Culture

Harry Potter et l’avant-première maléfique

Temps de lecture : 3 min

La diffusion du film au palais omnisports de Paris-Bercy est une autre façon de montrer un film. Est-ce encore du cinéma?

Exposition Harry Potter à New York, en mars 2011. REUTERS/Shannon Stapleton
Exposition Harry Potter à New York, en mars 2011. REUTERS/Shannon Stapleton

Branle-bas de combat chez les professionnels du cinéma. Harry, trahison! Motif de cette agitation: pour la sortie du septième et dernier épisode des aventures du jeune sorcier franchisé, Harry Potter et les reliques de la mort 2e partie, le 13 juillet, son distributeur, Warner, organise la veille une avant-première publique (et payante) non pas dans un grand cinéma comme il est d’usage, mais au Palais Omnisports de Paris-Bercy. C’est-à-dire hors du périmètre du monde cinématographique.

La SRF (Société des réalisateurs de films) et l’Acid (Association pour le cinéma indépendant et sa diffusion) ont calculé qu’avec 8.000 spectateurs payant 25 euros, ce sont 21.000 euros de taxes normalement destinées au soutien au cinéma dont celui-ci est privé. En effet, Paris-Bercy n’est pas assujetti à la billetterie CNC, qui organise l’alimentation du Compte de soutien via la TSA (Taxe spéciale additionnelle, prélevée sur chaque billet vendu).

Mais au-delà de ce cas pendable d’évasion fiscale, c’est un enjeu beaucoup plus vaste qui est ainsi mis en évidence, comme le souligne de son côté l’ARP (Société civile des Auteurs réalisateurs producteurs), en intitulant son communiqué de protestation «Après le "hors-film" dans les salles, les films dans le "hors-salle"?»

L’opération promotionnelle de Warner est en effet symptomatique d’un beaucoup plus vaste changement de mentalité, changement lié à la transformation des manières de montrer les films à l’époque du numérique. Et ce alors même que la projection au Palais Omnisport, parfaitement possible en 35 mm, n’a pas de rapport direct avec cette mutation technologique, dont le seul impact en l’occurrence est de permettre une projection en 3D.

Techniquement, la question est donc différente de celle soulevée par l’ARP à propos du «hors-film», c’est-à-dire de l’utilisation des salles de cinéma pour diffuser d’autres spectacles que des films, évolution qui est, elle, directement facilitée par la projection numérique. A mesure que le nouvel équipement de leurs salles rendaient possible la diffusion en directe d’événements de toutes natures, des exploitants ont commencé à remplacer certaines séances par des offres ponctuellement plus attrayantes.

Réalisateurs, producteurs et distributeurs se sont émus que des établissements très subventionnés pour montrer du cinéma cherchent des revenus supplémentaires avec d’autres produits, privant d’écran leurs films souvent aux horaires les plus porteurs.

La main sur le cœur, les exploitants ont juré que ce ne serait qu’au profit d’œuvres de haut niveau artistique, comme la retransmission en direct de grands opéras inaccessibles à la majorité du public, et qu’ils ne voyaient pas pourquoi on leur cherchait des poux dans la tonsure alors qu’ils se vouaient à une tâche aussi culturelle que démocratique.

Eux, profiter de leurs grands écrans pour montrer des spectacles aussi vulgaires qu’un match de foot, un grand concert de variétés ou la finale de Koh-Lanta ? Vous n’y pensez pas…

Enfin pas tout de suite, ou seulement par dérogation spéciale, puisqu’il est clair que l’essentiel était d’ouvrir la brèche sous camouflage culturel. Partage des eaux entériné par un décret du 17 janvier, qui garde le soutien pour la programmation des spectacles de théâtre et d’opéra.

En revanche le texte exclut de ces aides «la représentation commerciale en salle (...) de retransmissions sportives, émissions de divertissement et de variétés» et émissions de télévision «autres que de fiction réalisées en plateau», comme les jeux. On y croit, même si les producteurs ont râlé.

Tout cela a l’air de tempêtes dans des verres d’eau microcosmiques. Il n’est pas sûr pourtant que l’affaire se limite à des différents corporatifs. La salle de cinéma joue aussi, et même d’abord, un rôle symbolique important : dans les cinéma, on voit du cinéma. C’est même là que se construit l’identité cinématographique de certains produits audiovisuels, et pas des autres. Le numérique, au cinéma comme dans bien d’autres domaines, brouille les frontières. En soi, ce n’est ni systématiquement bien, ni systématiquement mal.

Il y a de nombreuses barrières qu’on se réjouira de voir tomber. Il y a des repères qu’on s’inquiètera de voir disparaître. Toute posture absolutiste en la matière est absurde. Dans le cas particulier du cinéma, donc, et alors que la multiplication des modes de diffusion des films, à nouveau grâce au numérique (DVD, chaines thématiques, VOD) «éparpille» la relation qui se construit entre spectateur et ce qu’il regarde, la dissolution des distinctions entre les différents espaces est problématique. Qu’elle s’accompagne «mécaniquement» (mais on n’est pas obligé d’obéir à cette mécanique) de la dissolution de la loi mérite d’évaluer les effets de ces processus, sûrement pas de s’en remettre aux seuls rapports de force entre groupes de pression à un moment précis.

On peut toujours désigner comme «corporatiste» et «rétrograde» les dispositifs existants. Il faut pourtant rappeler que, globalement, ce sont eux qui ont permis d’éviter des effondrements face à d’autres phénomènes également perçus en leur temps comme aussi «inévitables» que «modernes», de l’essor de la télévision à la mise en place de l’Organisation Mondiale du Commerce. Ces dispositifs doivent évoluer. Mais en accepter la subversion par des logiques d’intérêt immédiat sans prendre en compte les conséquences, matérielles et symboliques, est pour le moins imprévoyant.

Jean-Michel Frodon

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