Économie

A Wall Street, le risque paye

Temps de lecture : 5 min

La philosophie des traders et des spéculateurs est simple: acheter des actifs à risques paye toujours. Et personne n'a intérêt, ni la Réserve fédérale, ni le gouvernement a détruire cette illusion.

Les acteurs du film Expendables (Expendables: Unité spéciale) en représentation sur le parquet de la Bourse de New York Brendan McDermid / Reuters
Les acteurs du film Expendables (Expendables: Unité spéciale) en représentation sur le parquet de la Bourse de New York Brendan McDermid / Reuters

Qui fait tourner Wall Street? Après la folie et la grande peur boursière d'avant le 15 août, la Bourse de New York s’est remise de sa déroute avant de rechuter en fin de semaine dernière. Pendant plusieurs séances consécutives, l'indice Dow Jones a fait du yoyo et perdu ou gagné 400 points en une journée, un fait sans précédent. Le marché est-il devenu fou? Et bien, oui.

En théorie, la Bourse est censée refléter les perspectives économiques – les gains potentiels des actions des principales entreprises américaines qui constituent le Dow Jones. Mais bien des raisons portent à croire que ce qui se passe actuellement n’a pas grand-chose à voir avec une vision rationnelle du futur, mais davantage avec le marché lui-même.

«Trempez vos doigts de pieds dans n’importe quel actif à risque et vous comprendrez rapidement que vous venez de mettre le pied dans quelque chose qui n’a rien à voir avec un environnement normal,» écrivait David Rosenberg, ancien analyste très respecté de Merrill Lynch, principal responsable économique de la société canadienne Glusckin Sheff dans son dernier bulletin. «Le dysfonctionnement règne en maître.»

Le premier facteur à prendre en considération est que l’important rebond des actions et des actifs à risque, du printemps 2009 au mois de mai de cette année, n’était pas nécessairement dû à la croyance que le futur s’annonçait plus radieux. Il était dû à la croyance que les investisseurs devaient acheter des actifs plus risqués en raison de la détermination affichée par la Fed (Réserve fédérale, la banque centrale américaine) de maintenir des taux d’intérêts proche de zéro.

Le risque payant

Les investisseurs ne pouvant gagner de l’argent en misant sur des actifs «sains» -un petit retour sur investissement est généralement absorbé par l’inflation– ils tendent à miser sur des actifs plus risqués. Les investisseurs s’y adonnant de plus en plus, tout le monde se retrouve davantage engagé dans la spirale du risque.

C’est ce que les traders appellent le risque payant. Ils veulent dire par là que l’on est toujours récompensés d’avoir acheté des actifs à risque, quelle que soit la réalité. Le second assouplissement quantitatif mis en place par la Fed, qui l’a vu racheter pour 600 millions de dollars de titres d’Etat afin de maintenir des taux d’intérêt bas, a encouragé cette stratégie. «Nous avons assisté à un retour des investissements à risque et à quelque chose qui se rapproche d’un rétablissement de l’économie, mais comme nous l’avions déclaré, la maison est faite en paille et pas en briques» écrit encore Rosenberg. «Cela n’est pas très différent du cycle d’ingénierie financière des années 2002-2007, qui donnait l’apparence de la prospérité

La Fed a espéré que tout ceci finirait bien. Cette richesse en trompe-l’œil, créée par un marché en plein essor, est censée se transformer en richesse authentique, parce que les riches, qui contrôlent la majorité de l’économie et qui ont placé la majorité de leur argent sur les marchés, sont censés dépenser davantage. Mais ça n’a pas marché, en raison, pour partie, des problèmes rencontrés dans le reste du monde – le tsunami au Japon, la crise financière en cours en Europe – mais également parce que l’économie américaine est trop faible pour produire la stimulation nécessaire.

