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Est-on en meilleure santé grâce à la couverture sociale?

Temps de lecture : 8 min

Une nouvelle étude apporte une réponse convaincante à cette délicate question qui sous-tend le débat sur le système de santé américain.

REUTERS/Jim Bourg
REUTERS/Jim Bourg

AVEC L'ADOPTION, l’année dernière, de l’«Affordable Care Act» (loi américaine sur les soins abordables, NDLT), l’Administration Obama a promis de fournir une couverture sociale à tous les Américains, y compris les pauvres et les personnes les moins susceptibles d’être couvertes par le système actuel. Parmi les nombreuses dispositions de la loi figurait la garantie d’une couverture Medicaid pour les personnes à faible revenu non assurées.

Comme pour beaucoup d’autres aspects de cette loi, la décision de fournir une assurance-santé aux Américains pauvres est un saut dans l’inconnu. Dans quelle mesure auront-ils recours aux soins de santé plus souvent, quel en sera le coût et quels en seront les bénéfices? L’extension du programme Medicaid permettra-t-elle aux Américains d’être en meilleure santé? Ou ne fera-t-elle qu’augmenter la consommation de soins de santé, sans effet positif apparent? Améliorera-t-elle au moins l’accès aux soins de santé pour tous?

L'assurance aléatoire

Réalisée sur la base d’une grande expérience menée dans l’Oregon, une récente étude laisse deviner la réponse à ces questions. Un consortium de chercheurs du MIT, de Harvard et de l’Etat de l’Oregon a analysé l’impact d’une expérience consistant à fournir de manière aléatoire une assurance Medicaid à des habitants pauvres de l’Oregon en 2008, dans le cadre d’une extension de la couverture sociale fournie par l’Etat.

Ils ont constaté que l’impact de Medicaid sur la santé, le bonheur et le bien-être général était immense et pouvait être obtenu à moindre coût: les personnes à faible revenu dont les noms ont été tirés au sort pour bénéficier de Medicaid ont recouru à davantage de traitements et de soins préventifs que ceux qui sont restés sans couverture. Après un an, les gagnants du tirage au sort se sont déclarés plus heureux, en meilleure santé et moins sous pression sur le plan financier.

Si la fourniture d’une assurance-santé a des effets positifs relativement évidents sur les finances et la santé des personnes couvertes, c’est loin d’être le cas concernant ses coûts et ses avantages. L’une des raisons souvent invoquées pour rendre la couverture sociale universelle est de dissuader les gens de se rendre aux urgences, dont les visites coûtent cher à la société, pour des problèmes de santé qui auraient pu être pris en charge par un médecin.

Une personne assurée aura également tendance à se faire soigner plus tôt qu’une personne non-assurée; ainsi, l’Etat n’aura pas à couvrir des frais de séjour d’hôpital qui auraient pu être évités par des soins préventifs (même si, encore une fois, rien ne le garantit). A l’autre extrême, étendre la couverture sociale peut comporter des coûts immenses s’il s’avère que les nouveaux assurés recourent à des procédures et des soins médicaux inutiles du fait qu’ils n’ont plus à payer.

Payer pousse-t-il à prendre moins de risques?

Les avantages pour la santé sont également difficiles à évaluer. Etant données les limites de Medicaid, certains ont estimé que la qualité des soins fournis dans le cadre du système n’était guère meilleure que pas de soins du tout. Pourquoi donc s’attendre à ce qu’une extension de Medicaid ait des répercussions positives sur la santé? Fournir une assurance-santé est également la source de ce que les économistes appellent «l’aléa moral», où ceux qui sont protégés contre les conséquences de leurs actions prennent davantage de risques qu’ils n’en auraient pris en temps normal. Une assurance-santé, même limitée, peut encourager les gens à conduire plus vite, à manger plus de frites et à continuer de fumer, sachant qu’au moins, ils n’auront pas à assumer les conséquences sur le plan financier de leur comportement autodestructeur.

