Culture

Pourquoi les romans d’ado sont-ils de plus en plus trash?

Temps de lecture : 8 min

Avec le succès du dystopique Hunger Games, on est bien loin du presque gentillet Harry Potter. Les romans d'ado deviennent de plus en plus trash, reflet de notre société angoissée ou simple réinterprétation des genres?

Jennifer Lawrence, qui joue le rôle de Katniss Everdeen, dans The Hunger Games, le film
Jennifer Lawrence, qui joue le rôle de Katniss Everdeen, dans The Hunger Games, le film

Harry Potter, c'est fini. Le jeune héros a donné son dernier coup de baguette magique dans l'épisode final, Harry Potter et les reliques de la mort. Pendant 13 ans, l'écolier binoclard de Poudlard aura suscité l'émoi chez les enfants et les adolescents.

Au total, plus de 400 millions de livres vendus et plus de quatre milliards d'euros de recettes tirées des sept premiers films. Un succès qui s'explique selon Isabelle Smadja, psychologue et philosophe, spécialiste de cette saga, par le fait que les jeunes ont très tôt adopté le héros:

«Les adolescents ont grandi avec ce personnage. Harry Potter a un effet-miroir, puisque les lecteurs y lisent leurs désir d'une amitié véritable, d'un monde toujours en mouvement et débordant de surprises et d'actions; ils y lisent aussi leurs expériences du monde scolaire et de leurs relations aux adultes, qui oscillent entre volonté de transgression et respect de leurs peurs. Mais, du fait de son exotisme, il a aussi un effet-fenêtre: il ouvre des perspectives, d'autres mondes.»

Dans son livre, l'auteure J. K Rowling crée un véritable monde parallèle, débordant de détails et de références à la bible, aux contes et légendes et à la mythologie. Ce mélange de cultures correspond aux disponibilités qu'offre aujourd'hui internet. Un clin d'œil à la société moderne dans lequel sont plongés les adolescents, explique Isabelle Smadja:

«Les inventions, comme la carte du maraudeur qui demande un mot de passe ou la cape d’invisibilité, parlent à la génération des «screenagers» en leur fournissant des métaphores qui fonctionnent comme des véritables outils de l'imagination pour intégrer, modeler ou traduire dans l'imaginaire leur expérience de ce nouvel espace qu'est l'espace visuel»

Sexe, sang et vampires

Harry Potter a apporté un nouveau souffle à la littérature ado, au point de laisser un vide chez les jeunes qui avaient suivi les aventures de ce jeune garçon depuis l'âge de 10 ans. Pour combler ce manque, les auteurs se sont penchés sur les histoires de vampires.

Désormais, leurs nouveaux héros s'appellent Damon et Stefan dans Vampire Diairies et Edward dans Twilight. Avec eux, on est loin du personnage d’Harry, le petit garçon gentillet. Place aux vampires sexy, dépendants au sang, un peu comme des drogués à l'héroïne, qui tentent de se sevrer en mangeant macro-bio (sang d'animaux). Avec la littérature, les vampires revivent une seconde jeunesse et un second succès, observe Jean Marigny, spécialiste du sujet:

«Aujourd’hui, les ados aiment s’identifier à des personnages de fiction qui leur ressemblent et qui ont des pouvoirs extraordinaires. Les vampires modernes ne peuvent que leur plaire. Ils sont lycéens et ont des problèmes semblables aux leurs. Ils se sont débarrassés de l’aura diabolique qui émanait traditionnellement des vampires puisqu’ils n’ont plus besoin de tuer pour survivre et qu’ils ne consomment que du sang provenant d’animaux. Par ailleurs, sur le plan pratique, ils ne craignent pas la lumière, ils ne dorment pas le jour, ce qui leur permet d’avoir une existence normale»

Stefan, Damon et Edward incarnent la nouvelle génération de vampires séducteurs. Les chastes baisers entre Harry Potter et Chuang Cho dans L’Ordre du Phoenix font pâle figure comparés à ceux de Bella et d’Edward Cullen dans Twilight. Dans la saga de Rowling, le jeune Harry préfère se battre contre Voldemort.

Pour le côté Don Juan, il laisse ce rôle à ces jeunes éphèbes, portés sur la jugulaire et les relations sentimentales torturées: de véritables aimants pour adolescentes en mal «de sensations fortes». Dans Vampire Diairies et Twilight, le sexe et l'amour occupent une place prépondérante. Triangle amoureux pour le premier et relation platonique mêlée de tensions sexuelles pour le second. Le vampire, autrefois objet de dégoût, se transformerait-il en Casanova?

