Quand Hewlett-Packard a annoncé, mi-août, qu'elle arrêtait de fabriquer sa tablette TouchPad, le geste n'a eu de surprenant que sa rapidité et son irrévocabilité. L'an dernier, nous avons assisté à pas moins de quatre tentatives notables de défier l'iPad d'Apple –le Xoom de Motorola, la Galaxy Tab de Samsung, le PlayBook de BlackBerry et le TouchPad d'HP(Les tablettes ont aussi été légion chez les marques secondaires). Si toutes ces tentatives se sont soldées par des échecs, la majorité des concurrents de l'iPad a tendance à rester évasive sur ses affreux chiffres de vente.
L'échec des concurrents de l'iPad
HP mérite donc son bon-point en admettant la réalité: quand le TouchPad a été mis en vente voici quelques semaines, c'était évident qu'il n'allait pas être à la hauteur du nirvana de la tablette qu'HP présageait pour son appareil en le dévoilant en février. Le TouchPad était instable, dépourvu d'applications et faisait toc au toucher. Les ventes ont été moroses, et à juste titre. HP a reconnu l'évidence: comment quelqu'un aurait-il pu préférer le TouchPad à l'iPad?
La décision d'HP devrait réveiller les autres rivaux d'Apple. J'espère qu'ils arrêteront, eux aussi, le massacre et repenseront leurs stratégies. Pour le moment, tous les rois de la tablette en devenir ont tenté de battre l'iPad en promettant de meilleures spécifications et fonctionnalités. Ils affirment que leurs appareils sont plus rapides que l'iPad, ou qu'ils sont moins restrictifs, d'une certaine façon – ils supportent Adobe Flash, et permettent donc d'accéder au «full web», ils offrent des sorties USB et d'autres ports pour se connecter à davantage de périphériques.
Ce plan de bataille a échoué. Apple a vendu 25 millions d'iPads à ce jour, et prévoit de doubler ce chiffre d'ici la fin de l'année. Clairement, les prétendus défauts de l'iPad laissent les acheteurs de marbre. En réalité, les «défauts» de l'iPad participent à son pouvoir de séduction. Les gens n'achètent pas un iPad parce qu'ils cherchent à remplacer un PC; ils en achètent un parce qu'ils veulent échapper à leur PC. L'iPad permet de faire certaines choses que vous faites sur votre ordinateur – les mails, les vidéos, le web – mais avec plus de facilité et moins de tracasseries. Dans ce sens, l'argument des concurrents selon lequel ils peuvent en faire davantage que l'iPad est absurde. Sur le marché de la tablette, en faire davantage avec une expérience utilisateur plus mauvaise ce n'est pas aussi bien qu'en faire moins, mais mieux.
Faire moins mais mieux, la stratégie qui pourrait marcher?
Voici donc une autre idée: quelqu'un devrait chercher à faire une tablette qui en ferait moins que l'iPad – mais mieux. Je pense à une tablette qui ne prétendrait pas être plus rapide, ni supporter Flash, ni faire de la retouche vidéo ou même posséder une webcam, elle ne chercherait pas non plus à être multitâche, et l'autonomie de sa batterie pourrait être inférieure à celle de l'iPad. Mais ce dont elle serait capable, elle le ferait merveilleusement.
Elle aurait un accès direct à une large bibliothèque de films, de musiques et de livres. Elle serait plus fine, plus légère, elle s'allumerait instantanément et offrirait une interface utilisateur fluide et intuitive. Elle aurait une plate-forme de téléchargement d'applications qui ne proposerait exclusivement, et à dessein, que des programmes parfaitement adaptés à son processeur pas trop rapide. (Vous pourriez jouer à des jeux de puzzle, mais pas à des jeux de guerre en 3D). Et le meilleur pour la fin: elle ne coûterait que 200$ [140€].