L’une des raisons pour lesquelles le débat sur la réforme du système de santé américain est dominé par l’idéologie est qu’il est extrêmement difficile d’évaluer l’impact lié à la fourniture d’une couverture sociale. On ne peut pas se contenter de comparer les personnes qui payent une assurance à celles qui n’en payent pas, car les deux groupes sont différents à tous les niveaux, et ce sans que cela ne puisse être ni observé, ni mesuré.

Pour commencer, une personne qui paye une assurance est peut-être moins encline à prendre des risques et plus concernée par sa santé. La plupart des Américains bénéficiant d’une assurance-santé grâce à leur employeur, seuls les chômeurs et les petits emplois n’ont pas de couverture (i.e. des personnes qui sont généralement en moins bonne santé). Une mauvaise condition physique peut entraîner la perte de son emploi, des problèmes financiers et la perte de son assurance, inversant le lien de cause à effet.

L’expérience dans l’Oregon a été l’occasion d’identifier l’impact lié à la fourniture d’une assurance-santé. Elle a consisté à ouvrir une liste d’attente pour un nombre limité de places dans le cadre du Oregon Health Plan Standard, qui a fourni une assurance Medicaid à des adultes pauvres ne remplissant pas les conditions habituelles pour être éligibles (par exemple, des adultes pauvres, mais en bonne santé).

Près de 90.000 habitants de l’Oregon ont déposé un dossier de candidature pour les 10.000 places disponibles, et l’Etat a tiré au sort les bénéficiaires chanceux de Medicaid. Ainsi, les chercheurs ont obtenu un groupe de candidats identiques en tout point à l’exception près qu’ils aient été ou non tirés au sort. Si les gagnants du tirage au sort passaient au final plus de temps chez le médecin et indiquaient aux chercheurs être plus heureux et en meilleure santé, cela ne pouvait être dû à des conditions préalables ou à une situation préexistante. Leur statut d’assuré se décidait littéralement par tirage au sort.

L’Etat a organisé huit tirages au sort en 2008. Les lauréats ont eu le droit de déposer un dossier de candidature à Medicaid, et environ 30% d’entre eux ont été retenus pour le programme (de nombreuses personnes n’ont pas déposé de dossier, et près de la moitié de celles qui en ont déposé un ont finalement été inéligibles, essentiellement car leurs revenus se situaient au-dessus du seuil de pauvreté). Les chercheurs ont suivi à la fois les gagnants et les perdants au cours de l’année suivante en comparant leur dossier de candidature à des données hospitalières et d’autres données administratives. Ils ont également fait des recherches sur la santé, le bien-être général et la situation financière des deux groupes.

Ce qu'a montré l'étude

L’étude souligne plusieurs grandes différences entre les groupes «traitement» (ceux qui ont bénéficié de Medicaid) et «contrôle» (ceux qui n’en ont pas bénéficié), certaines plus surprenantes que d’autres. Les gagnants du tirage au sort ont eu 7,5% de plus de chances d’être admis à l’hôpital pour y être soignés. Mais si l’on tient compte du fait que la plupart des gagnants n’ont au final jamais bénéficié d’une couverture sociale (et que certains perdants ont trouvé une assurance ailleurs), les chiffres suggèrent qu’être assuré a augmenté les chances d’admission à l’hôpital de 30 pourcent.

Par rapport au groupe «contrôle», les nouveaux assurés ont davantage recouru à presque tous les types de services étudiés par les chercheurs. Le recours aux soins préventifs a notamment enregistré une forte hausse: le nombre de mammographies a augmenté de 60% et le nombre de personnes se rendant chez le médecin ou dans une clinique pour leurs besoins primaires en matière de santé a augmenté de plus de 50%.

Le seul type de soin pour lequel la hausse (ou baisse) n’est pas perceptible sur le plan statistique est la fréquentation des urgences. Etant donnée que leur fréquentation est en hausse ou au mieux stable (alors qu’il s’agit du seul domaine où l’on pourrait s’attendre à une baisse), augmenter le nombre de bénéficiaires de Medicaid dans l’Oregon a évidemment augmenté les dépenses en soins de santé de l’Etat.