Le vampire n'est plus tabou

De l'avis de Jean Marigny:

«A l’époque où Bram Stoker écrivait Dracula, il y avait un tabou sur la sexualité et l’on voyait le diable partout. Dans la société victorienne, le vampire ne pouvait être qu’un personnage effrayant et maléfique. La société occidentale contemporaine est devenue infiniment plus tolérante et, sauf cas particuliers, la libération sexuelle est généralement acceptée. Les parents font prendre la pilule à leur fille et achètent des préservatifs à leur fils. La sexualité n’est plus un tabou. Le vampire moderne est plutôt séduisant, éternellement jeune, invulnérable et immortel. Il est donc a priori un objet sexuel idéal et il n’est plus un fruit défendu».

La littérature adolescente ne fait plus dans le fleur bleue. Désormais, les auteurs y évoquent sans détour la sexualité.

«N’oublions jamais la loi sur la censure de juillet 1949 qui "contraint" les publications destinées à la jeunesse dans des normes de non incitation à la violence, au racisme, à la mise en scène "crue" de la sexualité. Les questions sexuelles apparaissent fréquemment dans les romans pour ados et il est important d’en parler. Cela fait, ô combien, partie de la vie et intéresse particulièrement les adolescents "travaillés" comme jamais par ces questions dans leur tête et dans leur corps», analyse Joëlle Turin, écrivain et critique en littérature jeunesse.

Le vampire est aussi l’archétype idéal pour aborder d’autres problèmes adolescents comme la drogue. Jolie figure de style dans Vampire Diaries, la soif de sang humain est perçue comme une véritable addiction, Damon calme ses pulsions à coup de grands verres de whisky. Les héros ressemblent à des camés à l’héroïne, en recherche perpétuelle de leur dernier shoot.

«Si les vampires de la bit-lit ((littéralement, "littérature mordante pour jeunes femmes") étaient uniquement des personnages parfaits, ils deviendraient rapidement ennuyeux. Ce qui donne une certaine épaisseur psychologique à des personnages comme Stefan et Edward, c’est qu’ils sont en butte à un conflit intérieur. Ils veulent être humains mais ils doivent sans cesse lutter contre leur instinct vampirique et ce combat ressemble à celui que doit affronter le drogué qui veut se libérer de son addiction», décrypte le spécialiste des vampires.

Les ados accros à la dystopie

Après avoir abreuvé nos charmants ados d’histoire de vampires jusqu'à plus soif, le monde de l'édition jeunesse s'est retranché dans un nouvel univers: celui de la dystopie. Un genre mineur de science fiction qui dépeint la lutte pour la liberté de héros atypiques dans une société d'oppression ou des univers post apocalyptiques.

La dystopie, en réalité tout le monde connaît déjà, avec le très précurseur Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley, (écrit en 1932) ou encore 1984 de Georges Orwell.

Des grands titres qui ont donné leurs lettres de noblesse au genre et ont drainé dans leur sillon tout un tas d'ouvrages plus ou moins réussis, destinés généralement à un public de jeunes adultes à tendance conspirationniste...

Mais si tout le monde connaît les grands classiques et les sagas de gare, la grande nouveauté c'est bien de voir ce genre visité par la littérature jeunesse. Avec Hunger Games, littéralement «Les jeux de la faim», de Suzanne Collins, saga contre-utopique pur jus particulièrement cruelle, la dystopie fait sa grande entrée dans le roman adolescent.

La trilogie retrace les aventures de Katniss Evergreen, adolescente de 16 ans vivant dans une Amérique post apocalyptique du nom de Panem. Dans cet univers anxiogène, où chacun doit lutter pour survivre, le gouvernement lance un jeu télévisé, les Hunger Games, des combats à mort entre deux enfants de 12 à 18 ans issus de chaque district de la ville.

Angoisse ambiante ou réinterprétation?

Un concept particulièrement trash qui relègue Harry Potter et ses gentils combats contre les dragons au rang de trip initiatique pour débutant. Le titre est un véritable succès outre-Atlantique avec 7 millions d’exemplaires vendus.

