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Que risque-t-on quand on fait «fuiter» un sujet du baccalauréat?

Temps de lecture : 7 min

Comment un sujet du bac peut-il être révélé? Que risque l’internaute qui a fait fuiter le sujet? Le site de jeux vidéo est-il complice? FAQ de la triche aux examens.

Des élèves du lycée Clémenceau à Nantes passent une épreuve du Bac REUTERS/ Stéphane Mahe
Des élèves du lycée Clémenceau à Nantes passent une épreuve du Bac REUTERS/ Stéphane Mahe

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Le Parquet de Paris a requis le placement en détention provisoire de trois jeunes soupçonnés d'avoir organisé la fuite d'un sujet du Bac S diffusé sur le web. Déférés samedi matin, les trois suspects seront présentés dans la journée à un juge d'instruction. En cas de mise en examen, le juge des libertés et de la détention (JLD) devra statuer sur leur éventuel placement en détention. Au delà de la sévérité de la demande du Parquet, que risquent-ils? Mise à jour de notre explication publiée jeudi.

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Un internaute a fait «fuiter» un des exercices de mathématiques du baccalauréat scientifique sur un forum du site jeuxvideo.com lundi, veille de l’épreuve. Le ministre de l’Education Luc Chatel a déclaré que l’exercice ne serait pas comptabilisé (les bacheliers seront notés sur les autres parties de l’épreuve) et a décidé d’abaisser la moyenne d’obtention du baccalauréat S à 9/20 au lieu du 10/20 habituel.

Jeudi, deux frères de 21 et 25 ans ont été interpellés. Ce vendredi, ils sont entendus par la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), et un troisième homme, qui leur aurait fourni la photo du sujet de maths, a été placé en garde à vue. Dans l'après-midi, une quatrième personne, qui serait l'auteur de la photographie en question, a été à son tour placée en garde à vue.

Comment un sujet du bac peut-il être révélé? Que risque l’internaute qui a fait fuiter le sujet? FAQ de la triche aux examens.

Comment fait-on fuiter un sujet de baccalauréat?

Répondre à cette question, revient à en poser une autre: qui a accès aux sujets avant l’épreuve?

Les sujets sont mis en forme par une commission d’élaboration et de choix des sujets constituée d’un inspecteur d’académie ou d’un inspecteur pédagogique régional, de professeurs de lycée et d’un enseignant chercheur. Une fois les sujets élaborés, ils sont testés par deux professeurs qui donnent leur avis sur la faisabilité du sujet, et les possibles erreurs. Puis le sujet est approuvé par un universitaire, un inspecteur, le président de la commission et le recteur d’académie.

Selon le site de l’Education nationale, la duplication, le stockage et la distribution des sujets entre les centres d’examen se fait au niveau des rectorats. Toutes les personnes qui voient les sujets signent une attestation de confidentialité.

Roland Hubert, directeur des publications du Syndicat national des enseignements de second degré (Snes), estime ainsi que la chaîne de fabrication des sujets «a forcément des failles», mises en valeur par la révélation d’un sujet:

«Nous n’accusons personne, mais nous voulons des garanties de sécurité: nous voulons savoir si le ministère sous-traite la préparation des copies de Bac à des entreprises privées, et comment il s’assure du respect de la confidentialité de l’épreuve.»

La Maison des Examens ou Service Interacadémique des Examens et Concours (SIEC), dont dépendent les sujets distribués en Ile-de-France, dispose de ses propres imprimeries. Pourtant, pour des sujets «hors format» (par exemple, ceux qui ne sont pas en format A4 ou qui sont en couleur), elle peut éventuellement faire appel à des entreprises privées habilitées, contraintes par des règles de marché public. Ces entreprises chargées d’une mission de service public sont soumises à des règles «de haute confidentialité», selon Vincent Goudet, président du SIEC Ile-de-France. En général, deux personnes se chargent de l’impression. Après impression, les sujets sont mis sous scellés, et transmis aux établissements quelques jours avant l’épreuve.

Les sujets ne sont censés être ouverts qu’au moment de l’examen. Si un paquet est ouvert (par mégarde, ou par malveillance), celui-ci est «grillé»: le ministère décide de lancer un sujet de secours prévu pour ce type de situation. Un scénario élaboré pour que les étudiants ne se rendent compte de rien, et qui se présente «régulièrement» selon la Maison des Examens. Cette année, cette procédure aurait été suivie «trois ou quatre fois», affirme Vincent Goudet.

Au sein du lycée, le coffre peut être forcé pour récupérer les sujets, mais il peut également arriver que le proviseur se trompe de copies et ouvre le mauvais paquet, ou qu'une enveloppe soit perdue. «Dans l'immense majorité des cas, il s'agit d'erreurs humaines», explique Vincent Goudet. Dans tous les cas, l’épreuve sera compromise.

Que risque-t-on lorsqu’on révèle un sujet d’examen avant le jour J?

