du 27/01/2011 (lien)
Dans son ouvrage extrêmement stimulant De l’indignation (éd. La Table ronde, 2005), le philosophe Jean-François Mattéi dévoile «la scène primitive de l’indignation philosophique» qui est non pas la mort de Socrate, mais son procès. En effet, l’indignation ne consiste pas à s’apitoyer sur son sort, à pleurer sur ses propres malheurs. [...] Aussi, contrairement à la colère, qui est le résultat d’une émotion et qui peut exploser pour les motifs les plus variés, l’indignation repose sur un fond de vérité rationnelle qui ne demande qu’à s’expliciter. Révolté par le spectacle de l’injustice (Socrate devant ses «juges»), le philosophe brûle de faire valoir les arguments de la justice. Cette ardeur éveille à l’éthique; le démon de l’indignation est une ouverture au Bien comme l’étonnement est le premier moment du savoir ontologique.
Patrick Sultan, Les visages de Némésis, 26 mai 2005 (lien)
[Jean-François Mattéi] dévoile «la scène primitive de l'indignation philosophique», un événement à la fois politique, religieux, moral; il s'agit non pas de la mort de Socrate mais de son procès. L'indignation ne consiste pas en effet à s'apitoyer sur son sort, à pleurer sur ses propres malheurs mais à s'insurger contre ceux qui font du mal à des personnes qui n'ont pas mérité une telle indignité. [...] À la différence cependant de la colère qui peut bouillonner et exploser sous l'effet de n'importe quelle cause, l'indignation, entre réflexion et désir, repose sur un fond de vérité rationnelle qui ne demande qu'à s'expliciter. Le sage, confiant dans la justice ultime, n'a pas à s'indigner mais le philosophe, révolté par le spectacle de l'injustice, brûle de faire valoir les arguments de la justice. Cette ardeur éveille à l'éthique; le démon de l'indignation est une ouverture au Bien comme l'étonnement est le premier moment du savoir ontologique.
Le clin d'oeil appuyé à Jean Giono
Pour celle-ci, on laissera le bénéfice du doute à Macé-Scaron. Il peut effectivement s'agir d'un clin d'oeil littéraire, même si la citation tirée d'un recueil de chroniques de Giono est reconfigurée.
Joseph Macé-Scaron dans Le Magazine Littéraire du 29/09/2008 (lien)
Il suffit simplement d’imaginer qu’il a fallu une rude poigne pour comprimer les étoiles et que c’est peut-être la même qui a serré le corps du monde jusqu’à l’éblouissante lumière et la dureté du diamant.
Jean Giono, La chasse au bonheur, 1966-1970
Il a fallu une rude poigne pour comprimer les étoiles; c'est la même qui a serré le corps du monde jusqu'à l'éblouissante lumière et la dureté du diamant.
Dans la même catégorie, Macé-Scaron reprend sans le citer dans un autre édito une phrase de Maurice Maeterlinck: «Si grande que soit notre lampe, ne donnons jamais l’huile qui l’alimente mais la flamme qui le couronne.»
Joseph Macé-Scaron n'a pas donné suite à nos demandes d'explication.
Vincent Glad