Quand je dis que quelqu'un devrait faire cet appareil, je n'ai qu'une personne sur ma liste – Jeff Bezos. En juillet, le Wall Street Journal annonçait qu'Amazon.com travaillait actuellement à une tablette dont la mise sur le marché se ferait à l’automne. Le WSJ citait des «personnes familières du dossier», sans les nommer, affirmant que la tablette d'Amazon tournerait sur une version d'Android de Google, et qu'elle n'aurait aucune caméra. John Gruber, de Daring Fireball, prétend aussi qu'Amazon aurait complètement remodelé Android pour ses propres besoins. Selon d'autres rumeurs, la tablette d'Amazon aurait un écran tactile peu sophistiqué, capable simplement de suivre deux doigts. (La plupart des tablettes actuelles, y compris l'iPad, peuvent en suivre dix).
C'est à peu près tout ce que nous savons de l'AmazonPad, mais ces signes sont encourageants – pas de caméra, pas d'écran multi-tactile, et une version d'Android spécifique au format tablette. Amazon semble donc bien en train de mettre au point une tablette qui en ferait moins que l'iPad. Reste à savoir si elle le fera mieux, ou moins bien.
Pourquoi l'AmazonPad pourrait avoir du succès?
Mieux qu'Apple, c'est certainement une gageure. Apple a passé des années à perfectionner son OS mobile, et je ne pense pas qu'Amazon ait une chance de proposer quoique ce soit d'aussi soigné. Mais Amazon peut concurrencer Apple sur d'autres terrains. Une partie de l'attrait du Kindle d'Amazon lui vient de sa connexion sans fil au site marchand d'Amazon. Quand vous allumez votre Kindle, il est tout de suite connecté à votre compte Amazon – vous pouvez vous mettre immédiatement à rechercher des e-books, et à les acheter. La tablette devrait offrir un accès comparable à la musique et aux films sur Amazon, mais aussi aux plate-formes de téléchargement d'applications Android.
Un autre avantage d'Amazon, c'est le prix. La plupart des concurrents d'Apple n'ont pas réussi, à ce jour, à battre l'iPad sur son prix. Apple a investi beaucoup d'argent, et son énorme part de marché, pour signer de juteux contrats à long-terme avec des fabricants de composants, et cela lui a permis de confectionner l'iPad à un prix bien moindre que d'autres marques.
Amazon peut concurrencer Apple de deux façons – la première, en utilisant des composants moins onéreux, et la seconde, en compensant une partie de son coût matériel par la vente de ses contenus numériques. Cette stratégie a très bien fonctionné pour le Kindle. Amazon semble à peine rentrer dans ses frais sur la vente du Kindle, mais cherche par ailleurs à faire du profit via les ventes de livres – soit l'exact opposé d'Apple, qui touche le gros lot par ses ventes matériels, et considère l'App Store comme la cerise sur le gâteau. Jeff Bezos est célèbre pour faire office de vendeur fou du monde informatique; dès que quelqu'un tente de s'aligner sur ses prix, il les baisse davantage. Ce qui s'appliquera certainement, aussi, à sa conception des tablettes.
Cette stratégie fonctionnera-t-elle? Je ne pense pas qu'elle écornera les ventes de l'iPad. Mais cela ne doit pas être le but. Les enquêtes consommateurs suggèrent qu'un grand nombre de gens a envie d'une tablette, mais les trouve trop chères – ces gens en achèteraient s'ils en trouvaient à moins de 250$ [170€]. Maintenant, cela veut peut-être dire qu'ils attendent que les prix de l'iPad baissent – après tout, pour beaucoup, «tablette» est synonyme d'iPad, et on ne sait pas clairement s'ils seraient prêts à acheter n'importe quel autre appareil moins cher. Heureusement pour Amazon, Apple n'atteindra pas le marché discount. (Ou du moins, ne l'atteindra pas dans un futur proche; la marque se contente de vendre autant d'iPads qu'elle peut en fabriquer). Ce qui signifie qu'Amazon pourrait globalement avoir le marché des bas prix pour lui tout seul.
La ruse, pour Amazon, serait soigner le marketing de son appareil, en évitant scrupuleusement de la faire passer pour une machine à tout faire. En réalité, ne parlez même pas de «tablette» - ce terme, en soi, suscite des attentes d'un équivalent de l'iPad, et Amazon devrait résister à une telle comparaison. La machine d'Amazon devrait plutôt largement s'inspirer du Kindle: fait pour consommer du contenu Amazon. Appelez-le Kindle Plus – et regardez-le se vendre comme des petits pains.
Farhad Manjoo
Traduit par Peggy Sastre