Le 18 mars 1990, la plupart des officiers de police de Boston étaient occupés à assurer la sécurité des fêtards de la Saint-Patrick. Ils n'ont donc pas remarqué les voleurs qui s'introduisaient dans le Musée Isabella Stewart Gardner pour y dérober 500 millions de dollars [352 millions d'euros] d’œuvres d'art, y compris 5 tableaux de Degas, un Manet, plusieurs Rembrandt, et un Vermeer.
Une théorie veut que les voleurs étaient à la solde de trafiquants de drogue ou de marchands d'armes, et pas d'esthètes. Au grand dam des musées, l'art volé peut servir de gage ou de monnaie sur le marché noir – une réserve de valeur et un moyen d’échange, une manière compacte de transporter 500 millions de dollars.
Mais les criminels d'aujourd'hui n'ont peut-être plus besoin de se tourner vers le vol de grands maîtres pour faciliter leurs transactions. Ils pourraient se servir de Bitcoin, l'une des monnaies les plus récentes du monde, et qui est en train de gagner rapidement l'attention des truands, des nerds, tout comme des économistes monétaires.
Peer-to-peer
Bitcoin est une monnaie en peer-to-peer, ce qui veut dire qu'elle n'est pas émise par une autorité centrale, comme le dollar ou le yen. La masse monétaire se développe à mesure que le réseau s'accroit, et est limitée à environ 21 millions de Bitcoins. Tout de suite maintenant, vous pouvez en acheter sur Internet, sur le site d'échange Mt. Gox, ou sur le marché hors cote.
Les bitcoins n'existent pas sous forme physique – uniquement par voie électronique, la monnaie est possédée et échangée par les membres d'un réseau peer-to-peer, spécifique et anonyme. Aucun intermédiaire, ni organisme de transfert ni banque, pas besoin d'archives, ni de traitement des transactions électroniques. Le réseau s'en charge seul, avec tous les ordinateurs de ses membres équipés d'un programme sécurisé qui s'assure qu'aucun utilisateur ne dépense deux fois la même somme, ou ne crée comme par enchantement de l'argent nouveau.
La monnaie a certains avantages. Pour les criminels, les libertariens et les fanas de la vie privée, le système Bitcoin offre une confidentialité et un anonymat complets. Une fois la transaction terminée, il n'y a pas de serveur central où des informations pourraient être citées à comparaître par le gouvernement. (Mais si vous achetez des Bitcoins lors d'un échange, évidemment, il y aura une trace de cette transaction). Et il n'y a ni de PayPal ni de Visa ni de Bank of America pour suivre l'argent, ou pour dire ce que vous pouvez faire, ou ne pas faire avec. En effet, le système, créé en 2009 par un programmeur du nom de Satoshi Nakamoto, est devenu populaire quand certains organismes financiers ont refusé à leurs clients le droit d’envoyer de l'argent pour soutenir Wikileaks.
6,2 millions de Bitcoins en circulation
Aujourd'hui, certains de ses utilisateurs cherchent à financer des activités illégales – mais il s'agit plus souvent d'aficionados du poker en ligne que de trafiquants internationaux d'héroïne.
Les Bitcoins représentent aussi une fascinante étude de cas pour les économistes et les antifédéralistes zélés. A l'heure actuelle, un Bitcoin vaut environ 7$ [4,9€]. En avril, il en valait 2 [1,4€], et en octobre 89 cents [0,62€]. Mais l'ingérence des banques centrales n'a rien à voir avec ces fluctuations monétaires. Aujourd'hui, il y a environ 6,2 millions de Bitcoins en circulation, pour une valeur totale de 49 millions de dollars [34,5 millions d'euros]. Le système décentralisé créera 21 millions de Bitcoins au total. Cette masse monétaire est fixée et publique. Ainsi, les gens qui échangent des Bitcoins sont-ils les seuls à déterminer leur valeur.
Aucun doute qu'une nouvelle recherche de cool soit à l'origine de l'intérêt suscité par le Bitcoin – la première monnaie sans intermédiaire, totalement électronique, à accéder à quelque chose qui se rapproche d'un usage général. Elle a largement gagné les faveurs de la blogosphère, de la presse, et même d'éminents économistes. Une poignée d'entreprises internet, telles des agences de graphisme web ou des hébergeurs, acceptent aujourd'hui des paiements en Bitcoins. Vous pouvez aussi acheter des chaussettes en alpaga, des compléments alimentaires, des livres, et des dés fantaisie avec cette monnaie, ou surfer sur les petites annonces en Bitcoins.
De plus en plus d'utilisateurs et de commerçants prennent le train du Bitcoin en marche, et sa valeur ne cesse d'augmenter. Certains commentateurs ont même estimé que la monnaie pourrait un jour rivaliser le dollar, en encourageant un système d'échange alternatif, démocratique et libre de toute interférence et de régulation de la part des entreprises et des banques centrales. Mais cette probabilité semble ridiculement faible. Les monnaies sont des réserves de valeur et des moyens d'échange, ce qui signifie que la stabilité et l'ubiquité en sont des caractéristiques fondamentales, des caractéristiques que le Bitcoin peut difficilement garantir.
Les risques du Bitcoin
Nous utilisons tous le dollar, plutôt que les écus du Dakota du Nord ou les Nouveaux Mexicoins, etc., parce que l'échange monétaire est quelque chose de pénible. Si vous touchez votre salaire, payez vos impôts, faites vos courses et gérez votre entreprise en dollars, vous n'allez probablement pas leur préférer les Bitcoins pour vos transactions de tous les jours. Dans le vocabulaire économique, on dit que les monnaies sont sujettes à de très importants «effets de réseau».
De plus, les Bitcoins présentent des risques, justement parce qu'ils sont entièrement électroniques, dérégulés et non garantis. Le système ne s'appuie pas sur un simple serveur, mais sur un réseau de serveurs, ce qui fait que même si le site Bitcoin crashe, la monnaie se portera toujours aussi bien. Mais des sanctions gouvernementales pourraient déstabiliser le marché. De plus, si le Bitcoin n'est pas totalement anonyme et sécurisé, un hacker pourrait être en mesure de faire des ravages – soit en dévaluant les Bitcoins en faisant marcher la planche à billets virtuels, soit en piratant les terminaux des utilisateurs pour qu'ils sortent leur argent.
Dans le cas d'une telle panique du Bitcoin, il n'y aurait ni FDIC pour garantir les comptes, ni de Réserve Fédérale pour stabiliser la valeur de la monnaie. (Une autre raison pour recommander le dollar). Dès lors, certains redoutent même que le Bitcoin, s'il était plus largement usité, puisse «renverser des gouvernements [et] déstabiliser des économies».
Le risque le plus immédiat, cependant, semble que les Bitcoins facilitent les transactions des criminels, des joueurs de poker en ligne, des évadés fiscaux, des pornographes, des trafiquants de drogue, et tous les autres gars louches fatigués d'avoir à trimbaler un Vermeer. Dans ce cas, il faut espérer que le Bitcoin reste la monnaie qu'elle est: une devise de niche, cool, geek et libre.
Annie Lowrey
Traduit par Peggy Sastre