France

Tunnel Lyon-Turin: c'est loin l'Italie? Tais-toi et creuse!

Temps de lecture : 5 min

Contre le projet de tunnel Lyon-Turin, des opposants ne désarment pas dans le Val de Suse. Pourtant, ce type d’infrastructure facilite les échanges et rapproche les pays. Surtout, il favorise le ferroviaire pour réduire le nombre de camions dans les Alpes.

Perçage du tunnel du Saint-Gotthard, en mars 2011. REUTERS/Arnd Wiegmann
Perçage du tunnel du Saint-Gotthard, en mars 2011. REUTERS/Arnd Wiegmann

Contre qui les centaines de «black blocks» venus faire le coup de main dans le Val de Suse en avaient-ils? Contre le pouvoir italien et Silvio Berlusconi publiquement contesté depuis les dernières élections municipales? Ou contre les opposants au tunnel Lyon-Turin qui devrait réduire de 7 à 4 heures la durée du trajet entre Paris et Milan? Car ces derniers, venus manifester pacifiquement, n’ont pas apprécié que leurs revendications aient été balayées par les images de violence.

Que reproche-t-il au percement de ce nouveau tunnel ferroviaire? Qu’il porte un coup fatal à l’environnement dans le Val de Suse, même si, en dix ans de lutte, des négociations ont été menées et une partie des opposants ont rendu les armes. Ils ont obtenu des concessions sur le tracé et la construction d’une gare qui n’était pas prévue. De quoi, pour eux, faire pencher la balance du côté du tunnel. Car si le chantier impliquera forcément des désagréments locaux, cette liaison ferroviaire devrait en revanche permettre de réduire la circulation des camions dans une vallée également défigurée par ce trafic. Un argument de poids pour les défenseurs de l’environnement.

Des infrastructures qui accompagnent la croissance

Les grandes infrastructures soulèvent toujours les passions. Qui remettrait en cause aujourd’hui l’autoroute A1 ou l’aéroport de Roissy qui faillirent ne pas voir le jour tant leur utilité était, avant leur mise en service, contestée? Quant au tunnel sous la Manche, il déchaîna les lobbies attachés à l’insularité britannique. Mais il suffit de voir à quel point la moindre désorganisation du trafic cause de désagréments à tous les utilisateurs des navettes et des trains pour comprendre son importance aujourd’hui dans les déplacements entre la Grande Bretagne et le reste de l’Europe.

C’est d’ailleurs une fonction souveraine pour ces grandes infrastructures: elles rapprochent les pays en fluidifiant les échanges, contribuent à leur développement et renforcent ainsi les liens entre les populations. Ce n’est pas pour rien que le Japon est le pays qui compte le plus grand nombre de grands tunnels dans le monde: ceux du Sei-Kan (près de 54 km), de Dai-Shimizu (22 km) et d’Iwate (près de 26 km) sont en exploitation, et deux autres (celui d’Hakkôda de 26 km et d’I yama de 22 km) relieront bientôt les îles de l’archipel.

La Suisse est plutôt dans une logique de désenclavement avec ses tunnels du Saint Gothard, du Simplon et du Lötschberg (34,5 km pour ce-dernier), et surtout la nouvelle liaison à nouveau sous le Saint Gothard d’une longueur de 57 km, aujourd’hui percée et en cours d’aménagement pour une mise en service en 2017. Ces grands travaux helvétiques répondent aussi à une autre logique: lutter contre la circulation des poids lourds en rendant les transits ferroviaires obligatoires.

C’est d’ailleurs la logique de ces longs tunnels modernes: ils donnent la priorité au chemin de fer en faisant circuler les trains et les navettes sur lesquelles doivent embarquer camions et voitures. Les investissements sont moins lourds que pour un tunnel routier, et les trafics peuvent être mieux contrôlés et optimisés. On évite aussi les aléas qui peuvent survenir lorsqu’un conducteur un peu claustrophobe doit passer une demi-heure à son volant dans un flot de véhicules avec une montagne au-dessus de la tête. C’est bien ce genre de réflexion qui avait présidé au choix du tunnel sous la Manche (50,5 km), même si en l’occurrence les voyageurs circulent sous la mer et pas sous une montagne.

