L’Amérique aura passé le printemps à s’émerveiller de la résurrection de Jennifer Lopez. Il y a encore un an et demi, il aurait semblé impossible que cette ancienne icône de la réussite du hip hop ne revienne sur le devant de la scène.
Elle était tombée sur son légendaire postérieur durant sa prestation ratée des American Music Awards (qui devaient marquer son grand retour) et le single dont elle faisait la promotion, le lourdaud «Louboutins», n’avait pas atteint le Top 100, ce qui avait conduit son ancienne maison de disques, Epic Records, à se séparer d’elle.
La reine portoricaine du ricanement haut perché a alors prétendu à un nouveau trône, à la table des juges de American Idol, et a apparemment reconquis son public.
Son morceau «On the Floor» fait un malheur en discothèque, le magazine People l’a nommée «Personnalité la plus belle de 2011» (Michelle Pfeiffer est la seule autre femme de 41 ans à avoir reçu cette distinction) et elle parle à mi-mots de lancer son propre American Idol à la sauce latina: Qué Vida.
Ce n'est pas pour sa musique
Comment expliquer ce retour en force alors que la simple évocation de son nom suscitait sourires et sarcasmes il y a encore peu de temps? Une chose est sûre: ce n’est pas parce qu’elle a fait un bon disque.
Love?, son premier album chez Her Island Def Jam est sorti la semaine dernière et s’est fait descendre par la critique. Assemblage de titres produits à la chaîne par des producteurs et des auteurs de renom (Lady Gaga a coécrit deux titres), c’est un disque sans âme, typique d’une ancienne star souhaitant revenir sous les projecteurs.
Mais peu importe la critique ou même la viabilité commerciale à long terme de la musique de J. Lo. Elle n’a jamais été une artiste d’album, elle n’était même pas chanteuse à l’origine. Pionnière du vedettariat tendance XXIe siècle, elle a parfaitement su jouer sur tous les tableaux de l’industrie du divertissement, passant du cinéma à la danse, puis à la mode, sans jamais vraiment s’installer dans un domaine particulier.
Ensuite, bien qu’elle ait trouvé dans American Idol une plate-forme idéale pour son retour, on aurait tort d’attribuer son nouveau succès à cette seule émission. Paula Abdul et Kara DioGuardi, qui l’avaient précédée à la table des jurys, ont également essayé de relancer leurs carrières musicales. En vain.
Lopez, en revanche, était prête à ce retour en grâce, car le type de star qu’elle incarnait à l’époque où elle était en couple avec Puff Daddy est le modèle même du vedettariat glamour en vogue aujourd’hui.
Au début des années 2000, Lopez faisait feu de tout bois. Le film Un mariage trop parfait était au sommet du box office et son album J. Lo s’était vendu à plus de 8 millions d’exemplaires à travers le monde. Chouchoute des tabloïds, elle était également devenue une figure de la mode, présente dans les grands magasins américains à travers plusieurs marques de vêtements, de parfums et d’accessoires.
Tout bascula lors de sa rupture très médiatisée avec Ben Affleck, exacerbée par le flop retentissant de leur désastreuse comédie romantique Amours troubles.
Lopez devint le sujet de moqueries, son couple avec Ben Affleck fut caricaturé dans un épisode de South Park intitulé «Gros cul et tête de nœud» et les studios se mirent à la fuir suite au naufrage de plusieurs films qu’elle tourna. Son mariage à la star de la salsa Marc Anthony apparut comme une sorte de repli, non seulement dans le domaine privé, mais aussi vers le marché de l’entertainment latino.
Un retour made in téléréalité
Mais tout cela, c’était avant l’apparition de la téléréalité et la multiplication des divas pop «multi-facettes», deux phénomènes ayant modifié le concept même d’«artiste» auprès du grand public, permettant ainsi aux fans et aux médias d’apprécier plus facilement les qualités de Lopez et de lui pardonner ses défauts.
Jennifer Lopez est souvent accusée de manquer de personnalité dans ses chansons. Pourtant, elle a réussi à séduire le public en tant que jury de American Idol par ses conseils avisés et son tempérament de battante.
Parfois on dirait un membre égaré de la famille Kardashian: glamour mais chaleureuse, émotive mais forte, capable de se moquer d’elle-même, elle incarne une "girl next door" des plus chanceuses (elle le décrivait d’ailleurs dans son plus gros tube, «Jenny From the Block»).
Latina parfaitement intégrée, aussi à l’aise dans les clubs hip-hop que dans les soirées privées de Sonia Sotomayor (l’un des neuf juges de la Cour suprême), c’est une star qui correspond parfaitement à l’ère Obama.
Valeurs tradi et sex symbol
Sa vie de famille à Long Island avec son mari et leurs deux bébés (des jumeaux) la rapproche des valeurs de la famille traditionnelle latina, mais elle n’a pas pour autant perdu son statut de sex symbol hip hop, auquel elle s’accroche grâce à diverses collaborations, comme son dernier titre, en duo avec le rappeur Lil' Wayne, «I'm Into You».
Au début des années 2000, les barrières dressées par les stars et les fans de hip hop autour du genre faisaient de Lopez une sorte d’intruse. Aujourd’hui, elle semble parfaitement à sa place au milieu de ses nombreuses émules, de Fergie à Rihanna, en passant par Katy Perry.
Cette nouvelle génération d’artistes (et ses producteurs) a créé une nouvelle idée de la pop —un style qui rejette avec véhémence toute limite posée par les notions traditionnelles de pureté, d’authenticité, voire de talent.
Ce n’est pas un hasard si «On the Floor» est produit par RedOne, qui avait auparavant réalisé un travail similaire avec Lady Gaga, et si l’on peut y entendre Pitbull, rappeur américano-cubain aux yeux bleus qui, comme Lopez, a longtemps mis à mal les vieux clichés sur le hip hop.
Dans ce nouveau contexte, les reproches que l’on a pu faire jadis à Jennifer Lopez semblent ne plus avoir de raison d’être. Elle n’est pas assez authentique? Aujourd’hui que Ke$ha est à la mode, Lopez semble plutôt old-school. Elle ne chante pas si bien que ça? C’est pour ça que l’on a inventé Auto-Tune! Elle est plus danseuse que chanteuse? C’est un plus pour le circuit estival des concerts.
Au final, Jennifer Lopez reste ce qu’elle a toujours été: une vedette à l’ancienne, prête à relever n’importe quel défi pour retenir l’attention volage du public américain.
Pour chanter «On the Floor» dans American Idol, la semaine dernière, elle avait sorti ses plus belles paillettes et son regard le plus intense.
Mais, alors qu’une plate-forme hydraulique la soulevait au-dessus de ses danseurs au corps luisant, elle a perdu le contrôle une minute… et a souri. On pouvait presque entendre ce qu’elle pensait à cet instant précis. Je sais encore comment m’y prendre… Ça vaut parfois la peine de se donner du mal.
Ann Powers
Traduit par Yann Champion