Tricher à l’examen national constitue un délit, selon l’article 1 de la loi du 23 décembre 1901 réprimant les fraudes dans les examens et concours publics. «S'il s'avère qu'il y a eu des complicités internes à l'Education nationale, il y aura évidemment des procédures disciplinaires», a estimé Luc Chatel. L’article 2 spécifie les peines encourues:

«Quiconque se sera rendu coupable d'un délit de cette nature, notamment en livrant à un tiers ou en communiquant sciemment, avant l'examen ou le concours, à quelqu'une des parties intéressées, le texte ou le sujet de l'épreuve, ou bien en faisant usage de pièces fausses, telles que diplômes, certificats, extraits de naissance ou autres, ou bien en substituant une tierce personne au véritable candidat, sera condamné à un emprisonnement de trois ans et à une amende de 9.000 euros ou à l'une de ces peines seulement

Luc Chatel a porté plainte contre X pour «fraude aux examens» et «recel et abus de confiance». Le ministère de l’Education a annoncé mercredi engager une enquête «afin de permettre l'identification des responsables et de leurs éventuels complices». Jeudi, celle-ci a été étendue aux soupçons de fuite pour trois autres épreuves.

Qu’adviendra-t-il des complices de l’auteur du délit? «Les mêmes peines seront prononcées», spécifie l’article 3.

Que risque JeuxVideo.com?

Le message divulguant l’exercice de mathématiques du baccalauréat S la veille de l’examen a été posté sur le forum «BlaBla 15-18 ans». Selon le service de presse du site, le post de l’internaute a été retiré dès mardi 21 juin et l’utilisateur a été banni du forum. JeuxVideo.com peut-il néanmoins être considéré comme complice de la fraude?

Selon Anne Cousin, avocate au barreau de Paris spécialisée en technologies de l’information et de la communication, le site n’est pas directement responsable du délit:

«Si le message a été a été posté sur un forum, JeuxVideo.com est considéré comme hébergeur et n’est pas responsable du contenu illicite. En revanche, il devient responsable si on lui notifie le caractère illégal de son contenu, et doit alors le retirer dans les 8 heures qui suivent, comme le précise l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Si le site apprend le caractère illégal d’un de ses contenus d’une autre manière, comme ici par les média, il est aussi tenu de retirer son contenu. S’il ne le fait pas, il risque les même peines que l’auteur de la divulgation du sujet du Bac S.»

Est-ce-que le site peut refuser de transmettre l’identité de l’internaute responsable de la fuite?

La loi l’interdit: selon le décret du 25 février 2011, les fournisseurs d’accès et les hébergeurs sont obligés de conserver les données de connexion des internautes inscrits sur le site. Si un juge l’ordonne, les hébergeurs doivent communiquer ces données:

«Ils peuvent ainsi fournir une adresse email, un nom, mais si le site est gratuit cela peut être des données tout à fait fantaisistes. Toutefois, l’adresse IP permet de remonter à un ordinateur et donc à une vraie personne», explique Anne Cousin.

Les autorités ont d'ailleurs demandé au directeur du site, Sébastien Pivassy, de fournir ces données. «A leur demande, nous leur avons communiqué les informations sur l'affaire de la fuite de l'épreuve de maths du bac S», a expliqué le directeur de Jeuxvideo.com au Figaro.fr. Sébastien Pivassy a aussi précisé que le site stockait toutes les adresses IP des internautes qui postent sur les forums.

BONUS: Que risque-t-on lorsqu’on triche au baccalauréat?

Dans le cas présent, on ne sait pas si des bacheliers qui passaient cette épreuve ont eu accès à l’avance au sujet de maths. Encore moins leur nombre. Mais dans le doute, on estime que la fraude a été généralisée et le ministère de l’Education a donc décidé que l’exercice ne serait pas noté. «Chaldeen», l’internaute qui a posté le sujet sur jeuxvideo.com assure d’ailleurs qu’il a remis le sujet à des élèves «en mains propres». Dans ce type de situation, le ministre aurait pu également décider de faire repasser l’épreuve, une solution plus équitable selon le Snes.

Mais si un élève en particulier est pris en flagrant délit de tricherie, il risque gros. En 2010, sur quelque 650.000 candidats qui se sont présentés au bac, 262 ont été suspectés d'avoir triché. Le ministère de l’Education ne révèle pas le nombre de sanctions décidées.

En cas de fraude, ou même de tentative de fraude à l’occasion du bac (général, technologique ou professionnel), le chef du centre d’examen ou le président du jury constitue un dossier, transmis à la commission de discipline des universités, qui convoque le candidat au mois d’octobre. Plusieurs sanctions disciplinaires sont envisagées en fonction de la gravité de la fraude, allant du simple avertissement à l'exclusion définitive de tout établissement public d'enseignement supérieur, la nullité de l'examen ou du concours.

Quant à «Chaldeen», qui affirme avoir déjà eu son bac, ces sanctions ne pourront pas lui être appliquées (en revanche, la loi précitée du 23 décembre 1901 s'applique).

Daphnée Denis et Bénédicte Lutaud

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