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Gynécologie: palper moins, parler plus

Temps de lecture : 6 min

Et si on laissait un peu tomber les étriers et le spéculum? Des arguments contre les examens pelviens annuels.

A Santa Monica. REUTERS/Lucy Nicholson
A Santa Monica. REUTERS/Lucy Nicholson

Le gynéco était le seul docteur que je voyais régulièrement avant la quarantaine, comme des millions d’autres jeunes femmes en bonne santé. Je n’avais pas de problèmes médicaux, pas de raison donc d’avoir un médecin généraliste attitré, même si j’avais choisi moi-même ce métier.

N’empêche, chaque année, je prenais consciencieusement rendez-vous chez mon gynécologue et endurais le rituel étriers-spéculum de l’examen pelvien – la petite spatule explorant mon col de l’utérus, le balayement des pics du petit goupillon, les pressions exercées sur mon utérus et mes ovaires. Il était toujours rassurant de faire cet examen et je me sentais encore plus rassurée quand il était terminé.

Contraception, prévention des MST, régime alimentaire, gestion du stress: tout ce dont nous pouvions discuter par ailleurs n’était pour moi que la cerise sur le gâteau. L’examen pelvien, notamment le frottis, c’était le cœur de la consultation.

Même si j’ai dû subir une vingtaine de ces examens avant mes 40 ans et que tout était toujours normal, il m’a toujours paru essentiel de retourner chez le gynécologue une fois par an. C’est ce que pensaient aussi, jusqu’à récemment, la plupart des médecins.

Mais selon un article convaincant publié en début d’année dans le Journal of Women’s Health, cet examen pelvien fourre-tout de routine devrait être abandonné. Se démarquant clairement de la croyance populaire, les auteurs disent que rien ne force celles qui n’ont ni symptômes ni facteurs de risque à subir ces examens exhaustifs, et que même le frottis, que la plupart des femmes de plus de 30 ans considèrent comme un rite annuel obligatoire, n’est en fait pas aussi souvent nécessaire que l’on ne le croyait.

Ces examens pelviens réguliers sont utilisés pour détecter les cancers du col de l’utérus (cancer cervical) et des ovaires aux stades précoces et dépister la chlamydia. C’est aussi un pré-requis pour prescrire la pilule. Mais à l’exception du cancer cervical (j’y reviens dans une minute), les auteurs de l’article expliquent que ces objectifs peuvent être atteints par des méthodes plus efficaces ou moins coûteuses. Si toutefois ils ont vraiment besoin d’être atteints.

Pour contrôler les ovaires par exemple, les gynécos procèdent à un examen à deux mains. Avec deux doigts dans le vagin et l’autre main sur le ventre, ils palpent l’utérus et les ovaires, à la recherche d’anormalités.

Il n’y a malheureusement pas de preuve médicale que cette pénétration et ces pressions permettent de détecter avec certitude un cancer ovarien au stade précoce. Pour les femmes qui présentent un risque normal, il n’existe en réalité pas de bon test de dépistage de ce cancer – ni l’examen à deux mains (on le sait, les cancers ovariens sont difficiles à sentir au stade précoce, c’est pourquoi ils sont souvent déjà étendus quand ils sont diagnostiqués), ni les ultra-sons, ni les tests sanguins.

Tant que les scientifiques n’auront pas trouvé une méthode de dépistage précoce fiable (un équivalent ovarien du frottis, de la coloscopie ou de la mammographie), le mieux est d’apprendre aux femmes à signaler des symptômes comme les ballonnements, la sensation d’être rapidement rassasiée et les douleurs pelviennes.

De même, alors que l’on dépiste traditionnellement la chlamydia sur un échantillon cervical collecté pendant un examen au spéculum, une analyse d’urine ou un auto-prélèvement vaginal marcheraient aussi bien et coûteraient moins cher. Et même si certains docteurs continuent de marteler que l’examen pelvien est indispensable pour prescrire la pilule, aucune raison médicale ne vient justifier cette pratique. (C’est différent pour la pose d’un stérilet ou d’un diaphragme, qui doivent être adaptés à la morphologie de chaque femme.)

Pendant un examen pelvien de routine, les gynécologues peuvent remarquer de nombreuses autres anomalies. Mais à moins que celles-ci ne se manifestent par des symptômes – comme des pertes vaginales, des démangeaisons, des douleurs ou des saignements – le docteur n’utilisera pas les informations recueillies.

N'abusez pas du frottis

Les mycoses vaginales et les vaginoses bactériennes par exemple se résolvent généralement sans traitement. Les fibromes utérins peuvent faire peur, mais s’ils n’occasionnent pas de symptômes (comme des saignements entre les règles ou des douleurs pelviennes), rien ne prouve que les diagnostiquer apporte quelque chose. Et repérer la taille et la position de l’utérus n’est intéressant que si vous êtes étudiant en médecine et que vous apprenez l’anatomie, cela n’a pas grand intérêt pour un docteur dont la patiente n’est pas enceinte et est en bonne santé.

