Le circuit de tennis professionnel ne semble jamais s’accorder la moindre pause. En l’espace d’un mois, les joueurs viennent d’enchaîner les tournois de Roland-Garros et de Wimbledon, mais qu’à cela ne tienne, les joueurs sont encore sur la brèche cette semaine à l’occasion des quarts de finale de la coupe Davis, organisés cinq jours seulement après la victoire de Novak Djokovic sur Rafael Nadal au All England Club.
Avec sagesse, et aussi parce qu’il est blessé au pied, Nadal a refusé de rallier la ville d’Austin, au Texas, où les Etats-Unis accueillent l’Espagne. En revanche, Djokovic, après un détour par Belgrade pour célébrer son triomphe et sa place de n°1 mondial avec la foule de son pays, poursuit le rythme de ses cadences infernales en étant bien présent à Halmstad, en Suède, où la Serbie, détentrice du célèbre saladier d’argent, espère poursuivre sa route. La France de Guy Forget, emmenée par Gaël Monfils, Richard Gasquet, Jo-Wilfried Tsonga et Michaël Llodra avec Gilles Simon dans le rôle du sparring-partner, se retrouve de son côté à Stuttgart pour une rencontre face à l’Allemagne en principe à sa portée.
En l’espace d’un week-end, le tennis devient ainsi un sport collectif avec des rites complètement différents où le nationalisme, d’habitude mesuré lors des tournois du Grand Chelem, peut s’exprimer en toute liberté. Encouragés par des supporters qui chantent et qui sautent, les joueurs ne sont-ils pas là, après tout et avant tout, pour défendre le drapeau? Certes, mais ils ne sont pas là pour rien non plus. En effet, contrairement à certaines idées reçues, des rémunérations accompagnent ces participations. Elles ne sont évidemment pas la raison essentielle de l’engagement des joueurs -loin de là- mais elles constituent une source de revenus qui n’est pas négligeable.
10 millions au total
Il faut d’abord savoir que depuis 1981, date à partir de laquelle elle a été associée à un sponsor en titre (NEC remplacé depuis par BNP Paribas), la coupe Davis offre une dotation aux pays compétiteurs. En 2011, le total réparti entre les différentes divisions se monte à quelque 10 millions de dollars, mais le détail de la ventilation de cet argent n’est jamais fourni explicitement par la Fédération internationale de tennis (FIT) qui, de manière un peu hypocrite, veut occulter cet aspect de la compétition pour se focaliser uniquement sur les valeurs véhiculées par la coupe Davis. Néanmoins, nous savons qu’en 2010, la Serbie a reçu 1,1 million de dollars pour sa victoire alors que la France, finaliste, s’est contentée d’à peu près la moitié. Au regard des sommes allouées lors des rendez-vous du Grand Chelem, c’est dérisoire (Roland-Garros a proposé plus de 17 millions d’euros en 2011).
Charge est ensuite donnée aux fédérations nationales de faire de cet argent ce qu’elles veulent et de rémunérer leurs joueurs comme elles l’entendent. En France, depuis 1991, date qui correspond à la première année de capitanat de Yannick Noah et à la victoire historique de Lyon face aux Etats-Unis, un système original a été mis en place.
Il se fonde sur les principes suivants. Il y a d’abord une addition de toutes les recettes accumulées pendant une saison: dotations de la FIT, droits de télévision, contrats de sponsoring liés à l’équipe et produit de la billetterie. Puis, comme dans toute comptabilité, on procède à une addition de toutes les dépenses: frais de déplacement et d’hébergement, location des salles et mise en place des infrastructures lorsque la France est la nation qui reçoit… La différence, en principe positive (cela a toujours été le cas depuis 20 ans selon Christophe Fagniez qui surveille les comptes à la Fédération Française de Tennis), revient à l’équipe de France de la manière suivante sachant que l’encadrement (médecin, kinésithérapeutes, cordeur…) n’est pas concerné par cette répartition des gains.
Sur deux ans
Quinze pour cent de la somme tombe dans l’escarcelle de Guy Forget, capitaine depuis 1999. Le reste du gâteau est découpé entre les joueurs d’une façon particulière car leur salaire est calculé sur deux campagnes de coupe Davis. Lorsque les joueurs ont été payés, fin 2010, ils l’ont été sur les résultats enregistrés en 2009 et 2010. En effet, par souci d’égalité, pour ne pas trop favoriser les joueurs associés aux bonnes campagnes aux dépens des moins bonnes, les joueurs ne peuvent pas se partager tous les bénéfices d’une année, l’autre restant étant remis au pot pour l’année suivante selon un calcul assez complexe. Christophe Fagniez précise:
«Les parts revenant aux équipes des deux campagnes sont calculées au prorata du nombre des rencontres disputées lors de chacune d’elles, la part revenant à l’équipe de la campagne précédente ne pouvant toutefois excéder 50 %».
Fin 2010, après la finale en Serbie, huit joueurs ont été payés, ceux qui ont obtenu au moins une sélection en 2009 et 2010: Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils, Richard Gasquet, Gilles Simon, Michaël Llodra, Jérémy Chardy, Julien Benneteau et Arnaud Clément. Pour déterminer le montant des chèques de chacun, un système de points a été mis en place depuis 20 ans. Un joueur sélectionné marque d’entrée un point comme Monfils, Tsonga, Gasquet et Llodra lors de l’actuel Allemagne-France. A chaque simple disputé (même perdu), il en gagne un de plus (y compris lors d’un match sans enjeu). A chaque simple remporté (à condition cette fois qu’il ne soit pas joué pour du beurre quand le score est acquis à 3-0 ou 3-1), un joueur ajoute un autre point. En double, un match disputé est tarifé un point pour chacun deux joueurs, mais un succès ne vaut qu’un demi-point pour chacun des deux protagonistes. Il a été aussi admis sauf exception, qu’un sparring-partner, qui fait office de 5e homme mais n’est pas sélectionné comme Gilles Simon cette semaine à Stuttgart, récupère également un point.
En 2009 et 2010, Michaël Llodra a été l’homme le plus présent avec 18,5 points. C’est donc lui qui a été le mieux payé après la défaite serbe. Combien? Sachant que les bénéfices de 2009 se seraient élevés, d’après l’Equipe, à quelque 170.000 euros et que ceux de la campagne 2010 auraient approché le 1,6 million d’euros, on peut extrapoler que Forget a ponctionné grosso modo 250.000 euros en deux ans (15% de 1,8 million) et que les joueurs se sont probablement partagés à la louche un petit million avec un bon quart pour Llodra. Rien de très vérifiable, cependant, car chuuuuuuuuut, apparemment, il ne faut pas trop le dire…
Yannick Cochennec