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Depuis l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle, médias et politiques s’efforcent de rappeler la «présomption d’innocence» dont il bénéficie. Rien d’étonnant. Il s’agit d’un des principes constitutionnels français les plus anciens, inscrit à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Mais au delà du rabâchage de l’expression, comment s’assurer de ne pas présenter DSK comme coupable, et celle qui l’accuse comme une victime avérée ou présumée?
Dans la presse, sur les sites d’infos et les blogs, les périphrases se multiplient. Pour lui: «prévenu», «inculpé de crime sexuel», «officiellement inculpé», «accusé de tentative de viol», «accusé d’acte sexuel criminel» ou, plus long, «formellement inculpé par un grand jury à la suite des accusations d’agressions sexuelles portées contre lui».
Pour elle: «victime présumée», «la femme de chambre qui accuse DSK», «la jeune femme qui accuse l’ex-patron du FMI», «victime (présumée)». Difficile de dire que ces prudentes formules brillent par leur originalité. Qu’a-t-on le droit de dire (et d’écrire) pour désigner les différents acteurs du procès Strauss-Kahn?
«Agresseur présumé», un contre-sens permis
L’article 9-1 du Code civil précise ce qu’implique le «respect de la présomption d’innocence» pour les médias: il ne faut pas présenter publiquement «une personne … comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire» avant sa condamnation.
Présenter comme coupable, cela veut dire que l’écrit litigieux doit, dans son intégralité, «porter des conclusions définitives... tenant pour acquise la culpabilité» de la personne jugée, selon la Cour de cassation. En soit, si un homme est accusé de viol, le désigner comme «violeur présumé» ne va donc pas à l’encontre de la loi.
Reste qu’en termes légaux une «présomption» est un fait apparent que l’on tient pour vrai tant que le contraire n’a pas été prouvé. Parler d’un «présumé violeur» ou d’un «présumé agresseur» revient à un contre-sens juridique selon lequel le prévenu serait présumé coupable.
«C’est un raccourci intellectuel mais il ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence», explique Thierry Marembert, avocat au barreau de Paris notamment spécialisé en droit de la presse. «Dans ce cas, la loi protège en priorité la liberté d’expression du journaliste.»
On considère donc un article dans son ensemble pour voir s’il affirme la culpabilité d’une personne attendant jugement. A bannir, plus que les expressions maladroites, l’usage de verbes catégoriques. En particulier, le verbe être et le présent de l’indicatif. Dire «les faits sont avérés» ou «le jugement est acquis» est bien plus grave que de parler de «violeur présumé», dit Thierry Marembert. Éviter aussi: «il est certainement coupable», «il a tenté de la violer», ajoute Loïc Dusseau, avocat membre du Conseil national des barreaux et spécialiste du droit des médias. L’usage du conditionnel est fortement conseillé.
Comme l’étude se fait au cas par cas, il n’est pas certain qu’un titre présentant un prévenu comme «violeur» soit sanctionné si l’article précise ensuite que la personne concernée est simplement présumée avoir commis ce crime (et certains journalistes prennent le risque). Loïc Dusseau estime pourtant que «si le titre se veut accrocheur et présente la personne comme coupable», il pourrait suffire à faire condamner une publication.
Diffamation
Au-delà de la présomption d’innocence, écrire sur l’affaire Strauss-Kahn pose le problème de l’exactitude des termes employés. Premier risque: la diffamation, plus menaçante que l’article 9-1 du Code civil. «On peut diffamer par insinuation, ce qui n’est pas le cas pour la présomption d’innocence», appuie Thierry Marembert. Les allégations publiques inexactes sur l’inculpé sont sanctionnées par la loi: si on présente l’ex-patron du FMI comme un «violeur présumé», la désignation est fausse. Il n’est en effet pas accusé de viol devant la justice américaine.
Les cours françaises font particulièrement attention au sérieux de l’enquête journalistique d’une publication attaquée pour diffamation. Si le procureur abandonnait les charges de tentative de viol pour ne garder que l’accusation d’agression sexuelle, les journalistes seraient censés le savoir et écrire en conséquence.
Le poids des mots
La tâche est d’autant plus complexe que la justice américaine n’est pas facile à traduire. Même sans risque de diffamation, mieux vaut tourner son clavier sous ses doigts sept fois avant d’écrire. Les mots ont un poids, une connotation propre à prendre en compte.
Présenter DSK comme un «accusé» en France signifie qu’il est mis en cause pour crime (viol ou tentative de viol, jugé devant la cour d'assises) et non pour délit (agression sexuelle hors viol, jugée devant un tribunal correctionnel), auquel cas il serait un «prévenu». En l’occurrence, les sept chefs d’accusation dont il fait l’objet englobent les deux qualifications, on peut donc le désigner des deux manières.
Parler de la «plaignante» suggère qu’une plainte a été portée, mais aux Etats-Unis, la femme qui accuse DSK est un simple témoin. Elle n’a d’ailleurs pour l’instant pas demandé réparation de son préjudice. Pour Loïc Dusseau, l’usage de ce mot n’est pas incorrect: même si «les concepts renvoient à différentes réalités, elle se plaint d’avoir subi les faits».
Le terme «accusatrice» est également exact, moins chargé que la formule «victime présumée», plutôt péjoratif pour la plaignante. Pas d’atteinte à la loi dans ce cas-là, puisqu’elle n’est accusée de rien, signale Loïc Dusseau. Mais une suggestion entre les lignes: victime, certes, jusqu’à preuve du contraire.
Daphnée Denis
L’explication
remercie Loïc Dusseau, avocat au Barreau de Paris et membre du Conseil national des barreaux, et Thierry Marembert, avocat au barreau de Paris.
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