Quand s’arrêtera-t-il? La question intrigue les amateurs de sport qui suivent, avec fascination, la série de victoires de Novak Djokovic, invaincu en 2011. A l’aube du tournoi de Roland-Garros, le joueur serbe en est à 37 matches gagnés consécutivement depuis janvier et se trouve tout près du total historique de l’Américain John McEnroe, vainqueur de 42 rencontres d’affilée entre janvier et juin 1984.
Si Djokovic atteint la finale des Internationaux de France, il fera tomber ce record improbable à une époque de très forte rivalité avec la concurrence de champions de la dimension de Rafael Nadal et Roger Federer.
Les séries de victoires ont souvent alimenté la chronique sportive dans la mesure où elles touchent au fantasme et au mythe de l’invincibilité. Un athlète ou une équipe peut-elle être imbattable? Combien de temps et jusqu’à quand? Tout le monde en est certain, à commencer par le premier intéressé: Djokovic, âgé de 24 ans, finira bien par s’incliner un jour, mais chacun de ses succès paraît repousser cette probabilité qui échappe à la logique de tous les statisticiens raisonnables du tennis qui, par exemple, ne l’imaginaient pas en mesure de croquer l’ogre de la terre battue, Nadal, en finale du tournoi de Madrid le 8 mai dernier.
Les mêmes spécialistes ont affirmé avec assurance une semaine plus tard (j’en faisais partie) que Djokovic ne surprendrait pas Nadal une deuxième fois quand les deux hommes se sont encore retrouvés face-à-face en finale sur la terre battue de Rome. Surprendre Nadal une fois sur sa surface de prédilection passe encore, mais deux fois c’était carrément inimaginable. Mais Djokovic, au-delà de sa fatigue, a triomphé à nouveau et en deux sets s’il vous plaît, si bien que le voilà à quelques points de devenir n°1 mondial pour la toute première fois de sa carrière, tous les observateurs finissant, eux, par se perdre en conjectures.
Les séries de victoires, auxquelles il est possible d’associer les séries de défaites tout aussi fascinantes mais nettement moins glorieuses, ont ceci de captivant qu’elles se multiplient à l’envi. Entre le gardien de but ayant été capable de garder sa cage inviolée pendant 1.176 minutes comme Gaëtan Huard avec Bordeaux il y a près de vingt ans, l’équipe de football indéboulonnable à domicile à l’image des 92 matches sans défaite du FC Nantes entre 1976 et 1981 ou la formation carrément imbattable, comme ce même FC Nantes qui ne connut sa première (et unique) défaite lors de la saison 1994-1995 qu’au bout de la 33e journée, toutes les variations sont possibles et cela est valable pour toutes les disciplines.
L’invincibilité peut concerner des sportifs, mais aussi des entraîneurs. Le 2 avril dernier, quand son équipe du Real de Madrid a cédé chez elle face à Gijon, Jose Mourinho a ainsi vu s’interrompre un record le concernant. En effet, cela faisait neuf ans qu’une de ses équipes n’avait pas perdu à domicile dans un championnat! La dernière fois remontait au 23 février 2002 avec le FC Porto face à Beira Mar, soit une série de 150 matches sans défaite établie sur quatre pays: le Portugal, l’Angleterre (Chelsea), l’Italie (Inter Milan) et l’Espagne.
Mais si l’invincibilité est source de confiance et de force, elle n’est pas non plus sans inconvénient en raison de la passion et de la pression qu’elle suscite sur la personne devenue insubmersible. En 1984, après avoir donc empilé 42 succès, John McEnroe avait connu son premier échec de l’année au pire moment, lors de la finale de Roland-Garros contre Ivan Lendl. Pire moment devenu la pire défaite de toute sa carrière puisqu’il manqua ce jour-là, après avoir caracolé au tableau de score, sa seule chance de s’imposer à Roland-Garros. Martina Navratilova, qui aligna… 74 victoires en 1984, illustra cette malédiction en concédant son premier échec en plein Open d’Australie, joué alors en décembre, contre la Tchécoslovaque Helena Sukova. Il n’est pas exclu qu’une telle mésaventure, si cruelle, survienne à Djokovic à Roland-Garros.
Car l’assurance de la victoire finit aussi par se transformer en peur de perdre (enfin), certains voyant même une sorte de soulagement à mordre la poussière, histoire d’échapper à la tension liée à leur nouveau statut de «monstre» qui, de surcroît, finirait même par lasser le public.
Yannick Cochennec
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Pour s’amuser et ouvrir le débat, attardons-nous sur cinq séries d’invincibilité dont on peut dire, sans peine, qu’elles font partie des plus stupéfiantes de l’histoire moderne. Cinq «cas» qu’il est possible de compléter à loisir avec d’autres «intouchables», même si ceux-là paraissent tout de même durs à battre.