France

Chirac, DSK: corps publics

Temps de lecture : 7 min

«Affection neurologique» pour l’un, «maladie mentale» pour l’autre... Les pathologies de ces deux hommes politiques sont désormais des sujets ouvertement médiatiques.

Jacques Chirac et Dominique Strauss-Kahn, en 1998. Yves Herman / Reuters
Jacques Chirac et Dominique Strauss-Kahn, en 1998. Yves Herman / Reuters

Un ancien ministre socialiste présenté il y a peu encore comme un futur président de la République rentre en France; accusé de viol à la mi-mai, il a dû démissionner de son poste de directeur général du Fonds monétaire international. A la même heure ou presque, un ancien président de la République française est convoqué devant la justice. Il doit répondre d’«abus de confiance», de «détournement de fonds publics» et de «prise illégale d'intérêt» dans une affaire vieille de près de vingt ans, celle dite «des chargés de mission de la Ville de Paris». A l’époque, il était maire de la capitale et président du RPR.

Dominique Strauss-Kahn, 62 ans; Jacques Chirac, 78 ans. Tout ou presque sépare ces deux hommes comme les deux affaires. Tout, à l’exception de la santé de l’un et de l’autre qui fait depuis peu l’objet de débats publics; un phénomène peu banal en France où la question de la santé des hommes politiques était toujours demeuré une forme de tabou républicain.

Jacques Chirac. A la différence notable de François Mitterrand, il n’avait jamais pris d’engagements quant à la publication régulière de bulletins de santé lors de l’exercice du mandat de président de la République. De fait, et contrairement à son prédécesseur à l’Elysée, il n’eut pas besoin d’avoir recours à un système de certificats médicaux masquant une réalité pathologique.

Le 2 septembre 2005, il y a sept ans, Jacques Chirac est hospitalisé à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce (Paris). Il vient d’être victime d’un accident vasculaire cérébral qui a provoqué un trouble transitoire de sa vision. Il sort de l’établissement hospitalier parisien une semaine plus tard et ne souffrira pas de séquelles notables.

Sept ans plus tard qu’en est-il de l’état de santé de l’ancien président de la République? Plusieurs rumeurs circulent depuis quelques mois. Elles laissent entendre que Jacques Chirac présenterait un cortège de symptômes évocateurs d’une affection neurologique de type dégénératif.

Ce que disent les visiteurs

Le fait a notamment été évoqué à l’approche de sa comparution — initialement programmée en mars — devant la justice. Il avait aussitôt été dénoncé par ceux qui estimaient qu’il ne s’agissait là que d’un argument de circonstance visant à le protéger d’une épreuve quelque peu humiliante et sans précédent sous la Ve République.

Nouvelles rumeurs insistantes à l’approche de la nouvelle échéance judiciaire, fixée le lundi 5 septembre. Citant «un visiteur régulier», Le Parisien/Aujourd’hui en France fait la synthèse des éléments cliniques circulant, plus ou moins, sous le manteau. «Malgré les photos le montrant à la terrasse du célèbre café Sénéquier sur le port de Saint-Tropez, un verre de piña colada à la main, Jacques Chirac a vécu un été difficile. Son état de santé ne cesse de fluctuer», écrit le quotidien. On cite un proche attristé: «Parfois il peut tenir une conversation, parfois il perd un peu la boule. Il fait de longues siestes dans la journée et se montre souvent fatigué.» Un ami: «Il peut se montrer volontiers grivois. Cela peut devenir gênant.»

On évoque d’autres faits, peut-être plus gênants encore. Il ne serait plus souvenu, lors d’un dîner récent, ce qui avait bien pu se passer en France lors du mois de mai 1968. Il y a peu, Rachida Dati était toujours, pensait-il, membre du gouvernement.

Après la récente et spectaculaire sortie de l’ancien Président invitant à voter pour François Hollande à la prochaine présidentielle, Nicolas Sarkozy aurait évoqué les effets d’une «désinhibition». D’autres proches estiment que l’homme «n’est pas gâteux» et «peut tenir le coup».

Que va faire la justice?

Et puis cette nouvelle pièce versée au dossier : le rapport médical signé du Pr Olivier Lyon-Caen, spécialiste réfuté de neurologie, chef de service au groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris) par ailleurs ancien membre du cabinet de Lionel Jospin, alors Premier ministre. Ce rapport (sollicité par son épouse et sa fille Claude) et révélé par Le Monde conclut à un «état de vulnérabilité»; état qui ne lui permettrait plus de répondre à des faits précis remontant à une vingtaine d’années. Jacques Chirac souffrirait d’une «affection neurologique» de nature dégénérative et de l’ensemble des symptômes qui y sont associés.

Informés de l’essentiel du contenu de ce rapport médical, la plupart des spécialistes de neurologie estiment que les symptômes présentés par Jacques Chirac évoquent deux pistes diagnostiques: soit une maladie d’Alzheimer, soit une «démence» (entendre ici perte d’autonomie) d’origine vasculaire qui pourrait être liée à son accident survenu il y a sept ans.

Les deux situations peuvent aussi coexister. Pour sa part le Journal du Dimanche (du 4 septembre) croit avoir trouvé le nom de l’affection: une anosognosie. Il ne s’agit toutefois là que d’un symptôme (l’impossibilité pour un malade de prendre conscience de l’affection dont il est atteint quand celle-ci est manifeste) très fréquent dans de nombreuses pathologies neuro-dégénératives apparaissant après un accident vasculaire cérébral.