Comme le directeur d’Oaktree Capital Management, Howard Marks, l’a déclaré dans une lettre récente, «le monde entier s’est soudain rendu compte des risques engendrés par le creusement perpétuel de la dette du gouvernement

Rumeurs, folies, et illusions

On peut donc considérer que le traitement administré par la Fed s’apparente à un analgésique. Il permet à tout le monde de se persuader que le pire n’est pas certain, jusqu’à ce qu’un fait déchire le voile de cette illusion et que notre torpeur confortable se transforme en panique. Les ventes sont massives? La Fed rassure tout le monde en assurant que sa boîte à outil n’est pas encore vide: regardez le spectaculaire retournement de tendance du 9 août consécutif à la déclaration de la Fed qui affirmait que les taux d’intérêts demeureraient sans doute inchangés jusqu’à l’été 2013 (une prédiction sans valeur en cas d’inflation) – et le marché repart. Le risque paie!

Il est bien délicat de deviner quelle sera la tendance du marché quand tout ou presque semble dépendre des actions de la Réserve fédérale. Cela est d’autant plus vrai que même les membres de la Commission du Marché de la Fed ne sont pas tous d’accord. Trois de ses membres ont voté contre l’annonce du 9 août. Ce qui rend les choses encore plus compliquées, est que l’orientation à court terme de l’économie réelle est entre les mains du gouvernement. Un article du Wall Street Journal résume à merveille la situation: «Tant que le gouvernement dépense de l’argent, l’économie va

Un autre facteur pouvant expliquer la folie actuelle des marchés est celui des ventes forcées des fonds. Des rumeurs font état des effets des exigences de marges chez certains fonds ou de fonds d’investissement en mauvaise posture qui se voient poussés dans leurs retranchements par les investisseurs, qui les poussent à vendre.

La majorité des ragots portent sur John Paulson (ce directeur de fonds d’investissements qui a fait fortune en spéculant à la baisse sur les subprimes), en évoquant les différents secteurs dans lesquels il était connu pour avoir investi et qui se sont effondrés. Mais si Paulson souffre, il n’est certainement pas le seul. «Les gros y ont forcément laissé des plumes» m’a écrit récemment un trader via e-mail: «Les gros fonds d’investissement sont tous dans la même situation. Cette chute est arrivée si vite qu’ils sont pris au piège.»

Si cette théorie se vérifie, les retournements seront nécessairement suivis par des ventes massives, car les fonds d’investissement vont sauter sur l’occasion pour tenter de s’en sortir.

La dernière explication qui me soit parvenue est que la plupart des mouvements ne sont pas dus à des opérateurs mais à des ordinateurs: Bienvenue dans le monde de HAL 9000! Ces cinq dernières années, les échanges par ordinateurs interposés, qu’il s’agisse du très controversé High Frequency Trading ou des programmes plus simples, jouent un rôle de plus en plus prépondérant sur le marché.

Réduire la dette ou relancer l'économie

Selon les modes de calcul, ils représentent entre 70 et 90% des échanges. «L’élément humain a disparu» me dit un trader. Certaines personnes considèrent que la présence d’ordinateurs accentue les mouvements à la hausse comme à la baisse. Dans un article, X. Franck Zhang, professeur de gestion de la Yale School of Management, déclare que «le High Frequency Trading est clairement corrélé à la volatilité des prix des marchés.» Zhang poursuit en affirmant que «la corrélation est encore plus grande au sein des 3.000 plus grosses capitalisations du marché et chez les grandes holdings institutionnelles. Elle est également renforcée dans les périodes d’incertitude des marchés.»

Le travail universitaire de Zhang est corroboré par les observations des spécialistes des marchés. «Je pense que les véritables responsables sont les ordinateurs que Wall Street a programmés et lancés sur les marchés pour la gestion des portefeuilles d’actions» écrit ainsi John Bollinger, qui rédige depuis plus de deux décennies la Capital Growth Letter. «Ces ventes manifestement irréfléchies auxquelles nous assistons sont certainement dues à des machines derrières lesquelles des humains tentent de raccrocher les wagons

Faut-il acheter? Faut-il vendre? personne ne sait. Le monde est toujours un endroit plein d’incertitudes, mais il semble encore plus incertain ces jours-ci, tant pour ce qui concerne la résolution de la crise en Europe ou de la façon dont les Etats-Unis vont pouvoir réduire la dette pour relancer l’économie. Mais peut-être devrais-je dire réduire la dette ou relancer l’économie, car il est peu probable que les deux résultats puissent être obtenus en même temps. Cette incapacité à déterminer l’avenir est le signe du règne actuel de la folie.

Bethany McLean

Traduit par Antoine Bourguilleau

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