Goldman Sachs a généré un peu plus d’un milliard de dollars de bénéfices au second trimestre. Le chiffre est conséquent, mais c’est beaucoup moins que ce à quoi s’attendaient les analystes. Le taux de rendement des capitaux propres de Goldman était d’à peine plus de 6%. Ce n’est qu’une fraction des bénéfices que générait Goldman Sachs durant son «âge d’or», à la fin des années 2000. Lors d’une téléconférence, le directeur financier de la banque, David Viniar, a affirmé qu’il «n’enjoliverait» pas les mauvais résultats de l’entreprise. Le Wall Street Journal a rapporté que les analystes et les investisseurs se demandaient «si la banque ne s’était pas perdue en chemin».
Un deuxième trimestre décevant devrait ravir tous ceux qui souscrivent à la thèse manichéenne soutenue par Matt Taibbi dans Rolling Stone, selon laquelle Goldman Sachs serait «un gigantesque vampire des abysses». Pourtant, les résultats contiennent une très bonne nouvelle pour Goldman Sachs: compte tenu du mauvais comportement de la banque durant la crise (et de la mauvaise publicité qui en a résulté), il aurait semblé logique que les clients fuient. Mais cela n’a pas été le cas.
Historiquement, Goldman Sachs a toujours été un mélange de banque d’affaires (activité généralement plutôt aventureuse) et de banque d’investissement (plus axée sur le service des clients et le montage de sociétés). Le PDG de la banque vient des deux domaines. Hank Paulson, qui a dirigé l’entreprise avant de devenir Secrétaire du Trésor des États-Unis, était plutôt tourné vers la banque d’investissement. Mais après l’éclatement de la bulle Internet en 2000, l’activité bancaire s’est asséchée et l’entreprise a commencé à se tourner de plus en plus son côté «banque d’affaires». En 2004, l’activité d’investissement, qui représentait plus d’un tiers des bénéfices de l’entreprise en 2000, s’était réduite comme peau de chagrin.
«J Aronisation»
Lorsque Lloyd Blankfein a succédé à Paulson en 2006, cela a été perçu comme la preuve que Goldman Sachs était principalement devenue une banque d’affaires. Blankfein venait de J. Aron, filiale de Goldman Sachs spécialisée dans le marché des matières premières, particulièrement agressive et tournée vers le profit. Blankfein avait lui-même plaisanté en disant que, dans ce secteur, on n’a pas de clients mais des contreparties —impliquant que les personnes avec qui l’on traite auraient mieux fait de se débrouiller seules. Il y eut un véritable exode de grands banquiers chez Goldman Sachs, notamment Peter Weinberg et Byron Trott, le banquier préféré de Warren Buffett. Les anciens partenaires parlaient de «J Aronisation» de la culture d’entreprise.
Ce qui s’est passé durant la crise financière était donc inévitable. Goldman Sachs avait beau continuer à clamer son célèbre principe premier —«L’intérêt de nos clients passe toujours avant le reste»— c’étaient ses résultats qui passaient en premier. Cela apparut clairement durant la crise financière de 2008. Goldman protégea ses propres revenus, non seulement en vendant des titre à risque à ses clients, mais aussi en créant des titres propres à réduire leurs propres risques tout en augmentant ceux des acheteurs.
Si des clients bien avisés étaient alors prêts à quitter la banque, ces défections devraient désormais apparaître dans les comptes. Mais ce n’est pas le cas. L’aile «banque» de Goldman Sachs se porte parfaitement bien. Les résultats du deuxième trimestre montrent que les bénéfices ont augmenté de 54% par rapport à l’année précédente. Goldman Sachs reste n°1 en matière de conseil sur les fusions et les acquisitions, soit le type d’activité le plus convoité par les banques d’investissement. La banque se classe également à la première place sur le marché des actions. Tous les points faibles se trouvaient du côté «affaires», où les bénéfices ont chuté de plus de 50%. Viniar a affirmé lors de la téléconférence que les investisseurs ne devaient pas beaucoup s’intéresser aux problèmes du côté affaires, parce qu’ils n’avaient rien à voir avec l’orientation générale de l’entreprise. Oh, le vampire!
