Après le sel, le sucre. Après l’indispensable, le superflu. Après des siècles de gabelle, l’heure est à la taxation du sucre. François Fillon, le 24 août:
«(…) il faut mener des politiques de santé publique, et on sait que le tabac, l'alcool et les boissons sucrées avec l'obésité sont à la source de dépenses de santé importantes. C'est normal de taxer l'alcool, le tabac, et les boissons dans lesquelles on rajoute du sucre.»
Le Premier ministre s’exprimait dans le cadre du plan gouvernemental de réduction des déficits publics dont l’un des objectifs est de plafonner à 2,8% l’augmentation des dépenses de santé en 2012. Les pouvoirs publics attendent ici un peu plus d’un milliard d’euros de recettes supplémentaires l’an prochain: 600 millions d’euros via le tabac, 340 millions sur les ventes d’«alcools forts» (les rhums étant ici étrangement épargnés) et 120 millions d’euros sur celles des boissons avec sucre ajouté.
Réunir, au nom de la santé publique et dans un même programme de taxation fiscale, le tabac, les boissons alcooliques et le sucre constitue une première. C’est aussi un symptôme de la volonté croissante des pouvoirs publics d’agir coûte que coûte sur les comportements alimentaires. On peut ici agir de manière directe (comme c’est le cas depuis plusieurs années en France) en incitant, par voie publicitaire à la consommation avec modération, à bouger son corps et à l’absorption quotidienne de cinq fruits et légumes.
Mais l’action peut également se faire de manière indirecte; par exemple en augmentant le prix des boissons dans lesquelles on a ajouté du sucre; soit pour l’essentiel les sodas et parmi eux ceux de la marque Coca-Cola.
«Mesure bouc émissaire»
C’est ainsi le PDG de Coca-Cola France Tristan Farabet (par ailleurs président du syndicat national des boissons rafraîchissantes) qui a été le premier à réagir; et vivement. Farabet (dont l’entreprise emploie 3.000 salariés sur cinq sites en France) ne voit là qu’une «mesure de bouc émissaire» sans aucune justification en termes de santé publique. Il dit avoir accueilli «avec stupeur et beaucoup d'incompréhension» l’annonce d’une «mesure injuste qui va frapper la quasi-totalité des ménages français». Et d’affirmer que ce n’est pas en «s’attaquant» à ce seul segment alimentaire que l'on va «résoudre le problème réel de santé publique qu'on a avec le surpoids». Farabet:
«Nous souhaitons que le gouvernement renonce à cette taxe qui frappe une industrie qui a fait le choix du ‘’made in France’’ et qui contribue déjà très largement à l'économie française.»
Mais que se passera-t-il donc si tel n’est pas le cas?
Officiellement, c’est au nom de la lutte contre l’obésité que le gouvernement a décidé cette nouvelle taxation. Et il prend soin de rappeler quelques chiffres. Entre 1997 et 2009, les Français ont grossi en moyenne de 3,1 kg alors que leur taille ne progressait dans le même temps que de 0,5 cm. Et la prévalence de l'obésité qui s'élevait à 8,5 % en 1997 atteint désormais près de 15 %, soit une progression de plus de 70% en 12 ans.
La France serait ainsi sur le chemin de croix des Etats-Unis où la taxation sur les sodas fait l’objet de controverses récurrentes. Or si les conséquences pathologiques de la consommation chronique de tabac et de la consommation excessive de boissons alcooliques n’est pratiquement plus contestée (environ 60 000 décès prématurés par an), le lien de causalité entre consommation de soda et obésité est, lui, bien loin d’être démontré.
La plupart des spécialistes de ces questions expliquent qu’il s’agit là d’une pathologie dont les origines sont multiples et que la simple réduction des apports sucrés ne saurait, à elle seule, régler la question. Seule une prise en charge longue et adaptée, jouant sur les différents facteurs impliqués dans l’obésité (mais aussi dans la simple surcharge pondérale), permet d’espérer corriger la situation.
Une taxe qui ne changera rien sur les habitudes alimentaires
Le gouvernement français rappelle que l'Organisation mondiale de la Santé elle-même prône le renchérissement des boissons sucrées comme mesure destinée à combattre l’obésité. En pratique la décision prendra effet au 1er janvier 2012 et se traduira par une augmentation de l’accise spécifique sur les boissons sucrées. Ceci ne devrait toutefois correspondre qu’à un renchérissement de 1 à 2 centimes d’euros du prix de vente de la canette.
Voici donc une mesure qui, sur le fond, n’est pas de nature à atteindre l’objectif affiché. Et c’est en outre une mesure qui, sur la forme, ne devrait pas constituer un frein à la consommation. Dès lors comment comprendre? On peut raisonnablement penser que les pouvoirs publics prennent date en expérimentant une nouvelle approche.
Il ne s’agirait plus d’inciter à des règles de bonne conduite hygiéno-diététiques mais bien, progressivement, de contraindre par le biais du porte-monnaie et de la carte de crédit à suivre ces mêmes règles. Xavier Bertrand, ministre de la Santé, ne dit rien d’autre:
«Je me suis battu pour qu'on puisse obtenir une différence entre les sodas qui sont particulièrement sucrés et ceux qu'on appelle les sodas light c'est-à-dire sans sucre ajouté. Cela va permettre que tous ces produits sans sucre ajouté coûtent au final moins cher que les autres et qu'on puisse adapter et changer son comportement».
La France ne fait pas ici cavalier seul. L'association nationale des industries alimentaires (qui dénonce violemment une mesure «illogique et scandaleuse» et qui plus est «sans justification scientifique») observe que quelques pays (comme la Belgique, le Danemark, la Finlande ou les Pays-Bas) appliquent déjà un droit d'accise sur le sucré. Le sujet commence aussi à agiter la communauté médicale et scientifique concernée, comme le détaille sur son blog le Pr Antoine Flahault, directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) (1).
L'exemple hongrois
Il rappelle que les Hongrois ont décidé de mettre en place, à compter du 1er septembre, une taxe sur une série d’aliments contenant trop de sel et de sucre (chips, noisettes, chocolats, biscuits sucrés, glaces et sodas). En Hongrie un adulte sur deux est en surpoids ou obèse. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban a justifié ces mesures en expliquant que «ceux qui prennent des habitudes dangereuses pour leur santé doivent contribuer davantage à renflouer le système de santé du pays». François Fillon dit-il, sur le fond, autre chose?
Dans les colonnes de l’hebdomadaire médical britannique The Lancet, qui consacre une série à l’épidémie croissante d’obésité à travers le monde, des spécialistes estiment (sans il est vrai de disposer de preuves irréfutables) que les mesures les plus efficaces consisteraient à taxer massivement produits alimentaires et boissons tenus pour être mauvais pour la santé.
Il conviendrait aussi de réduire la publicité sur les sodas et les snacks comme le temps passé devant la télévision. Il faudrait, enfin, inciter à une bonne alimentation et à une activité physique régulière. Puisqu’il s’agit de santé publique et d’équilibre des comptes de la Nation pourquoi ne pas contraindre de préférence à tenter de convaincre? Jusqu’où l’Etat pourra-t-il, demain, intervenir dans nos préférences gustatives et nos choix alimentaires?
Jean-Yves Nau
(1) Avertissement: Antoine Flahault a tenu sur Slate.fr un blog, avec Jean-Yves Nau, sur la pandémie de grippe H1N1.