En France, il est en passe de devenir le nouveau phénomène de littérature adolescente, 100.000 exemplaires ont été écoulés pour le premier tome, et près de 40.000 pour le troisième qui vient de paraître. Pour Natacha Derevitsky, directrice d'édition chez Pocket Jeunesse qui a fait le pari d'éditer les Hunger Games:

«L’émergence de ce type de roman tient aussi à un environnement culturel, cela vient d’une certaine anxiété, d'une angoisse ambiante que ressentent les auteurs, notamment avec le nombre de catastrophes naturelles et leurs effets relayés extrêmement vite par les médias. Ce qui fait qu'on a eu plein de titres d’un coup, et qu'il y a maintenant une vraie famille de titre dystopiques pour les jeunes.»

Xavier D'Almeida directeur de la collection dans laquelle sont édités les Hunger Games décrypte lui la tendance différemment :

«On assiste à une réinterprétation de genres qui étaient réservés à la littérature adulte. Beaucoup de romans pour jeunes ont adapté des recettes de certains genres, comme les romans de vampires ou de SF. Avec la dystopie, c’est la même chose. On a ajouté plus de romance, rendu l’histoire plus accessible et moins technique. Enfin, il y a le regard que va proposer la dystopie sur la société actuelle, sur un monde qui aurait dérivé.»

La qualité, plus que le genre

Le regard critique, un nouvel ingrédient de la littérature de nos jeunes? La simple lutte contre les forces du mal, trop premier degré, serait donc devenue complètement tarte pour les ados? La littérature dystopique paie tout de même son tribut au précurseur à baguette, assure Xavier D'Almeida:

«C’est Harry Potter qui a tout changé. On a arrêté d’essayer d’éviter les sujets plus durs, comme la mort ou la rébellion. Avant, il y avait une espèce de réflexe de protection de l’enfance qui exerçait des tabous sur la littérature jeunesse. Avec la littérature d’ado de maintenant, on peut dépasser ces tabous, se confronter à des choses plus dures et plus sombres.»

Pour autant les professionnels reconnaissent que ce n'est pas seulement cette deuxième lecture qui a déclenché le succès d'Hunger Games, dont la critique de la société peut dépasser certains jeunes lecteurs.

Ce qui fait réellement le succès de la trilogie tient dans une écriture extrêmement maîtrisée et froide, bien en dehors du mélo, qui dépeint des situations dramatiques intenses avec un véritable triangle amoureux et un personnage principal particulièrement réussi.

«L'héroïne n’est pas une héroïne conventionnelle, romanesque ou effacée comme on avait l’habitude d’en voir dans les autres ouvrages, ce n’est ni une fée, ni une princesse mais un personnage féminin qui prend vraiment son destin en main», explique Xavier D'Almeida.

L'offre crée la demande

Hunger Games s'imposerait ainsi par ses qualités narratives. Son genre, sa violence et son contexte créatif, seraient à mettre au second plan, et ne devraient en aucun cas être perçu comme une demande de violence toujours plus extrême de la part de nos jeunes lecteurs.

«Dans notre métier, c'est l'offre qui crée la demande», confirme Natacha Derevitsky. La trilogie dystopique de Suzanne Collins, est donc bien l'exception qui a lancé la règle. Presque tous les manuscrits qui atterrissent sur le bureau des deux deux éditeurs de Pocket Jeunesse désormais sont de savants mélanges d'univers Fantasy ou vampiriques... tous passés à la sauce dystopiques.

«Avec l’apparition de Hunger Games, la dystopie est devenue le troisième genre de référence de la littérature jeunesse après les magiciens et les vampires», explique Xavier D’Almeida.

Le roman pour ado devrait donc continuer de bercer ses lecteurs de douces désillusions en leur offrant à découvrir des univers où l'amour est interdit (Delirium de Lauren Oliver), où la société contrôle tout de votre vie (Promise de Ally Condie ) et où le fait d’être laid est interdit par la loi (Uglies de Scott Westerfeld).

Pas de panique. Pour la critique Joëlle Turin, le lecteur, pour autant qu'il soit jeune, ne perd en aucun cas pied dans la fiction.

«Les représentations de la violence ou de la sexualité sont comprises par les lecteurs comme des «représentations» et non pas comme la réalité ou un miroir fidèle de la réalité. Elles peuvent déranger, voire blesser au moment de la lecture mais elles ne laissent pas de cicatrices, elles suscitent une élaboration, une mise à distance, une activité du lecteur qui n’est en rien passif et dupe.»

Une mise à distance qui, il faut l'espérer, fonctionne toujours lorsque l'on passe à l'image. La plupart des grands succès de la dystopie ont tous prévu d'être adapté à l'écran. Pour Hunger Games dont on a pu voir les premières images, la sortie est prévue courant 2012.

Laura Guien et Stéphanie Plasse

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