Pourquoi les clients restent
Comment expliquer que le côté «banque d’investissement» de Goldman Sachs continue à marcher? L’une des explications pourrait être que les clients de la banque ne sont au courant de rien (mais, étant donné la quantité de mauvais articles parus dans la presse, cela semble peu probable).
Une autre explication pourrait être que les clients réalisent très bien que Goldman Sachs fait passer ses propres intérêts avant les leurs, mais qu’ils s’en fichent: ils pensent que les conseils de Goldman Sachs restent les meilleurs. En 2007, lorsque Kerry Killinger, alors PDG de Washington Mutual, se demandait s’il fallait ou non engager Goldman Sachs, il avait résumé la situation en ces termes: «Ils sont malins, mais on nage avec des requins». Les clients se soucient sans doute plus de l’intelligence que de la dangerosité.
Une troisième explication serait qu’ils croient que Goldman Sachs a changé, la banque ayant promis plus de transparence sur ses méthodes au début de l’année. Une quatrième explication, enfin, pourrait être que les clients pensent que le comportement de Goldman Sachs sur le marché hypothécaire, quoique répréhensible, n’était pas pire que ceux d’autres firmes moins médiatisées.
La banque a-t-elle retenu les leçons?
Goldman Sachs s’est-elle repentie? Brad Hintz, analyste réputé chez Sanford Bernstein, a dit au Journal que «nous avons affaire à une Goldman Sachs en pleine mutation, qui change de business model». Personnellement, j’en doute. Il faut des années à une entreprise pour implanter ses principes commerciaux. Une fois que ceux-ci ont été bafoués, il n’est pas chose aisée de les rétablir. Si Goldman Sachs s’était vraiment «J. Aronisé» et que l’intérêt des clients avait été totalement oublié, il est peu probable que trois années suffisent à «dé-J. Aroniser» la société. J’ai tendance à croire que si les clients de Goldman Sachs restent malgré tout, ce n’est pas parce qu’ils croient que cela a servi de leçon à la banque. À vrai dire, je pense que si Goldman Sachs a la possibilité d’augmenter son activité de banque d’affaires, elle le fera.
Toutefois, que la banque le veuille ou non, il se pourrait que son activité change. En dépit du lobbying réalisé par les sociétés de Wall Street pour parer les réglementations après la crise des subprimes, elles se retrouvent forcées d’augmenter leurs capitaux propres, ce qui aura pour effet d’abaisser leur rentabilité. Il y a beaucoup d’incertitude autour de la mise en place de la réforme financière du Dodd Frank Act. À quel point seront rentables les produits dérivés qui avaient jadis généré une grosse partie des bénéfices de sociétés comme Goldman Sachs? On entend aussi beaucoup de plaintes à propos de la fameuse règle Volcker, du nom de l’ancien directeur de la Réserve fédérale américaine qui l’a proposée, qui forcerait les sociétés à réduire fortement leur volume d’affaires si ces dernières n’étaient pas faites au nom des clients.
L'action en baisse
Tout cela aide bien à comprendre pourquoi l’action Goldman Sachs, qui avait atteint les 175 dollars plus tôt cette année, s’échange désormais à 130 dollars environ (soit moins que sa valeur comptable). Les bénéfices de l’aile «banque d’affaires» de Goldman Sachs devraient rester limités encore un moment. Malgré une bonne performance du côté «banque d’investissement», cela reste très relatif par rapport à son activité de banque d’affaires (les bénéfices ne représentent que 20% des revenus totaux de la société).
En outre, lorsqu’il s’agit de gérer l’argent des autres, Goldman Sachs fait rarement des miracles. Viniar a annoncé que la société prévoit une réduction de ses dépenses de 1,2 milliards de dollars d’ici la fin de l’année. Cela implique qu’un millier d’employés environ vont perdre leur emploi. Ce nombre sera, bien entendu, d’autant plus grand si l’activité «banque d’affaires» ne s’améliore pas. Toutefois, il semble que Goldman Sachs aura toujours un atout de poids par rapport à ses concurrents de Wall Street: ses clients.
Bethany McLean
Traduit par Yann Champion