Même le frottis – qui fut longtemps la star de l’examen annuel de toute femme faisant attention à elle et qui constitue l’une des méthodes de dépistage du cancer les éprouvées, les plus fiables, les plus efficaces de tous les temps – n’est pas nécessaire aussi souvent que nous ne le pratiquons actuellement.

Il doit en partie son succès à la découverte du lien direct entre quasi tous les cas de cancers du col de l’utérus et certaines infections à HPV (papillomavirus humain) à hauts risques. Lors de l’examen pelvien, le docteur collecte les cellules cervicales, sur lesquelles on recherchera des anomalies cellulaires précancéreuses (par un frottis) et, chez les femmes de 30 à 65 ans, des HPV (le dépistage des HPV n’est pas recommandé pour les femmes de moins de 30 ans car les infections sont très communes à cet âge et disparaissent toutes seules). Si le frottis d’une patiente est normal et que son test HPV est négatif, ses chances de développer un cancer cervical dans les années qui suivent sont extrêmement faibles.

En 2009, grâce aux progrès réalisés dans le dépistage du HPV et à des études de plusieurs années menées dans le cadre d’un programme de dépistage du cancer cervical, qui ont montré que les tests annuels n’apportaient rien par rapport aux dépistages moins fréquents, le Collège américain des obstétriciens et gynécologues a recommandé de réduire la fréquence des frottis.

Pour les femmes dont les frottis sont toujours normaux et qui n’ont pas de facteur de risques (VIH ou antécédents de cancer du col de l’utérus par exemple), un premier frottis est conseillé à 21 ans, ensuite tous les deux ans jusqu’à 29 ans, puis tous les trois ans jusqu’à 65 ans quand elles ont eu trois frottis négatifs.

De quoi éviter les tests de dépistage non nécessaires (surtout chez les adolescentes qui, malgré leurs fréquentes mais éphémères infections à HPV, sont rarement touchées par le cancer cervical) et les «sur-traitements», qui ont un coût financier et émotionnel.

Nombre de cliniciens habitués de longue date à l’examen pelvien annuel et au frottis ne se sentent pas à l’aise avec cette recommandation pluriannuelle. Ces examens sont après tout leur gagne-pain : les docteurs craignent en outre que les espacer ne provoque des contentieux, des difficultés à se faire rembourser, et de perdre leur rôle en matière de soins primaires.

Et malgré les nouvelles directives du Collège, beaucoup se demandent si faire une si longue pause entre deux contrôles est sûr, tant est ancrée en eux l’idée que les examens annuels sont non-négociables. Un nouveau rapport publié il y a quelques semaines dans la revue Lancet Oncology pourrait apaiser leurs craintes : une vaste étude menée sur 330 000 femmes a confirmé que l’intervalle de trois ans entre deux tests combinant frottis et dépistage HPV était en effet médicalement sain.

Les femmes avec un frottis normal et un test HPV négatif présentent un risque très faible de développer un cancer dans les cinq années qui suivent: seulement 3,2 femmes sur 100 000 chaque année. Un risque riquiqui comparé au cancer du sein, dont l’incidence est d’environ 124 pour 100.000 femmes chaque année.

Nul doute, certaines femmes vont adorer l’idée de passer moins de temps dans les étriers. Le caractère rituel de l’examen complet manquera à d’autres – l’imposition des mains, le temps passé à les examiner, les explorer et les palper méthodiquement.

Peu importe le camp dans lequel vous êtes, vous ne devriez toutefois pas renoncer à votre visite annuelle de femme qui se préoccupe de sa santé, et ce même si vous laissez tomber l’examen pelvien systématique. Au contraire, votre visite chez le gynéco sera encore plus complète, il aura le temps de prodiguer ses conseils sur ces questions importantes, mais souvent occultées par l’examen pelvien, que sont les violences intimes, la contraception, l’activité physique, la nutrition, la cigarette, la santé osseuse, le cancer du sein, la santé sexuelle, la gestion du stress, la tension artérielle, etc. (La liste est longue.)

Si celui avec qui vous vous sentez le plus à l’aise pour en parler est votre généraliste, parfait. Si c’est votre gynéco, pourquoi cesser d’y aller simplement parce que vous n’avez plus besoin de vous allonger sur la table ? Après tout, le dépistage ne se limite pas au spéculum.

Par Anna B. Reisman

Anna B. Reisman est professeur de médecine à l'université de Yale, et contribue au blog DoubleX sur Slate.com

Traduit par Aurélie Blondel

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