«Non, les jeunes ne sont pas dépolitisés!», écrit la politologue Anne Muxel dans son ouvrage L'expérience politique des jeunes. Pour preuve, chaque législature s’accompagne de visages novices à l’Assemblée nationale. Dont le benjamin des députés. Un titre honorifique, une petite gloriole personnelle, prémices d’une carrière rondement entamée. Et si aucun n’est encore devenu président de la Cinquième République, beaucoup ont connu une riche carrière ministérielle ou médiatique, sortant de l’anonymat des 577 députés.
Jeunes et ambitieux
Olivier Dussopt, l’actuel benjamin de l’Hémicycle et député socialiste de l’Ardèche (32 ans, élu à 28 ans), rêve-t-il déjà de Conseils des ministres? «Ce genre de responsabilités ne se demande pas, mais ne se refuse pas non plus», élude celui qui vient d’être «promu» porte-parole de la campagne de Martine Aubry pour la primaire du PS. Sa prise de position précoce en faveur de la maire de Lille lui a permis cette «promotion». Tout comme son «titre» de benjamin qui lui a offert une importante visibilité. «Cela sert à sortir de l’anonymat en début de mandat, consent-il. Mais je pense que Martine Aubry ne m’a pas choisi que pour cela.» Assurément ambitieux même s’il ne le dit pas ouvertement, le député de l’Ardèche voit loin. Légitimement.
«L’ambition politique? Il ne faut pas être hypocrite: oui, j’ai de l’ambition et je considère que c’est sain si elle est tournée vers ceux qui vous ont confié un mandat», justifie de son côté Laurent Wauquiez, le benjamin de 2004.
Avant eux, Michel Barnier, François Fillon, François Baroin ou encore Jean-François Copé ont connu l’honneur d’être le plus jeune représentant du peuple français avant d’orner leurs CV de lignes ministérielles. Une carrière précoce d’élu qui récompense souvent un parcours brillant. François Baroin, actuel ministre des Finances et plus jeune député de France en 1993, a collectionné les diplômes avant de battre des records de précocité et de devenir en 1995 le plus jeune ministre de la Cinquième République (porte-parole du premier gouvernement Juppé).
L’héritage du mentor
«La jeunesse est confrontée à un double impératif, analyse Anne Muxel. S'identifier à ses aînés et innover.»
Innover, beaucoup de ces jeunes députés ont tenté de le faire. François Fillon, en 1981, fait partie, avec Philippe Séguin, du «Cercle», une association prônant la rénovation de la vie politique. «Mon jeune âge m’a permis d’avoir un regard neuf, ce qui est un atout non négligeable dans un monde où il y a beaucoup de codes, de règles non dites, témoigne Laurent Wauquiez. Ça permet de secouer la poussière.»
Mais avant d’innover, il leur a fallu hériter. Ainsi ces jeunes députés doivent souvent leur entrée dans la sphère politique nationale à l’appui d’un mentor. A un héritage politique fort.
«Quand je me suis présenté, j’étais suppléant de Jacques Barrot depuis deux ans, pendant lesquels j’ai arpenté la Haute-Loire et défendu les projets de mon département, nous raconte Wauquiez, aujourd’hui ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. Il m’a confié comme mission de stage l’organisation d’Intervilles pour que je mette les mains dans le cambouis.»
François Baroin ne dit pas autre chose, même si dans son cas l’assise locale est moins présente, lorsqu’il confie en 2009: «J'ai construit ma vie politique autour de Jacques Chirac.» C’est également à l’ancien président que Jean-François Copé, à l’époque surnommé «bébé Chirac», doit son arrivée au Parlement comme député-maire de Meaux.
L’héritage d’un baron local ou d’une tête d’affiche nationale est le résultat d’un engagement partisan précoce. L’étape suivante est soumise aux circonstances. Auparavant assistant parlementaire de Joël Le Theule, député de la Sarthe, François Fillon prend la succession de son mentor, coopté par ses amis lorsque ce dernier décède et se fait élire, dès le premier tour, dans la même circonscription en 1981. A 27 ans.