Le choix du ferroviaire pour les tunnels modernes

Il s’agit, en fait, de la troisième génération de tunnels. Dans les Alpes, la première génération se caractérise par un percement en altitude pour que les tunnels soient moins longs, à l’image de ceux du Mont Cenis (13,7 km) mis en service en 1871, du Saint-Gothard en 1882, du Simplon en 1906 ou de l’Arlberg en 1913. A l’époque, la suprématie du chemin de fer était totale, et ces tunnels lui étaient réservés.

A partir des années 60, alors que l’automobile détrône le train, les tunnels devinrent routiers. C’est le cas pour celui du Grand Saint Bernard entre la Suisse et l’Italie, exploité à partir de 1964, puis en France du Mont Blanc (11,6 km) et du Fréjus (12,9 km), et bien d’autres. Avec la croissance des trafics et notamment des camions, ils se révélèrent sous-dimensionnés, ce qui sera une des causes des six tragédies que connurent les tunnels alpins en six ans, entre 1999 (année de la tragédie du tunnel du Mont Blanc dans laquelle périrent 39 personnes) et 2005.

Un ingénieur qui avait participé au percement du tunnel du Fréjus et en avait ensuite assuré l’exploitation, était alors persuadé qu’on ne construirait plus de grand tunnel, à cause des investissements et des coûts induits par les nouvelles normes de sécurité. Pour les tunnels routiers, il avait raison. Mais le ferroviaire est revenu en force. Après celui sous la Manche inauguré en 1994, le tunnel suisse du Lötschberg en 2007 a ouvert la voie à la troisième génération.

Celui du Gothard (qui sera le plus long tunnel au monde) et l’autre du Brenner (entre l’Italie et l’Autriche, dont le percement devrait commencer en 2014) doivent suivre. Mais à la différence de la première génération, il s’agit de tunnels de base, creusés à basse altitude pour permettre des accès avec de faibles pentes qui autorisent le passage de trains banalisés à des vitesses plus élevées que dans les tunnels de crête.

Certes, les longueurs sont plus importantes, mais les progrès réalisés dans l’exploration géologique et le percement avec l’utilisation des tunneliers permettent aujourd’hui d’ouvrir de tels chantiers.

Lyon-Turin, un maillon entre Barcelone et Budapest

C’est dans cette catégorie de tunnels que s’inscrit la liaison Lyon-Turin, avec le tunnel de base de Modane (53 km) et celui de Bussoleno (12 km). Elle est un maillon d’une liaison transeuropéenne entre Barcelone en Espagne (voire Lisbonne au Portugal) et Budapest en Hongrie, ce qui souligne sa dimension communautaire. Le tunnel est conçu pour le passage des TGV afin que Lyon ne soit plus qu’à 1h45 de Turin, au lieu de 4 heures aujourd’hui. Mais surtout, alors que les trois quarts du transport de marchandises entre la France et l’Italie passent aujourd’hui par la route, un tunnel ferroviaire devrait permettre un rééquilibrage.

Toutefois, le financement n’est toujours pas bouclé. Sa facture, passée de 6,7 milliards d’euros en 2003 à 7,6 milliards en 2006, serait aujourd’hui plutôt de l’ordre de 10 milliards. Prudence: personne ne veut voir réitérée la situation de faillite dans laquelle s’est trouvée la société Eurotunnel plombée par une dette de 9 milliards d’euros. Alors, on piétine. Mais il existe une grosse différence: Londres avait refusé de verser «le moindre penny public» dans le tunnel sous la Manche. Cette fois, Paris et Rome, et même Bruxelles, s’engagent.

Initialement, la mise en service était prévue entre 2018 et 2020, mais on évoque maintenant plutôt 2023. Côté français, les «descenderies» (les galeries à partir desquelles le percement du tunnel proprement dit pourra s’effectuer) ont été creusées à Modane, La Praz et Saint Martin dans la vallée de la Maurienne. En Italie, un nouveau tracé a été défini en juillet 2010. Les affrontements dans le Val de Suse ont éclaté alors que les travaux de la galerie de reconnaissance de La Maddalena commençaient.

Gilles Bridier

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