Monde

Chavez et le Venezuela cernés par la maladie

Temps de lecture : 4 min

La maladie du président fait courir les rumeurs les plus folles dans un pays qui s'apprête à célébrer le bicentenaire de son indépendance.

Des partisans de Chavez tiennent un journal portant sa photo, le 1er juillet 2011 à Caracas. REUTERS/Carlos Garcia Rawlins.
Des partisans de Chavez tiennent un journal portant sa photo, le 1er juillet 2011 à Caracas. REUTERS/Carlos Garcia Rawlins.

«Maintenant et pour toujours, nous vivrons et nous vaincrons!». Pour clore son discours en direct de la Havane, jeudi 30 juin au soir, le président Chávez n'a pas voulu terminer par l'habituel slogan: «La patrie socialiste ou la mort». Le visage pâle et grave, il venait d'annoncer à ses compatriotes, après vingt jours de silence, que les médecins cubains lui avaient extrait une tumeur cancéreuse... Suffisant pour faire taire les rumeurs qui courent depuis trois semaines sur son état de santé? Rien n'est moins sûr, car le président socialiste n'a pas précisé le degré de gravité de sa maladie, ni fixé une date de retour au pays.

A Caracas, où le Comandante, connu pour son hyperactivité, ne s'était pas adressé au pays depuis le 12 juin, la superstition gagne certains esprits, qui avaient interprété comme un acte blasphématoire l'exhumation par Chávez en août dernier du Libérateur Simon Bolivar. Après sa rencontre avec le squelette du héros national, Hugo Chávez avait partagé son émotion mystique avec le pays:

«En voyant les restes de Bolivar, je lui ai demandé "Père, est-ce toi ou n'est-ce pas toi, ou qui es-tu?" et il m'a répondu "Oui, c'est moi, je me réveille tous les cent ans quand le peuple se réveille".»

Courroux des esprits

Le leader de la gauche sud-américaine, qui avait pourtant juré qu'il cherchait simplement à s'assurer que la dépouille reposant au Panthéon était bien celle du Libérateur, avait aussitôt été accusé de pratiquer la santería, cette religion cubaine qui mélange animisme africain et catholicisme. A l'époque, l’anthropologue vénézuélien Fernando Coronil avait expliqué au New York Times que les santeros croient que les os contiennent l'énergie spirituelle du mort, que Chávez aurait voulu s'approprier. Un acte jugé dangereux par certains adeptes de la santeria eux-mêmes, qui vont jusqu'à penser que le Comandante pourrait bien avoir déclenché le courroux d'esprits plus forts...

«La rumeur religieuse fait écho à un phénomène de sacralisation politique en cours depuis 92, touchant la figure de l’État, la “révolution bolivarienne” et ses acteurs dont leur leader», analyse Clémentine Berjaud, qui prépare une thèse de doctorat à Paris-I sur «Les téléspectateurs face à Chavez, Venezuela». Un phénomène d'autant plus important au Venezuela, terre de syncrétismes religieux. Depuis que le président est malade, des rituels indigènes ont été organisés en son honneur ainsi que des messes catholiques, la dernière en date «commandée» par l'Assemblée nationale elle-même.

D'une forte présence à un vide abyssal

Les rumeurs «visent à redonner du sens à une situation vue comme complexe et incertaine», explique Clémentine Berjaud. Dans le cas du président Chávez, qui a habitué ses compatriotes, en douze ans de pouvoir, à de longues heures de discours télévisés, le vide laissé semble abyssal: «La communication politique de Chávez présente deux caractéristiques: [...] son importante présence médiatique et sa manière de gouverner “en direct”», décrypte la chercheuse. «Sa disparition des écrans crée un vide et une vive inquiétude: il est absent physiquement, mais qui gouverne alors le pays? L’image d’un navire sans capitaine, sans personne à la barre, est dans toutes les têtes.»

D'autant plus que Chávez jouissait jusqu'à présent d'une image presque divine chez ses partisans. «Les gens pensaient qu'il était immortel!», s'exclame l'historienne Margarita Lopez Maya, enseignante et chercheuse à l’Université centrale du Venezuela (UCV): «Il ne prenait jamais de jour de repos, pouvait passer huit heures à l'antenne sans boire ni aller aux toilettes, et là son corps l'a rattrapé et lui a rappelé qu'il était humain.»

Un corps blessé, qui révèle ses faiblesses, à l'image d'un gouvernement en perte de vitesse depuis des années, qui s'est éloigné des mouvements sociaux de base. C'est l'interprétation que fait Roland Denis, ex-vice-ministre de la Planification en 2002-2003, professeur de sociologie à l'UCV: «Chávez incarne à la fois la figure du fils chéri du peuple et celle de son père protecteur. Sans cette dernière, le Venezuela est désordonné, angoissé.»

Crainte d'une action violente

Malgré ce désordre, assure Luis Vicente León, directeur de l'Institut de sondages Datanalisis, peu connu pour son soutien au gouvernement socialiste, «il n'y a pas de place pour le vide car les institutions comblent l'absence de Chávez, elles le remplacent». En effet, depuis le début de la convalescence du Comandante à Cuba, les ministres et vice-ministres les plus discrets apparaissent sur le devant de la scène pour médiatiser leur action mais aussi, bien sûr, assurer que le «Chef» se rétablit bien. «C'est peut-être une aubaine pour eux», glisse Margarita Lopez Maya, «car ils peuvent enfin travailler en-dehors de l'urgence qui caractérise toujours le discours présidentiel.»

L'héritier autoproclamé de Simon Bolivar sera-t-il de retour au Venezuela pour le bicentenaire de l'indépendance, mardi 5 juillet? Même le gouvernement ne se prononce plus à ce sujet. Les autorités se sont contentées d'annoncer l'annulation de la réunion inaugurale de la Celac (Communauté des Etats latino-américains et caribéens), prévue le même jour sur l’île de Margarita.

Dans un pays aussi polarisé, où la figure charismatique du président cristallise la passion des uns et la haine des autres, on peut craindre que certains soient tentés par une action violente si le président ne revient pas rapidement. «Nous ne sommes pas dans une configuration propice aux coups d’État», assure Luis Vicente León, qui décrit plutôt une ambiance «calme» en l'absence de l'impétueux président. Le frère du Comandante, Adan Chávez, a déjà rassemblé les troupes du Parti socialiste en les appelant à ne pas «exclure la lutte armée pour obtenir le pouvoir». L'opposition est prévenue...

Julie Pacorel

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