Culture

Hollywood, faiseur d'Histoire

Temps de lecture : 5 min

Le cinéma est sans doute l’arme la plus puissante de la dernière super puissance planétaire. Film après film, les Etats-Unis réécrivent l'histoire, effacent les aspérités, disculpent l'humanité de ses erreurs.

X-Men: le commencement.
X-Men: le commencement.

Récemment, deux films hollywoodiens de science-fiction revisitent l’histoire du monde en prenant soin de donner aux Etats-Unis le beau rôle. Que ce soit dans X-Men: le commencement ou Transformers 3, le spectateur assiste à une nouvelle version d’événements mondiaux connus de tous mais dont on aurait ignoré les véritables ressorts.

Sans entrer dans les théories du complot à la mode, il est essentiel de constater une fois de plus la puissance narratrice exceptionnelle des Etats-Unis. Et de chercher à comprendre comment Hollywood représente sans doute l’arme la plus puissante de la dernière super puissance planétaire.

X-Men: le commencement sorti le 1er juin en France propose une curieuse version de la crise des missiles de Cuba. A la manière des James Bond, le véritable méchant de cette fiction n’est pas le bloc soviétique ou les démocraties occidentales, mais une organisation ultra-secrète ayant intérêt à faire s’affronter les deux camps ennemis.

007 devait affronter le SPECTRE, les mutants de X-Men doivent faire face à leurs homologues désireux de détruire les humains avant que ceux-ci ne les éliminent à cause de leur différence.

Parabole sur l’Autre et le monstre qui n’est pas toujours celui qui en possède l’apparence, X-Men réécrit l’histoire de la Guerre froide en réconciliant Est et Ouest puisque les humains ont été manipulés par une force extérieure pour se combattre.

Cette idée de manipulation de l’humanité se retrouve dans Transformers 3 sorti le 29 juin en France, où les super héros font place à des extraterrestres cybernétiques. La guerre entre decepticons partisans de la dictature et autobots favorables à la démocratie se poursuit sur la Terre, ou plutôt sur la Lune, car on apprend que la véritable motivation de la course à l’espace entre Américains et Soviétiques résidait dans la nécessité de récupérer un vaisseau spatial appartenant à une race venue d’ailleurs.

Tout comme dans X-Men, des images d’archives sont mélangées aux prises de vues du film et on peine à reconnaître la vérité historique de l’invention scénaristique.

X-Men comme Transformers 3 proposent une version revisitée de l’histoire de l’humanité, évidemment centrée sur les Etats-Unis. Nouveauté intéressante, Transformers 3 place l’action non pas dans les métropoles habituelles de Los Angeles ou New York chères aux blockbusters hollywoodiens, mais à Chicago, la ville du président Obama.

Ce n'est «que» du cinéma?

Les deux films de science-fiction ont peu en commun, X-Men étant un film de genres réussi alors que Transformers 3 présente nombre de défauts habituels à son réalisateur, Michael Bay étant un adepte des explosions en série et de la technique du «plein la vue».

Toutefois, le point commun réside dans cette volonté de disculper l’humanité de ses erreurs. Introduire l’idée d’un complot téléguidé par des aliens ou des mutants mérite qu’on s’y attarde en regardant avec plus d’attention l’histoire et le rôle des films hollywoodiens.

On pourrait passer sur ce curieux phénomène, en le balayant d’un «ce n’est que du cinéma» si la présentation d’une théorie du complot n’était pas si présente dans le cinéma made in Hollywood dès ses débuts.

Ainsi, celui qu’on considère généralement comme le premier vrai film de l’histoire, Birth of a Nation (1915) adapte un roman ouvertement raciste, The Clansman, publié en 1905. Le film de D.W. Griffith, bien que salué pour ses prouesses techniques et esthétiques, est encore considéré comme dangereux au même titre que le film de propagande nazi Triumph des Willens de Leni Riefenstahl.

Birth of a Nation présente des Afro-américains sournois et lubriques comme responsables de la Guerre de sécession, et a été utilisé comme un film de recrutement par le Ku Klux Klan jusque dans les années 1970. Absolvant presque le Nord et le Sud de tout crime, le film de Griffith présente les protagonistes blancs comme des frères abusés par ces mêmes noirs qu’ils tenaient en esclavage. La démonstration est facile et abjecte, mais permet de réconcilier une nation dont les traumatismes de la vie réelle sont souvent soignés par la thérapie des histoires hollywoodiennes.

Plusieurs décennies plus tard, Forrest Gump (1994) utilise la même technique de réconciliation des deux Amériques par la légende.

Obéis, tu seras un bon Américain

Cette fois, il ne s’agit pas d’utiliser le bouc émissaire afro-américain, politiquement correct oblige, mais bien de passer complètement sous silence l’histoire de la minorité issue de l’esclavage. Utilisant des images d’archives qu’il mélange à des prises de vues mettant en scène Tom Hanks, mais également des extraits de Birth of a Nation, le réalisateur Robert Zemeckis propose une relecture de près de quarante années d’histoire de l’Amérique qui gomme tous les aspects contestataires ou honteux.

Forrest Gump, nommé ainsi en hommage à son grand-père membre du Ku Klux Klan, est un simple d’esprit qui, à force de travail mais surtout d’obéissance, deviendra un héros de l’Amérique médaillé, riche et adulé. En revanche, Jenny, sa meilleure amie partisane de la réflexion voire de l’action contre le gouvernement, connaîtra une vie malheureuse et un destin tragique puisqu’elle sera une des premières à succomber au sida.

Forrest Gump est un film clair dans sa morale: l’obéissance au gouvernement est le meilleur moyen de réaliser le rêve américain.

Toute l’histoire des minorités et de leurs luttes politiques sont non seulement minimisées, mais les rares références qui y sont faites tendent à les ridiculiser. Le déhanchement d’Elvis Presley, célèbre pour avoir «emprunté» son style à la musique afro-américaine, serait due à son imitation des mouvements de Forrest Gump engoncé dans des attelles, et non aux mouvements de danse de la musique noire.

Pas de complot ici, mais un effacement de l’histoire non officielle pour mieux réconcilier l’Amérique Wasp qui cherche à se rédimer non dans les actes mais dans la mémoire collective.

On pourrait multiplier les exemples où la cinématographie hollywoodienne réécrit l’Histoire. Celle de l’Europe est largement revisitée, souvent en multipliant les erreurs historiques comme les kilts prématurés de Braveheart mais surtout de façon insidieuse en mélangeant idéologie et passé.

Les historiens eux-mêmes ne sont pas neutres dans leurs réflexions, mais Hollywood, sous couvert de distraction, produit de l’infotainment dont les conséquences ne sont pas innocentes.

A l’heure où certains doutent de l’alunissage américain de 1969, Transformers 3 se présente comme une confirmation de leurs doutes sur l’air de «on nous cache tout, on nous dit rien ». Quant à X-Men, on ressort de la séance avec l’impression qu’un des épisodes les plus sombres de la Guerre froide n’est pas de la responsabilité de l’humanité.

Que ces exemples soient loufoques ne changent rien pour les adeptes de la théorie du complot, celle-ci reposant souvent sur des spéculations échappant à toute logique. Au final, considérer toutes les productions hollywoodiennes comme de la propagande paraît très exagéré. En revanche, constater que Hollywood produit depuis des décennies une mémoire collective à l’échelle de l’humanité paraît plus proche de la réalité. Et s’avère un concept bien plus effrayant.

Etienne Augé

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