France

Rio-Paris: des boîtes noires qui valent des millions

Temps de lecture : 4 min

Air France et Airbus, mis en examen, recherchent des indices pour réduire leur responsabilité. Le montant total des indemnisations pourrait atteindre 200 millions d’euros.

Débris de l'Airbus d'Air France assurant la liaison entre Rio et Paris qui s'est
Débris de l'Airbus d'Air France assurant la liaison entre Rio et Paris qui s'est abîmé en mer en juin 2009. REUTERS/Brazilian Navy

Air France et Airbus ont beau affirmer que l’accès aux informations des boîtes noires de l’A330 du vol Rio-Paris, disparu le 1er juin 2009 dans l’Atlantique, n’est pas une affaire d’argent, c’est néanmoins un aspect non négligeable du problème pour les deux entreprises. Car depuis leur mise en examen à Paris pour homicide involontaire en mars dernier, la compagnie aérienne et le constructeur d’avions sont dans l’œil de la justice.

Il leur est reproché de ne pas avoir pris en compte, sur l’avion Air France, les retours d’expérience après les problèmes rencontrés par d’autres compagnies avec les sondes Pitot qui mesurent la vitesse des appareils. Ce qui engage leur responsabilité, et est susceptible de les impliquer plus lourdement dans l’indemnisation des familles des 228 victimes de la catastrophe. D’où la décision des deux sociétés de financer une quatrième opération de recherche des boîtes noires de l’Airbus A330, sans le concours cette fois-ci des assurances.

Le BEA sous pression

Les recherches ont abouti, on le sait, au repêchage du «flight data recorder» (enregistrement des données de vol) le 1er mai et du «cockpit voice recorder» (enregistrement des conversations des pilotes). Le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) est maintenant chargé de «faire parler» ces boîtes noires. Initialement, les résultats de l’enquête devaient être connus vers la fin juin. Mais compte tenu de diverses fuites, la révélation des circonstances de la catastrophe a été avancée au 27 mai, un mois plus tôt que prévu.

Pourquoi tant de précipitation, au risque peut-être d’interprétations trop rapides d’informations difficilement accessibles? Des fuites dans les médias sont susceptibles d’orienter les responsabilités à propos du crash: tantôt le contournement d’une zone de turbulences dédouanerait l’équipage Air France de toute faute de pilotage; tantôt le commandant de bord n’aurait pas été à son poste, ce qui laisserait planer un doute sur sa responsabilité… Pour couper court aux spéculations qui soit disculpent soit accusent la compagnie ou le constructeur et ont une influence sur le rôle que les assurances sont appelées à jouer, le processus d’enquête est accéléré.

Le transporteur est responsable du préjudice, mais…

On ignore encore le montant total des indemnisations qui devront être versées. La réglementation en la matière est évolutive. Dernière du genre, la convention de Montréal de 1999, ratifiée par 91 pays, a été transposée dans le droit français en juin 2004. Elle prévoit que le transporteur est responsable du préjudice subi par les passagers, même s’il n’a commis aucune faute. Des dérogations existent si la responsabilité des passagers peut être démontrée. Ou si les dommages sont le résultat d’un acte préjudiciable d’un tiers – ce qui pose le problème d’un acte terroriste.

Lorsque la responsabilité du transporteur est engagée, il existe un système à deux niveaux. L’indemnisation prévue est plafonnée à 113.000 euros dans le cas d’une responsabilité dite «objective», c'est-à-dire sans erreur manifeste du transporteur. Mais dans le cas d’une présomption de faute, la limite de responsabilité saute.

C’est ce qui explique le volontarisme d’Air France pour récupérer les boîtes noires. Car une décision d’un tribunal brésilien (Air France a fait appel) condamne la compagnie à verser aux ayants-droits l’équivalent de 850.000 euros par victime. Ce qui porterait le total des indemnisations à près de 200 millions d’euros. On comprend qu’Air France veuille tout tenter pour prouver l’absence de négligence, ce qui d’après la convention de Montréal justifierait que la compagnie et ses assureurs ne puissent être condamnés au-delà du plafond prévu.

Un modèle d’assurance complexe

Certes, les compagnies aériennes disposent de couvertures «responsabilité civile». Des pools d’assurances assurent ces couvertures. Mais elles-mêmes s’interrogent sur le modèle économique à appliquer, notamment depuis 2001. En juin, un avion d’American Airlines s’était écrasé dans le Queen’s; le crash avait coûté 600 millions de dollars aux assureurs, soit 400 millions d’euros au cours actuel. Trois mois plus tard, deux appareils s’écrasaient sur les tours jumelles de Manhattan dans le cadre d’un acte terroriste.

2001 fut bien sûr une année noire particulière. Par exemple, en 2010, le taux d’accident (un pour 1,4 million de vols) a été réduit de 42% par rapport à 2001, indique l’Association du transport aérien international (IATA). Si globalement, le transport aérien est sûr — 23 accidents mortels en 2010, 786 décès sur 2,4 milliards de personnes transportées — les compagnies d’assurance ont besoin de pouvoir mesurer le risque pour assumer leur fonction, rappelle la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA).

Dans le transport aérien, la fréquence des accidents est donc faible mais ils génèrent des coûts très élevés. De sorte que les assureurs ont du mal à cerner le risque encouru. Et face aux engagements financiers à honorer dans le cas d’une catastrophe, c’est tout le système qui est mis en péril. Les compagnies d’assurance et de réassurance pointent le risque d’un déficit global de leur branche transport aérien qui, compte tenu d’un marché relativement réduit, ne génère un chiffre d’affaires mondial que de l’ordre 1,2 milliard d’euros par an.

Le cas particulier du terrorisme

Elles ne sont pas, toutefois, sans aucun parapluie. En cas de risques de guerre ou d’actes terroristes, les compagnies estiment impossible d’évaluer ce risque. Et au regard de la convention de Montréal, elles entrent dans le cas dérogatoire d’un acte préjudiciable d’un tiers. Dans le cas de terrorisme, la garantie de responsabilité civile à l’égard des tiers non transportées est alors limitée à 50 millions de dollars. C'est-à-dire très peu. Il appartient alors aux Etats de prendre le relais comme ce fut fait à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Toutefois, ce n’est pas, concernant la catastrophe du vol Rio-Paris de juin 2009, l’hypothèse la plus probable retenue jusqu’à présent dans la mesure où aucune revendication n’a jamais été enregistrée depuis l’accident.

Quelle qu’elle soit, toute information qui pourrait être retenue pour diminuer la responsabilité des sondes Pitot dans les causes de la catastrophe réduirait le poids d’une éventuelle condamnation à la fois d’Air France et d’Airbus pour la prise en compte insuffisante des retours d’expérience, invoquée par la juge parisienne chargée de l'enquête, Sylvie Zimmerman. Les compagnies d’assurances sont aussi intéressées.

Pour Air France et Airbus, leur capacité à alimenter leur défense est un élément que les deux compagnies compagnie pourront ensuite faire valoir auprès de leurs assureurs respectifs lors des habituelles renégociations de contrat. Ce qui, à leurs yeux, justifie la prise en charge de la dernière phase des recherches, de quelque 9 millions d’euros.

Gilles Bridier

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