Selon un calcul approximatif fait à partir de l’utilisation accrue du service, il s’agirait de 800 dollars par an par bénéficiaire. (Le coût total pour l’Etat de l’Oregon est bien plus élevé, le gouvernement devant désormais payer pour tous les services que les nouveaux bénéficiaires utilisaient auparavant, dont beaucoup étaient sûrement couverts par des associations caritatives et d’autres fournisseurs de service non-gouvernementaux prenant en charge les personnes sans couverture.)

Etant donnée la hausse des dépenses, l’extension du programme Medicaid s’est-elle avérée rentable? En d’autres termes, le groupe «traitement» a-t-il obtenu de meilleurs résultats sur le plan de la santé?

Il est trop tôt pour déterminer dans quelle mesure le recours accru aux soins préventifs a porté ses fruits en termes de maladie cardiaque, de cancer ou d’espérance de vie. Mais pour déterminer s’il y avait des répercussions positives sur la santé dès la première année, les chercheurs ont interrogé les participants au tirage au sort sur leur état de santé à l’été 2009, soit un an et quelque après leur inscription à Medicaid.

L’impact sur la santé de l’accès aux soins était déjà perceptible, du moins en fonction de leurs réponses. Bénéficier d’une assurance a augmenté de 25% les chances qu’une personne interrogée se déclare en «bonne», «très bonne» ou «excellente» santé (opposé à «mauvaise» ou «satisfaisante»), et a diminué d’environ 15% le nombre de «jours de congé maladie» (des jours de travail ou de congé perdus à cause d’une mauvaise condition physique).

Un très bon rapport qualité-prix

Les chercheurs ont également demandé aux participants s’ils étaient «heureux, très heureux ou pas très heureux». Les personnes assurées ont été 32% plus nombreuses à se déclarer «heureuses» ou «très heureuses», ce qui est énorme. Par comparaison, selon des études utilisant le lien entre revenu et bonheur comme point de référence, il faut doubler les revenus d’un participant pour obtenir un tel effet.

Medicaid semble donc être d’un excellent rapport qualité-prix! Les personnes en bonne santé ont sûrement tendance à se montrer plus optimistes dans la vie. Mais la couverture sociale apaise aussi les inquiétudes sur le plan financier liées au fait de ne pas être assuré aux Etats-Unis (la crainte de se retrouver dans une situation financière catastrophique à cause d’un coup dur). Selon l’étude, 40% des bénéficiaires de Medicaid sont moins enclins à lésiner sur d’autres obligations financières à cause de leurs frais médicaux et même ceux qui n’ont jamais eu de problèmes de santé ont tendance à être moins inquiets par de telles éventualités.

Extrapoler à partir d’une étude menée sur une seule année et concernant 10.000 bénéficiaires dans l’Oregon à la réforme de la santé en général a ses limites. Si des millions d’Américains pauvres bénéficiaient de Medicaid du jour au lendemain, le système pourrait être saturé.

Et si le programme a d’éventuels effets à long terme qui ne peuvent être observés dans le cadre d’une étude sur une année, il est également possible que les avantages de Medicaid s’atténuent avec le temps. Une fois que les personnes se seront habituées à leur nouvelle situation d’assuré, leur sentiment de satisfaction et de bien-être pourrait, par exemple, disparaître rapidement. Nous en saurons plus sur ces effets à long terme grâce aux observations des chercheurs faites sur les participants au tirage au sort dans les années à venir. Ces derniers collectent également des informations sur des données physiologiques telles que le taux de cholestérol et la tension artérielle pour mesurer de façon plus objective le bien-être des participants.

A l’heure actuelle, cette étude représente néanmoins la meilleure indication dont nous disposons. Selon ses conclusions, Medicaid semble être un système peu coûteux pour que les Américains aillent mieux et les objectifs du Affordable Care Act semblent valoir la peine de se battre pour les mettre en pratique.

Ray Fisman

Traduit par Charlotte Laigle

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