Dans ce contexte que va faire, demain, la justice? Depuis 1997, une jurisprudence de la Cour de cassation veut que «lorsque l'altération des facultés d'une personne mise en examen est telle que celle-ci se trouve dans l'impossibilité absolue d'assurer effectivement sa défense, il doit être sursis à son renvoi devant la juridiction de jugement».

Pulsions

Mais l’affaire dépasse d’ores et déjà la présence physique de l’ancien maire de Paris à son procès. Avec ce certificat médical, la question est directement soulevée de l’exclusion de Jacques Chirac des travaux du Conseil constitutionnel où il siège — sa dernière présence en séance date du 9 décembre 2010 — du fait de ses anciennes fonctions présidentielles.

Dominique Strauss-Kahn. Dans ce cas, ce sont les propos de l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard, 71 ans, qui ont été le facteur détonnant. Lundi 29 août sur Canal +, Michel Rocard déclarait que son ami DSK souffrait d’une «maladie mentale» qui faisait qu’il «ne maîtrise pas ses pulsions». 48 heures plus tard, il disait «regretter» ses propos «à l’emporte-pièce».

Entretemps, il avait mis le feu aux poudres dans les sphères politiques et ouvert une voie officielle aux commentaires médicaux. «Je crois que Michel Rocard a quelques difficultés aussi à maîtriser les siennes, de pulsions. Quand on est comme ça en public, sur des questions privées, on s'impose un minimum de retenue», avait aussitôt réagi Jack Lang. Et Laurent Fabius d’ironiser: «Je ne savais pas que Michel Rocard était un expert médical international reconnu».

Pour autant émergeait bien publiquement la question psychiatrique récurrente du syndrome d’addiction sexuelle. A laquelle de nombreux experts ont tenté de répondre.

A commencer par celles de Dr Roland Coutanceau, psychiatre et criminologue, président de la Ligue française de santé mentale :

«Avec ses mots d’amateur Michel Rocard a probablement voulu faire référence à un homme qui souffre de difficultés à maîtriser ses pulsions. Cela ne relève pas de la maladie mentale mais d’un trouble de la personnalité. Les avocats de DSK se sont toujours contentés de dire : ce n’est pas une agression sexuelle. Et l’un d’eux, Brafman, a dit qu’il ne conseillait pas à son client de raconter à son retour en France ce qui s’est réellement passé. Comme si effectivement il s’agissait de “sexe précipité” même si l’on est proche de l’agression sexuelle. »

Jean-Pierre Friedman, docteur en psychologie:

«On est face à un cas de maladie mentale. Je n’ai jamais examiné DSK mais je me suis beaucoup documenté sur lui, et j’en ai déduit qu’il est atteint de psychose (…) on songe à Dr Jekyll et Miter Hyde: un homme intelligent, bien élevé, cultivé, qui se transformerait en bête fauve avec les femmes (…) Quand un homme propose systématiquement aux femmes de faire l’amour, c’est simplement caractériel. Si devant un refus il passe tout de même à l’acte, c’est un désordre mental (…) Une injonction de soins aurait été nécessaire.»

Le Dr Mireille Bonierbale, psychiatre, et responsable du centre ressource d’information sur les auteurs de violences sexuelles de Marseille:

«Il y a quelque chose de pathologique dans le comportement de DSK : le risque considérable qu’il a pris en ayant une relation sexuelle avec cette femme de ménage montre qu’il souffre d’un trouble de la gestion des pulsions sexuelles (…) La volonté de s’affirmer et le goût du risque, appuyés par l’intelligence et la connaissance font que DSK excelle dans son domaine de prédilection : la finance. En revanche, ces mêmes points constituent un talon d’Achille dans le domaine relationnel.»

Seule voix légèrement dissonante dans ce concert de diagnostics portés à distance, celle du Dr Jean-Claude Matysiak, psychiatre chef du traitement des maladies addictives à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, co-auteur avec son confrère Marc Valeur du récent ouvrage Le Désir malade:

« Parler de maladie mentale c’est dangereux. Ces termes sont lourds et chargés de sens. Ils déresponsabilisent. (…) Il ne faut pas tout confondre. Une addiction au sexe n’est pas une maladie mentale, c’est un trouble de la personnalité, l’individu reste conscient de ce qu’il fait, et de ce fait, totalement responsable de ses actes. Dans ce type d’addiction, on commence pour le plaisir, et ensuite on ne se maîtrise plus (…) La séduction à outrance révèle une grande immaturité et une mauvaise estime de soi. C’est un comportement infantile.»

Pas maladie donc, encore moins mentale mais, souvent bien au-delà des apparences, immaturité et infantilité.

Et le Dr Matysiak a ces mots:

«Quant aux liens entre sexe et pouvoir, ils devraient être plus étudiés. Dans les hautes sphères, certains peuvent perdre pied. Les cartes sont faussées et ils dépassent la ligne blanche sans plus savoir ce qui est autorisé ou pas. »

Dès lors que conclure ? Mieux étudier les rapports multiples et complexes pouvant exister entre la sexualité et le pouvoir (sa quête, son exercice, ses lendemains) ? Sans doute. Mais il est bien peu vraisemblable que les fruits de ces études puissent trouver un jour des applications préventives. Le refus des « hommes de pouvoir » de faire la transparence sur leur corps et leur santé apparaît bel et bien comme un invariant moderne, l’avènement de la laïcité ayant eu ici comme corollaire d’en finir de manière définitive avec les deux corps des rois.

Jean-Yves Nau

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