Prenez un rocher de deux kilomètres carrés en bordure de la Méditerranée. Ajoutez casinos, yachts, hôtels de luxe sur fond de paradis fiscal. Puis des histoires de princesse au parfum de sitcom. Laissez reposer. Saupoudrez enfin des dernières révélations supposées sur les mœurs légères (multiples conquêtes, deux enfants illégitimes) des plus hauts personnages de ce micro-Etat. De quoi remplir les pages des magazines people... Bienvenue à Monaco, le pays des excès et des paradoxes.
Derrière le cliché, une réalité surprenante: la Principauté se situe au-delà des frontières du conservatisme. Dans ce pays où le catholicisme est religion d’Etat, on ne plaisante pas avec les préceptes du Vatican. La preuve, avorter y était jusqu’à présent passible de dix ans de prison et de la déchéance de l’autorité parentale (article 248 du Code pénal).
Pourtant une page vient de se tourner. Le Conseil national (Parlement) a approuvé le 1er avril à l’unanimité une loi autorisant «l’interruption médicale de grossesse», c’est-à-dire dans un but thérapeutique. En clair, un médecin ne pourra pratiquer un avortement que dans certaines circonstances strictement définies par la loi: «risque pour la vie ou la santé physique de la femme enceinte», «grande probabilité de troubles graves et irréversibles du foetus ou d’une affection incurable menaçant sa vie» ou en cas de viol. Une avancée limitée donc, bien loin de l’IVG libéralisée à la française. Et même de la législation espagnole, pourtant très encadrée, qui prend en compte l’état de santé «psychique» de la mère.
«Qui aurait imaginé qu’un tel dossier allait prendre autant de temps dans notre Principauté si moderne, si indépendante?», s’est interrogée en séance Catherine Fautrier, initiatrice de la loi et membre de l'Union pour Monaco, un parti progressiste. Même si la mesure ne concerne que cinq à dix femmes par an selon le professeur Alain Treisser, chef du service gynécologie-obstétrique au centre hospitalier Princesse Grace (CHPG), c’est une petite révolution pour ce microcosme doré de 32.000 résidents. D’autant que la partie était loin d’être gagnée.
En 2006 déjà, la présidente de la commission des Droits de la femme et de la famille au Conseil national avait essuyé un revers face à la frilosité du gouvernement princier. Il fallait un texte qui «ne troublerait pas les âmes pieuses et sensibles», explique sans rire Nicole Manzone-Saquet, conseiller national et présidente de l’Union des femmes monégasques. La nouvelle loi a prévu des garde-fous avec l’obligation pour le médecin d’obtenir l’avis conforme d’un collège médical, sauf en cas de viol. Aujourd’hui, la parlementaire peut donc se réjouir de «la valeur plus que symbolique» de la nouvelle loi. Et de la fin d’une hypocrisie.
«Dans le discours officiel, l’avortement n’existait pas. Mais au quotidien, les Monégasques se tournaient vers le CHU de Nice», rappelle Jean-François Robillon, conseiller national et cardiologue au centre hospitalier Princesse Grace (CHPG). Concrètement, les femmes concernées devaient débourser 190 à 275 euros selon la méthode d’avortement choisie, la sécurité sociale monégasque ne remboursant pas ce genre de frais.
Et le Prince Albert dans tout ça? Lui, qui ne s’est jamais exprimé publiquement sur le sujet, doit ratifier la loi avant son entrée en vigueur. «A priori, il n’y est pas opposé puisqu’il a nommé le ministre d’Etat [Premier ministre] qui a soumis la loi au vote du Parlement», estime Olivier Wenden, membre du Secrétariat général du Conseil national.
De son côté, l’Eglise a du mal sortir du trio des pays les plus conservateurs en matière d'avortement que composaient alors la principauté, Malte et l'Irlande. L'archevêque de Monaco Mgr Bernard Barsi voit dans cette loi la porte ouverte à la généralisation de l’IVG: «Tout le reste risque de suivre et le pire est à redouter parce qu’on n’aura de cesse de prétendre mettre Monaco au diapason du minimum de standard éthique». Après avoir consulté le Vatican, le comité bioéthique diocésain (juristes français et monégasques, professeurs de médecine, pharmaciens et prêtres) est lui aussi monté au créneau. «On traite la maladie en faisant disparaître le malade», a-t-il déploré, n'hésitant pas à comparer le fœtus… à un malade.
Egalement friand de métaphore, Jean-François Robillon a surpris le Conseil en apportant une boîte pleine de préservatifs lors du vote. Une pique lancée aux autorités religieuses, quelques semaines après les propos controversés du Pape sur l’utilisation du préservatif. «L’Eglise a une grande influence sur la société monégasque. Si les questions morales comme le mariage homosexuel ne sont pas taboues, elles restent confidentielles», regrette le médecin. Autrement dit, la reconnaissance du PACS à Monaco, ce n’est pas pour demain. Le ministre d’Etat Jean-Paul Proust s’est d’ailleurs engagé le 28 avril 2008 à ne pas légiférer sur le sujet, jugeant le concubinage homosexuel «non conforme» aux mœurs du Rocher. «Ce n’est pas le concubinage qui me gêne, c’est l’homosexualité au nom des principes du gouvernement princier», a-t-il déclaré. Preuve que l’Eglise n’a pas perdu toute influence sur la gestion des affaires monégasques. Sea, sun… mais pas complètement sex.
Margaux de Frouville et Lydie Marlin
Photo: la cathédrale de Monaco (Flickr/freefotouk)
La principauté monégasque a eu les honneurs de Slate il y a quelques semaines: «A Monaco, il reste des vrais riches»