Olivier Dussopt a œuvré autrement. Impliqué très tôt dans sa section locale du PS, il s’est vu confier en 2007 une circonscription considérée comme «difficilement gagnable» pour l’opposition. Effronté, le jeune socialiste a su saisir l’opportunité.
Le «mensonge» d’Estrosi
Etre le plus jeune des députés garantit-il alors de «faire carrière»? Depuis quarante ans, nombreux sont ces benjamins à avoir sillonné les ministères, ayant su profiter de la vitrine procurée par leur jeunesse pour gravir les échelons. Michel Barnier, benjamin en 1978 et actuel commissaire européen, a logé un temps au ministère de l’Environnement, un temps aux Affaires étrangères avant de finir par l’Agriculture.
Ministre délégué à l’Aménagement du territoire avant de passer à l’Outre-Mer et l’Industrie, Christian Estrosi, motard dans ses jeunes années, affiche ce qualificatif de benjamin dans sa biographie sur son site officiel ou sur celui du ministère de l’Industrie. Une manière pour cet ancien sportif professionnel, autodidacte, de légitimer sa reconversion politique.
Or, lorsqu’il devient député en 1988, le maire de Nice est âgé de 33 ans. Il est alors de deux ans l’aîné du socialiste Thierry Mandon, aujourd’hui maire de Ris-Orangis, à l’époque député de l’Essonne. Sollicité, Christian Estrosi n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.
«Plus tard, c’est certain, je ne mettrai pas “benjamin” de l’Assemblée sur ma carte de visite», sourit Olivier Dussopt. Et Laurent Wauquiez d’ajouter: «Ce que j’aimerais qu’on retienne de mes 3 ans à l’Assemblée, ce n’est pas le titre de benjamin, mais les dossiers sur lesquels j’ai travaillé.»
Pour autant, tous les benjamins ne connaissent pas forcément un succès gouvernemental et aucun n’a accédé à la magistrature suprême. Ce sera peut-être pour 2017. La lutte fratricide qui s’annonce pour être le champion de l’UMP opposera peut-être deux anciens benjamins: François Fillon et Jean-François Copé. Résultat d’un parcours initiatique engagé dès le plus jeune âge et d’un appétit aiguisé pour les hautes responsabilités.
Parti de gouvernement, parti au gouvernement
Rarement anodine, la trajectoire des benjamins du Palais-Bourbon peut aussi être tragique, comme pour Aymeric Simon-Lorière. «Sa trajectoire en politique peut être qualifiée de météoritique: elle reste marquée du double sceau de la brièveté et de l’exceptionnel», est-il écrit sur le site de l’Assemblée. Elu député du Var en 1973, il ne put aller au bout de son mandat, retrouvé mort en 1977 à son domicile parisien.
S’ils partagent tous brillance, précocité et ambition, la conjoncture politique a son importance. Jean-Marie Le Pen, benjamin en 1956 à 28 ans et réélu en 1958 sous les bannières du parti poujadiste, ne connaîtra jamais les dorures d’un maroquin. En revanche, il restera à jamais comme la figure emblématique de l’extrême droite française de la fin du XXe siècle.
Jean-François Jalkh lui «succède» en 1986 en devenant le deuxième benjamin frontiste de l’Hémicycle. Peu connu du grand public, celui qui fut député jusqu’en 1988 vient d’être nommé délégué général du FN après l’élection de Marine le Pen à la présidence du parti.
Pour connaître une carrière ministérielle, un jeune député doit donc appartenir à un parti de gouvernement. Mais aussi d’un parti au gouvernement. Les benjamins socialistes de l’Hémicycle depuis 1988 peuvent en témoigner. A l’image de Thierry Mandon, Cécile Helle fut benjamine, socialiste, de l’Assemblée en 1997, suppléant Elisabeth Guigou appelée au gouvernement. Comme son devancier, elle n’a pas connu les honneurs d’un ministère. La faute à une décennie cloisonnée dans l’opposition.
Sébastien Tronche