La révolution libyenne semble connaître l’issue espérée. «Quelques victoires marquantes, quelques actes d’une grande bravoure du côté des patriotes et une entrée triomphale dans la capitale,» comme l’aurait écrit Evelyn Waugh. Tel était l’objectif des Occidentaux dans cette guerre – même si la guerre en question a duré plus longtemps que prévu et qu’elle n’est peut-être pas finie. Lundi, les rebelles se sont emparés de la Place verte et ont proclamé leur victoire. Mardi, Saïf al-Islam Kadhafi, dauphin du régime (un temps donné pour capturé) circulait autour de Tripoli dans un convoi blindé en affirmant que les rebelles venaient de tomber dans un fantastique piège.
Voilà bien le problème des guerres et des révolutions: elles ont la faculté de s’éloigner de leurs objectifs initiaux et de surprendre ceux qui en sont à l’origine. Elles peuvent même continuer quand elles sont censées avoir pris fin. Elles s’étendent à de nouvelles régions et provoquent de nouveaux conflits. Même les guerres qui se soldent par des cérémonies solennelles et par des traités de paix élaborés peuvent renaître de leurs cendres. La Première guerre mondiale enfanta la Seconde, qui enfanta la Guerre froide qui enfanta la guerre de Corée et ainsi de suite...
La révolution libyenne n’est pas condamnée à se solder par une guerre civile. Mais rien ne garantit que ce ne sera pas le cas. Dans un cas comme dans l’autre, notre capacité d’intervention sur le cours des événements est limitée. Nous pouvons aider les rebelles, comme nous l’avons déjà fait: ils ont, en plus du soutien aérien de l’OTAN, reçu une formation des forces spéciales britanniques et françaises, ainsi que des armes et des conseillers d’autres pays d’Europe et du Golfe, notamment du Qatar. Mais nous ne pouvons faire la guerre à leur place, les unifier par la force et nous ne pouvons davantage écrire leur nouvelle constitution. Au contraire, si nous sommes trop visibles en Libye, que ce soit avec des troupes au sol ou par la présence intempestive de conseillers aux lunettes fumées, nous deviendrons immédiatement un nouvel ennemi. Si nous mettons en place leur gouvernement, nous courrons le risque de le rendre immédiatement impopulaire.
Ce que nous devrions faire, pour utiliser une phrase bien souvent détournée, c’est diriger de l’arrière. Dès l’engagement de l’OTAN, j’affirmais que la meilleure arme d’Obama était le silence – pas de fausses promesses, par de rhétorique démesurée, ni de menaces. Il fallait que cela reste leur guerre et que cela ne devienne pas la nôtre. Au final: les rebelles qui sont entrés dans Tripoli et saluaient les caméras d’al-Jazeera ressemblaient à des soldats libyens, pas occidentaux – parce qu’ils étaient libyens. Les images de ces hommes piétinant les portraits de Kadhafi semblaient plus authentiques et auront un bien meilleur retentissement, tant en Libye que dans le reste du monde arabe, que les images des marines mettant à bas une statue de Saddam Hussein en 2003, sa tête enroulée dans un drapeau américain.
Notre silence a eu un prix. L’absence de direction américaine –et même occidentale– a donné de bons résultats pour les Libyens, mais s’est avérée désastreuse pour l’alliance de l’OTAN. C’est n’est pas un hasard si le ministre de la défense américain, Robert Gates, s’est lâché contre les membres européens de l’OTAN au moment ou le conflit s’emballait: après un mois d’opérations, les faiblesses de l’alliance s’étalaient au grand jour, comme jamais auparavant. Les armées européennes participant au conflit se trouvèrent bientôt à cours d’armes et de munitions: la plupart de ceux qui ne participèrent pas n’avaient ni armes ni munitions à leur fournir. Le Président français et le Premier ministre britannique, les deux principaux interventionnistes, ne parlaient que rarement de la Libye. Les opinions publiques occidentales n’ont guère soutenu cette intervention, qui avait peu de défenseurs en Occident. Cela ne laisse rien présager de bon. Mais c’est notre problème, pas celui de la Libye.
Fort heureusement pour nous, cette attitude de retrait n’est pas uniquement la seule option qui s’offre à nous en Libye, c’est également la meilleure. C’était leur révolution, pas la nôtre. La transition qui s’annonce sera leur transition, pas la nôtre. Nous pouvons les aider et les conseiller. Nous pouvons nous appuyer sur les expériences d’autres nations –Irak, Chili, Pologne – qui ont également tenté la transition de la dictature à la démocratie et peuvent nous indiquer ce qu’il convient de faire et d’éviter. Nos attentes peuvent être limitées et nos promesses minimales. Et nous avons également beaucoup à apprendre des rebelles libyens, leurs divisions tribales, leurs mœurs politiques et économiques. Et nous avons aussi d’importants stocks de munitions à renouveler.
Anne Applebaum
Traduit par Antoine Bourguilleau