La grande cuisine est affaire de famille: le père transmet à ses enfants le feu sacré, un corpus de recettes, un style culinaire bien précis en plus d’un site, d’une clientèle, et d’une image de marque. Ce fut le cas à Roanne avec les Troisgros et Michel aujourd’hui. À Joigny, Michel Lorain, créateur du bar fumé au caviar, a passé le relais à Jean-Michel qui a reconquis les trois étoiles en 2004. À Vonnas, le Bressan Georges Blanc a métamorphosé l’Auberge de la Mère Blanc en un temple de la gastronomie régionale (poularde et grenouilles) et nationale. À Illhaeusern, en Alsace, près de Colmar, le quinqua Marc Haeberlin a maintenu et amélioré le legs de Paul, son père (le foie d’oie admirable et le saumon soufflé historique).
Alors, dans le cénacle des chefs stars, bon sang ne saurait mentir? Le flambeau se transmet et l’excellence aussi. Voyez à La Rochelle, le port aux trois tours, superbement préservé, où Richard Coutanceau a montré la voie à ses deux fils, Grégory et Christopher, tombés dans la marmite d’ormeaux en culottes courtes.
Civet de homard, restaurant Coutanceau
Le père, excellent chef étoilé à l’Hôtel de France (disparu), avait pris soin de loger ses gaillards au-dessus de la cuisine –une enfance baignée par les effluves de soupes de moules, de beurre blanc bien échaloté, de jus de viande nappant le turbot des côtes. Oui, une singulière éducation des papilles pour deux futurs toqués, chantres des joyaux de la mer.
La Rochelle, une cité de mangeurs? Dans ce port ouvert sur l’océan, épargné par les bombardements allemands, on compte 350 restaurants et comestibles pour 85.000 habitants intra-muros. Mais à la criée du matin, il n’y a hélas jamais plus de trois restaurateurs –dont les frères Coutanceau, lesquels ont réussi en quelques années à forger l’image gourmande de La Rochelle. Vu la profusion d’enseignes, il faut savoir où bien se nourrir.
Grégory et Christopher, fidèles à leur poste de chef, rarement absents, règnent sur quatre établissements recommandables, les meilleurs, les plus fiables de la ville côtière.
Les Flots
C’est l’œuvre de Grégory, «explorateur des saveurs». Ce restaurant à terrasse est idéalement situé sur le Vieux Port (XIIe siècle), au pied de la Tour de la Chaîne (1382). Transformé par l’aîné à l’âge de 22 ans, c’est un passage obligé pour respirer l’air du large et découvrir les multiples talents de ce chef créatif qui panache les préparations de la terre et de la mer.
À côté du carpaccio de coquilles de saint Jacques et betteraves parfumées d’une vinaigrette au wasabi, escortées d’un mesclun de poires à la chicorée (21 euros) et du turbot sauvage crousti-moelleux (25 euros), voici le plat vedette, un bar de ligne tranché à cru et escorté d’un salpicon de mangue et poivron rouge et d’une gelée au piment d’Espelette (23 euros): une savoureuse assiette d’entrée de jeu, le bar enrichi de belle manière
Après le foie gras de canard mi-cuit en ballottine, vous allez être tenté par le ris de veau aux langoustines et légumes au vinaigre balsamique (33 euros) ou par le filet de bœuf accompagné d’un salpicon de foie gras et pommes Pont-Neuf (34 euros).
Cylindres d'encornets, restaurant Coutanceau
Les amateurs de poissons nobles ont à choisir entre les grosses gambas rôties au beurre (23 euros), la sole de petit bateau à la plancha (39 euros), la barbue au laurier (34 euros) et le homard rôti en deux versions (44 euros). De l’artisanat soigné, goûteux et identifiable, très proche de l’étoile Michelin.
On termine par un ensemble de douceurs bien tournées dont l’exquise déclinaison des grands crus de chocolat (12 euros). Excellent rapport prix plaisir. Menu « retour de pêche » à 26 euros, « du marché » à 39 euros, « grand menu gastronomique » à 69 euros. En reconnaissance de son action pour la promotion de la cuisine de vérité, Grégory Coutanceau a reçu le titre de « Meilleur Restaurateur ».
- 1 rue de la Chaîne. Tél. : 05 46 41 32 51. Pas de fermeture.
