Pour tous les investisseurs, les matières premières sont le thème à la mode depuis déjà quelque temps. Elles avaient commencé à attirer les capitaux avant même la crise financière: la croissance rapide de la Chine et d’autres grands pays émergents faisait penser que le monde allait devoir payer toujours plus cher ses énergies non renouvelables, comme le pétrole et le gaz, ses matières premières industrielles, comme le cuivre, et ses matières premières agricoles.
La crise est venue ajouter une autre bonne raison de privilégier cette forme d’investissement: la méfiance envers les produits financiers complexes d’abord, les actions ensuite, les obligations d’Etat et les monnaies enfin. C’est ce que certains économistes déclarent être «la revanche du réel».
Reconnaissons à ces théories et aux comportements qui en découlent le mérite du réalisme. Contrairement à toutes les sottises qui ont pu être dites sur la société «postindustrielle», les activités humaines sont de plus en plus consommatrices d’énergie et si, avec l’informatique et les communications, on est censé entrer dans l’ère de l’immatériel, les ordinateurs et les téléphones portables exigent pour leur fabrication l’utilisation d’un nombre élevé de métaux rares.
Il n’empêche que cette revanche du réel est bien illusoire. Tous ceux qui opposent ces biens réels aux produits financiers, feraient bien de se souvenir que les premières grandes innovations financières (marché à terme, marché des options) sont nées du négoce des matières premières. Et la spéculation est aussi intense, avec des retournements brutaux, sur ces matières ou sur les produits financiers. Les événements de ces derniers jours en fournissent une belle illustration.
Retournements brutaux
Le baril de pétrole de la mer du Nord s’échangeait encore à plus de 126 $ le 2 mai; quatre jours plus tard, il est tombé à proximité de 105 $ avant de regagner un peu de terrain à plus de 113 $ à la fin de la deuxième semaine de mai. Le 4 mai, l’once d’or avait atteint 1.541 $ à Londres; le lendemain elle se retrouvait à 1.511 $, soit une perte de 30 $ en 24 heures, avant de remonter temporairement en dessous de 1.490 $ le 12 mai. Le choc a été encore plus violent sur l’argent, qui est passé de près de 50 $ l’once à 35 $ en quelques jours. Quant au cuivre, qui était monté jusqu’à 7.713 € la tonne le 14 février, il s’est retrouvé à 6.083 € le 5 mai, soit une rechute de 21 %. D’autres exemples pourraient encore être cités, y compris parmi les matières premières agricoles.
La première raison de ce retournement est purement conjoncturelle. Avant que l’on apprenne que l’Allemagne, avec 1,5% de hausse de son PIB au premier trimestre, avait tiré la croissance de la zone euro à 0,8%, les Etats-Unis avaient publié une première estimation de leur croissance pour ce même trimestre de 1,8% en rythme annualisé (soit seulement 0,4% si l’on veut faire la comparaison avec l’Europe). Au Japon, le premier effet du tremblement de terre et du tsunami est négatif; l’impact des dépenses de reconstruction ne se fera sentir qu’ultérieurement.
Quant aux grands pays émergents, ils sont tous en train de durcir leur politique monétaire pour calmer les tensions inflationnistes. A 5,3% en avril après 5,4% en mars, la hausse des prix reste en Chine largement au-dessus de l’objectif officiel de 4%; un nouveau relèvement du ratio des réserves obligatoires des banques vient d’être annoncé; les taux directeurs ont été relevé quatre fois depuis le mois d’octobre 2010 et les déclarations officielles laissent penser que ce n’est pas fini. Les observateurs remarquent que la production industrielle commence à pâtir de ces tours de vis successifs: en mars, la hausse n’est «que» de 13,4% sur un an contre 14,8% en mars.
L’effet des doutes sur la conjoncture a ensuite été fortement amplifié par le comportement de certains fonds d’investissement qui se sont empressés de solder leurs positions et de se retirer du marché. On connaît le discours sur les matières premières: si les prix montent, c’est parce que la demande excède l’offre, les spéculateurs n’y sont pour rien.
Pourtant, on constate à chaque fois que le comportement des investisseurs purement financiers, amplifie le mouvement sur les cours d’une façon considérable. L’exemple de l’argent est significatif: après la hausse de l’or, les gérants de portefeuille ont conseillé à leurs clients de se porter sur l’argent, jugé en retard. Le résultat ne s’est pas fait attendre: les cours ont flambé. Les responsables des marchés s’en sont émus; à Chicago, mais aussi à Shanghai, les appels de marges ont été relevés. En clair, pour spéculer sur la même quantité de métal, il a fallu immobiliser presque deux fois plus de capitaux qu’avant. Comme par hasard, les cours ont alors chuté…
Le dollar ne vaut plus rien!
Cet engouement pour les métaux précieux révèle en tout cas une profonde méfiance envers la monnaie, particulièrement aux Etats-Unis. Dans l’Utah, la Chambre des représentants a adopté le 4 mars un projet de loi visant à donner cours légal aux pièces d’argent et d’or émises par l’Etat fédéral et supprimant du coup toutes les taxes de l’Etat sur les négociations de ces pièces (on ne taxe pas l’usage de la monnaie); le Sénat l’a voté le 10 et le gouverneur de l’Etat a signé la loi le 25 mars.
Ce texte a une portée symbolique: rien n’empêchait auparavant de payer un T-shirt avec une pièce de dix dollars en or qui en valait en fait beaucoup plus. La nouveauté est que, en théorie, on pourrait ne plus payer pour le prix indiqué sur la pièce, mais pour la valeur réelle de l’or inclus dans cette pièce; on voit les problèmes que cela pourrait poser dans la pratique...
Le plus intéressant, ce sont les arguments avancés par l’auteur républicain du projet de loi:
«L’argent sans garantie, créé par la Réserve fédérale afin de stimuler l’économie, pend au dessus de nos têtes comme l’épée de Damoclès dans l’attente d’une avalanche, et de l’anéantissement de la valeur de notre monnaie.»
La qualité littéraire du texte laisse peut-être à désirer, mais le message est clair: le dollar ne vaut plus rien. Ceux qui s’étonnent de la vigueur de l’euro en dépit des problèmes rencontrés par certains Etats de la zone, peuvent trouver là une partie de la réponse à leurs interrogations: dans le monde et aux Etats-Unis mêmes, certains doutent encore plus de l’avenir du dollar!
Le recul des matières premières au cours des deux premières semaines de mai s’est en fait accompagné d’un regain de vigueur du dollar. Il reste à savoir si cette tendance est durable. Les experts sont divisés sur le sujet. Certains pensent que la mort de Ben Laden devrait contribuer à stabiliser la situation politique au Moyen-Orient et les cours du pétrole. D’autres estiment au contraire qu’elle peut provoquer une vague d’attentats. Une seule chose est sûre: le chemin menant aux 200 $ le baril de pétrole n’est pas aussi direct que certains commençaient à le penser. Et le dollar vaut encore quelque chose!
Gérard Horny
Chronique également parue sur Emploiparlonsnet