Les meilleures surfeuses du monde sont à Biarritz, du 11 au 17 juillet, à l’occasion du Roxy Pro, la sixième des sept manches du championnat du monde de la spécialité et seule étape européenne du circuit féminin.
Dans la lutte que se livrent l’Australienne Sally Fitzgibbons et l’Hawaïenne Carissa Moore pour l’attribution de la couronne suprême, ces joutes biarrotes, organisées sur la plage de la Côte des Basques où le surf a débarqué pour la première fois sur le Vieux Continent il y a une cinquantaine d’années, pourraient être décisives.
L’Australienne Stephanie Gilmore, âgée de 23 ans, se contentera, elle, d’y espérer une victoire –la première de sa saison– mais elle n’est plus candidate au titre suprême.
Il y a quelques mois, Stephanie Gilmore était pourtant imbattable en tant que quadruple championne du monde pratiquement intouchable depuis 2007, année de ses débuts professionnels.
Première «rookie» (débutante) championne du monde, la jeune et jolie surfeuse originaire de Nouvelle-Galles du Sud était demeurée «invincible», en effet, pendant quatre saisons de suite et paraissait peut-être promise au palmarès le plus étoffé de l’histoire. Elle se plaçait déjà au moins dans l’écume du sillage de sa compatriote Layne Beachley, plus grande surfeuse à ce jour avec sept titres de championne de monde. Certains n’hésitaient pas affirmer qu’elle était en quelque sorte la Kelly Slater au masculin en hommage à l’Américain dix fois consacré au sommet de sa discipline et en raison de sa précocité.
Parler, pour évacuer le stress
A 17 ans, en 2005, nantie du statut d’amateur et d’une wild card, Stephanie Gilmore avait ainsi triomphé chez elle, sur le spot de Snapper Rocks, en Australie, où en inconnue, elle avait surpris coup sur coup Sofia Mulanovich, championne du monde en titre, et la reine Layne Beachley. Un petit tremblement de mer à l’époque…
A l’orée de cette nouvelle saison 2011, Stephanie Gilmore comptabilisait ainsi 14 victoires sur le circuit en 28 épreuves disputées, un ahurissant taux de 50%. Mais son destin, et avec lui celui du surf féminin, a basculé, en décembre dernier, à quelques heures de la nouvelle année.
En rentrant à pied chez elle à Tweed Heads, à quelques kilomètres de Snapper Rocks, sur la Gold Coast, elle a été attaquée par un homme qui l’a rouée de coups avec un objet métallique. A l’arrivée, presque plus de peur que de mal avec seulement un poignet fracturé qui nécessita la pose d’une atèle.
Malgré les séquelles de la blessure, elle fut au départ du circuit mondial, fin février, à Snapper Rocks où je l’avais rencontrée à l’occasion d’un reportage pour L’Equipe Magazine.
«Depuis, certaines nuits n’ont pas été faciles, m’avait-elle alors confié. Mais la meilleure chose est de parler de tout cela pour soigner le mal par la parole. Je ne suis pas restée enfermée chez moi. J’ai donné des interviews, discuté beaucoup avec mes amis et, c’est vrai, j’ai fait appel à l’aide d’un psychologue pour évacuer le stress généré par cette agression.»
Mais, depuis, Stephanie Gilmore, surnommée «Happy» à cause de sa joie de vivre naturelle, n’est plus vraiment la même.
La voilà abonnée aux places d’honneur –4e mondiale avant Biarritz– et obligée de tenter de se reconstruire à tous les niveaux. Lorsque je l’avais vue à Snapper Rocks, à quelques semaines de son retour à la compétition, elle était pleine d’optimisme et d’espoir à l’idée de pouvoir enfin se rejeter à l’eau tout en s’interrogeant sur les conséquences de cette attaque sur sa confiance inébranlable.
Quand une championne se met à avoir peur
Mais lors de la compétition, sur des vagues qu’elle connaît par cœur depuis l’enfance, elle fut incapable de retrouver ce style si efficace, presque masculin, devenu sa signature. Et elle continue encore de le chercher.