Richard et Christopher Coutanceau Relais & châteaux
À 13 ans, Christopher, le cadet, fait la plonge dans l’hôtel restaurant de son père, Richard Coutanceau, un maître de la technique appliquée aux beaux produits. Le fiston a senti que l’univers des fumets et des cuissons allait orienter sa vie, si bien qu’il s’inscrit à l’école hôtelière, en cachette de ses parents. Rien sans les bases, l’étude des produits, la découpe des poissons, les jus, les sauces et les assaisonnements exacts.
Chez Guérard à Eugénie-les-Bains, il côtoie son maître, dix-huit mois de leçons de rigueur (l’oreiller moelleux de mousserons et de morilles aux asperges vertes) et d’émerveillement: la meilleure tarte aux fraises du monde. À 17 ans, il entend l’inventeur de la cuisine minceur lui dire: «Tu feras un bon cuisinier, mon Richard.» Bien vu!
En reprenant, voici quatre ans, le beau restaurant de son père en front d’océan, sur la plage, Christopher a conservé la deuxième étoile. De la mer à l’assiette, l’athlétique Coutanceau est un plongeur pêcheur qui a appris dans les fonds mystérieux la variété, la spécificité, le goût des poissons et crustacés. C’est son milieu professionnel. Avec le temps, il a su différencier le bar de roche au nez cassé, mangeur d’étrilles, du bar marron clair, moins délicat en bouche.
C’est à la criée matinale, devant les tonnes d’anchois, les homards bleus, les piballes à 1.600 euros le kilo et les solettes, que ce gaillard au physique bien balancé imagine ses plats marins comme l’admirable civet de homard au beurre de crustacés et petits légumes et sa raviole de champignons (62 euros), le filet de bar de ligne aux algues, fenouil et artichauts (49 euros), la subtile déclinaison de langoustines vivantes selon les cuissons et textures (50 euros), le cylindre d’encornet farci de pieds de cochon, jus de homard en fusion de chorizo (42 euros) ou le filet de turbot coloré, chipirons et ormeaux saisis au naturel (60 euros). Une vraie excitation pour le gourmet.
Vacherin à la framboise, restaurant Les Flots
Tout cela, cette symphonie iodée, a peu d’équivalent en France: songez que les poissons et crustacés ne touchent pas la glace, d’où ces parfums, ces textures, ces chairs d’un infinie saveur. Et Coutanceau ne se repose pas sur ses lauriers avec ce répertoire de haute couture, il crée cent préparations par an! Il est bien évident que la cuisine régulière, dominée, d’une fraîcheur épatante mérite la troisième étoile, et que le fils a dépassé le père –le Michelin devrait accompagner la trajectoire quasi parfaite de ce merveilleux chef au regard de feu qui affiche complet, toute l’année. Après tout, le public enthousiaste, vu les prix raisonnables, a devancé le verdict, attendu pour 2012, du Guide rouge.
Menus à 55 et 100 euros. Carte de 110 à 160 euros. On boit les vins des Fiefs Vendéens, nouvelle AOC conseillée par Nicolas Brossard, l’associé du chef. Oui, une table de rêve face à l’horizon liquide.
- 1 plage de la Concurrence. Tél.: 05 46 41 48 19. Fermé dimanche.
Nicolas de Rabaudy
Autres restaurants de Grégory Coutanceau
Le Comptoir des voyages (cuisine du monde)
- 22 rue Saint-Jean du Pérot. Tél.: 05 46 50 62 60
L’Entracte (cuisine traditionnelle)
- 35 rue Saint-Jean du Pérot. Tél. : 05 46 52 26 69
Hôtels et bons plans à La Rochelle
Hôtel de la Monnaie
- 3 rue de la Monnaie. Tél.: 05 44 50 65 65. L’adresse des acteurs, vedettes et écrivains en visite. Entièrement rénové. Moderne et fonctionnel. Cour intérieure. Chambres à partir de 120 euros.
Les Brises
- Chemin de la Digue Richelieu. Tél.: 05 46 43 89 37. Sur la mer, vue imprenable, terrasse pour les petits déjeuners. Confort simple. Chambres à partir de 70 euros.
La Cuisine de Jules
- 5 rue Thiers. Tél.: 05 46 41 50 91. Un bistrot conseillé par les Coutanceau. Menus carte à 22 et 26 euros, turbot à 27 euros, ardoise du jour et animation gourmande le soir. Fermé dimanche et lundi.
Aquarium
- Face au Vieux Port. Tél.: 05 46 34 00 00. La biodiversité marine, 12.000 animaux, des méduses aux requins. Deux heures de voyage dans les fonds marins. Envoûtant spectacle. Au second étage, le café restaurant et ses produits bio. Entrée 13 euros. Pas de fermeture.