C'est une affaire entendue: Ségolène Royal fait rire. Du moins une partie de l'opinion. Si bien que le nouveau jeu à la mode sera très certainement de demander pardon à tout bout de champs tandis que l'on voit déjà fleurir des «je vous demande pardon.com» pour toutes celles et ceux qui veulent en rajouter.
Après la polémique suscitée par ses excuses adressées au Premier ministre espagnol Jose Luis Zapatero pour des propos prêtés par le journal Libération à Nicolas Sarkozy, celle que l'on avait un temps surnommée la «Zapatera», loin de s'excuser à son tour de sa réaction objectivement hâtive, Ségolène Royal donc persiste, signe et insiste. Elle le refera donc à chaque fois, dit-elle, qu'à ses yeux Nicolas Sarkozy aura dérapé au point d'abimer, toujours à ses yeux, l'image de la France.
Ainsi après la «bravitude» puis la «cruchitude», dont elle a mis quelque temps à se défaire après une campagne présidentielle où lui fit défaut une crédibilité suffisante, serait venu le temps de la «follitude». Il me semble pourtant que ses détracteurs, par leurs excès mêmes, ont tort. D'un triple point de vue: celui de l'opposition en général, du PS en particulier et enfin peut-être du point de vue des partisans de Nicolas Sarkozy.
Revenons auparavant d'un mot au corps du délit, à savoir les propos prêtés au Président sur le degré d'intelligence du Premier ministre espagnol. Hors contexte et hors toute considération sur la dialectique propre au chef de l'Etat, on peut lui faire dire tout et son contraire, car il s'exprime toujours ainsi: «Je ne suis peut-être pas très intelligent mais j'ai gagné l'élection présidentielle», «Il (Zapatero) n'est peut-être pas très intelligent, mais il a gagné deux fois les élections!» et c'est alors que se situait la vraie cible de Nicolas Sarkozy, en substance: «J'en connais des très intelligents (Jospin) qui n'ont pas figuré au deuxième tour de la présidentielle!». En la circonstance, on peut considérer que les socialistes français étaient visés et non les socialistes espagnols. Ségolène ne s'est pas embarrassée de ces considérations, pas plus qu'elle n'entend à l'avenir nuancer son propos. Même si elle a factuellement tort.
Eclipser Besancenot et Bayrou
Mais elle fait de la politique et il faut donc regarder ce qu'elle cherche et ce qu'elle peut espérer obtenir. Premier résultat: dans une vie publique à ce point dominée par les emballements médiatiques, elle a occupé toute la place. Dans une opposition qui a décidé, toutes tendances confondues — et à mes yeux sans doute dangereusement — de se jauger exclusivement sur l'échelle de la critique la plus radicale possible du sarkozysme, que s'est-il passé? Nous avions un paysage dominé par l'extrême gauche et son porte-parole, Olivier Besancenot, et par l'extrême centre et son porte-parole François Bayrou, avec au milieu un PS à peine convalescent et difficilement audible.
Par ses excès mêmes, Ségolène Royal a pour ambition d'éclipser tous ceux-là et d'apparaître comme l'opposant le plus dur. Elle se comporte comme si, toujours habitée par ses fameuses 17 millions de voix obtenues au second tour de la Présidentielle, il lui fallait composer la figure «d'une contre présidente»; un peu à la manière de l'opposition britannique qui donne systématiquement la réplique, sur tout sujet, de façon souvent brutale, à travers les membres d'un «shadow cabinet».
Si elle arrive à s'installer ainsi dans l'opinion, comme «contre présidente», on voit bien le bénéfice qu'elle peut en tirer dans la seule course qui l'intéresse: celle de la désignation de la prochaine candidature socialiste à l'élection présidentielle de 2012. En bonne logique, une telle désignation dans un parti restructuré et repris en mains ne devrait pas échapper à Martine Aubry; d'autant que cette dernière ne souffre spontanément d'aucun déficit de crédibilité. Ségolène Royal a sans doute compris qu'elle risquait donc de payer d'un prix très élevé sa défaite au Congrès de Reims et s'efforce donc de contourner ce rapport de forces interne défavorable par un poids dans l'opinion, de nature à influencer celles et ceux qui, à travers le processus des primaires, désigneront la personne chargée d'affronter Nicolas Sarkozy.
Et de ce point de vue, il n'est jamais trop tôt: inscrire dans un coin de la conscience de nos compatriotes que l'on pourrait un jour les représenter est un travail de longue haleine. Il y faut en général du temps, de la patience et surtout de l'obstination. Même si Nicolas Sarkozy est lui-même une exception à cette règle puisqu'il a réussi la performance exceptionnelle de s'imposer nettement dès sa première tentative.
Ce dernier a-t-il eu tort ou raison de faire donner contre Ségolène Royal l'artillerie lourde? Au point qu'elle a eu beau jeu d'observer dans le journal Le Parisien «dans quelle démocratie au monde traite-t-on une opposante de folle pour la discréditer?» A l'étranger en tous cas, peu ou pas de trace des excuses de Ségolène Royal mais beaucoup de place dans la presse consacrée au jugement à l'emporte-pièce du président français sur ses homologues. Voire, comme le fait le Times de Londres, sur la «jalousie» qu'on lui prête à l'endroit de Barack Obama. C'est évidemment cela qui aurait du préoccuper en premier lieu les communicants de l'Elysée.
Taper contre «l'impolitesse» de Nicolas Sarkozy
Je ne vois donc qu'une explication rationnelle au déchainement orchestré contre elle, qui a même obligé certains socialistes à se solidariser avec leur ancienne candidate. Sauf à considérer qu'il faudrait, en l'attaquant méchamment, paradoxalement la valoriser parce qu'elle est toujours considérée à l'Elysée comme plus facile à battre que Martine Aubry. Ne négligeons pas qu'elle a peut-être touché juste; qu'elle a sans doute mis en lumière une faiblesse, ressentie comme telle par une partie de l'opinion, notamment de droite, que Ségolène Royal nomme «l'impolitesse» de Nicolas Sarkozy.
Il y a dans le style Sarkozy, dans la façon qu'il a eu de faire éclater les codes de la fonction présidentielle une part sincère de refus d'hypocrisie — se montrer tel qu'il est — mais aussi une part qui gêne les Français; parce que, dans un vieux pays monarchiste comme le nôtre, l'opinion ou une partie d'entre elle se fait une certaine idée de la façon dont on doit exercer la fonction et représenter le pays. C'est ce clou-là que Ségolène Royal tente d'enfoncer en sachant qu'il en restera quelque chose.
Il y a d'ailleurs en Ségolène Royal quelque chose de Nicolas Sarkozy: n'a-t-il pas fait son chemin en mettant en musique son mot d'ordre de rupture, rupture avec les codes habituels de l'expression politique qui l'avaient conduit à porter des attaques d'une violence inouïe contre Jacques Chirac, un temps comparé à Louis XVI? Ségolène Royal ne va pas jusque-là mais elle en prend le chemin. De ce point de vue, le signe d'alerte le plus évident devrait être pour Nicolas Sarkozy la popularité regagnée par le même Jacques Chirac, Sarkozy régnant; comme si l'opinion voulait, par ce message, inciter l'actuel Président à se comporter parfois autrement.
Il nous reste évidemment à demander pardon aussi bien à Ségolène Royal qu'à Nicolas Sarkozy pour cette «glose» (terme cher à Raymond Barre) sur des propos que l'un et l'autre ont ou auraient tenus!
Jean-Marie Colombani