Mi-juin, dans un long entretien à ESPN, elle s’est confiée sur son mal-être du moment en ces termes:
«Ma confiance à Hawaii (NDLR où elle avait remporté son 4e titre mondial) avait été tellement énorme, à un point tellement élevé que je n’avais jamais connu. Mais à Snapper Rocks, je n’ai pas été capable de la retrouver et de rebondir en m’appuyant dessus. J’étais devenue hésitante et timide sur la vague. Je n’avais jamais ressenti ça. Mais après tout, je suis un être humain me suis-je dit. Mais quoi, je ne veux pas être un simple être humain. Je veux être un super héros. (…) Maintenant, je réapprends à surfer une manche. (…) J’ai simplement perdu mon rythme.»
Elle y expliquait aussi que la crainte avait envahi sa vie de tous les jours, surtout lorsqu’elle se promenait dans la rue d’une ville australienne où elle est très connue.
Rares sont les sportives à avoir été agressées de la sorte, et notamment alors qu’elles dominaient leur sport. Deux célèbres exemples reviennent néanmoins à la mémoire et n’incitent pas à l’optimisme pour Stephanie Gilmore: la patineuse Nancy Kerrigan et la joueuse de tennis Monica Seles.
Kerrigan fut violentée par un inconnu, alors qu'elle venait de quitter la glace de la patinoire de Détroit où elle s’apprêtait à disputer l’épreuve américaine qualificative pour les Jeux olympiques de Lillehammer en 1994, jeux dont elle était favorite. Son assaillant, qui avait suivi et filmé toute la séance d’entraînement, l’avait frappée brutalement aux jambes avant de s’enfuir en brisant une vitre.
On apprit plus tard que l’homme était de mèche avec Tonya Harding, l’une des rivales américaines de Kerrigan. Cette dernière put néanmoins participer aux Jeux, mais dut se contenter d’une très frustrante seconde place. Sa carrière s’arrêta là.
Pour Monica Seles, alors n°1 mondiale implacable (elle venait de remporter son huitième titre du Grand Chelem à seulement 19 ans), l’attentat, d’une sauvagerie inédite, eut lieu en plein match, à Hambourg en avril 1993, lorsqu’elle fut poignardée dans le dos par un déséquilibré lors d’un changement de côté.
Absente du circuit pendant deux ans, davantage en raison du traumatisme psychologique que de la blessure elle-même, elle ne fut plus jamais aussi dominante ensuite. Elle triompha à l’Open d’Australie en 1996, son neuvième et ultime titre majeur, mais demeura enlisée dans une dépression consécutive à cette injustice et à l’annonce de la maladie de son père. Dans un livre de souvenirs poignants, paru en 2009 aux Etats-Unis, elle détailla sa détresse qu’elle tentait alors de calmer par des accès boulimiques. Voilà ce qu’elle m’avait raconté lors d’une interview pour L’Equipe Magazine:
«Comme j’étais insomniaque, la nuit, je dévalisais le réfrigérateur, ou bien je prenais la voiture pour me ravitailler dans la première épicerie du coin. J’étais devenue très anxieuse. Je m’étais aperçue que manger réussissait à me calmer. Petit à petit, c’est devenu une habitude, puis une drogue. Je me remplissais pour combler un vide, j’imagine. Lors de sa comparution, mon agresseur a dit qu’il n’était pas normal qu’une jeune femme aussi mince domine le tennis comme je le dominais à l’époque. Il faut peut-être chercher une explication inconsciente de ce côté-là.»
Monica Seles aurait pu (dû) devenir la plus grande championne de tennis de l’histoire, mais une main criminelle l’en a empêché.
Même si son agresseur l’a attaquée par hasard, contrairement à Monica Seles et Nancy Kerrigan, Stephanie Gilmore navigue aujourd’hui à vue, sur mer comme sur terre, en doutant un peu de tout et de tout le monde ces jours-ci.
«Cet événement a changé le cours de ma vie. Il m’a rendue vulnérable. Quand vous êtes la meilleure, vous vivez dans une bulle et vous vous sentez invincible. Vous pensez que rien ne peut vous arriver. Mais quelqu’un a crevé cette bulle et plus rien n’est comme avant.»
Elle n’est clairement plus la meilleure surfeuse du monde et ne le sera peut-être plus jamais. Réussir à être la meilleure à Biarritz cette semaine serait un premier pas sur le chemin de cette guérison si difficile…
Yannick Cochennec