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Est-on présumé coupable aux Etats-Unis?

Temps de lecture : 8 min

L'affaire DSK en questions.

Ben Brafman, l'avocat de Dominique Strauss-Kahn, face aux journalistes le 16 mai 2011, REUTERS/Mike Segar
Ben Brafman, l'avocat de Dominique Strauss-Kahn, face aux journalistes le 16 mai 2011, REUTERS/Mike Segar

Retrouvez tous nos articles sur l'«affaire DSK» ici.Vous avez des questions autour du sujet, envoyez-les nous à l'explication @ Slate.fr ou sur notre page Facebook ou par Twitter.

Est-on présumé coupable aux Etats-Unis?

Non, car la présomption d’innocence existe aussi aux Etats-Unis. Comme en France, il s’agit d’un principe fondateur de la justice américaine, aspect essentiel du «procès équitable» («due process»), garanti par le quatorzième amendement de la Constitution. La Cour suprême l’a confirmé dans son arrêt Taylor v Kentucky (1978).

Cela veut dire que le «burden of proof», le «fardeau de la preuve» en droit criminel américain repose sur l’accusation: le procureur doit prouver la culpabilité de l’accusé au-delà de tout «doute raisonnable» du jury. C’est à lui d’apporter les preuves de culpabilité, tandis que la défense, elle, ne doit que réfuter ces éléments ou faire douter les jurés. D’où la fameuse «cross examination» des témoins présentés par l’accusation, une étape du procès connue pour les techniques d’intimidation des avocats de la défense (dont celles du défenseur de DSK): il s’agit de faire douter le jury populaire qui rend la sentence.

Certaines personnes pensent –à tort– qu’aux Etats-Unis on présume la culpabilité au lieu de l’innocence, à cause de la forme de la procédure pénale outre-Atlantique. Celle-ci est accusatoire alors que le système français est inquisitoire. Cette distinction signifie qu’en France, le juge est chargé de diriger l’enquête, tandis qu’aux Etats-Unis ce sont les avocats qui apportent tous les éléments. Le procureur cherchera à fournir des pièces à conviction convaincantes, l’avocat de la défense devra trouver des éléments tendant à disqualifier le témoignage des personnes entendues.

En revanche, la justice américaine ne garantit pas la présomption d’innocence avec autant de soin que la France (article 9-1 du Code civil). Elle n’interdit, par exemple, pas la publication de photographies de l’accusé menotté.

La caution de DSK est-elle excessive?

La caution «cash» de DSK impressionne par son montant, mais ce sont ses avocats qui ont proposé 1 million de dollars, précisant, à la demande du juge, que leur client avait un patrimoine net de 2 millions de dollars. La caution sert à garantir que l'accusé se rendra devant les tribunaux, pas à le priver de liberté. Le 8e amendement de la Constitution américaine stipule d'ailleurs:

«On ne doit pas requérir une caution excessive, ni imposer des amendes excessives, ni infliger des punitions cruelles et inhabituelles.»

Un tribunal qui avait par exemple fixé la caution d’un magnat de l’immobilier à 3 milliards de dollars s’est vu débouté en appel. La caution a été réévaluée à 450.000 dollars, expliquant:

«Ces montants étaient tellement excessifs que personne ne pouvait les atteindre, ni Durst, ni aucune agence de bail […] C’est un exemple de caution utilisée comme un instrument d’oppression.»

Le système judiciaire américain est donc censé être proportionnel (au crime et au risque supposé mais aussi à l’argent des accusés), ce qui ne signifie pas qu’il fonctionne parfaitement: en 2010, des milliers de New-Yorkais pauvres ont dû passer des jours en prison faute d’avoir les moyens de payer leur caution (de 1.000 dollars ou moins), alors même qu’ils étaient accusés de petits délits (resquiller dans les transports en commun par exemple), d’après le rapport d’une ONG.

Comment DSK doit-il payer sa caution, et que devient-elle?

D’après les conditions de la mise en liberté surveillée de Dominique Strauss-Kahn, il doit payer 1 million de dollars en «cash bail» («caution cash») et 5 millions de plus en «bond». Le «cash bail» ne veut pas dire que DSK est obligé de payer le million en liquide –il le pourrait néanmoins, s'il le souhaitait–, mais qu’il doit fournir la totalité de ce million à la Cour (lui, ou quelqu’un d’autre, voire une agence spécialisée).

Comme l’expliquait Slate.com en 2003 lorsque Michael Jackson avait payé une caution de 3 millions de dollars, le «cash bail» est placé dans un compte en banque non rémunéré, et y reste jusqu’à ce que le procès soit terminé. L’argent est alors restitué (moins quelques frais administratifs, généralement). Si DSK ne se présente pas aux audiences, son argent deviendra propriété de l’Etat de New York.

Le «bond» est généralement géré par une agence de «bail bonds»: une sorte de compagnie d’assurance garantit à la Cour que l’accusé viendra à toutes ses audiences; s’il ne se présente pas, c’est la compagnie qui paie la Cour. En échange de leurs services, ces agences de bonds demandent à l’accusé un pourcentage du montant à garantir.

Que représenterait une caution de 1 million de dollars si elle était payée en liquide?

Selon le US Bureau of Engraving and Printing et le United States Mint, les organismes qui produisent respectivement les billets et les pièces outre-Atlantique, le poids approximatif d’un billet, quelle que soit sa valeur faciale, est de 1 gramme. Sachant que les billets disponibles vont de 1 à 100 dollar, une caution de 1 million de dollars qui serait payée uniquement en billets pèserait donc de 10 kilos à… une tonne. Payée entièrement en pièces de 1 cent (la plus petite dénomination existante, avec des pièces de 2,5 grammes), elle pèserait même 250 tonnes.

Est-il légal de publier les photos de DSK en prison ou son «mug shot»?

On l’a dit et répété: les photos de Dominique Strauss-Kahn menotté ne devraient pas être diffusées par les médias même si elles ont été prises aux Etats-Unis. Depuis la loi Guigou sur la présomption d’innocence, montrer un détenu «identifiable... menotté ou entravé» est interdit sauf si l’intéressé y consent. Le CSA a d’ailleurs appelé mardi «à la plus grande retenue dans la diffusion d’images relatives à des personnes mises en cause dans une procédure pénale».

Et il n’y a pas que ces images qui soient illégales: les photos d’un accusé «en détention provisoire» sont également proscrites par l’article 35 ter de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. C’est pour cette raison que VSD avait été condamné à payer 35.000 euros de dommages et intérêts à Bertrand Cantat en 2007. Le magazine avait publié des photos du chanteur de Noir Désir en détention dans la centrale de Muret (Haute-Garonne).

La diffusion de photos de l’ancien patron du FMI à Rikers Island pourraient donc faire l’objet de poursuites judiciaires, tout comme celles de son «mug shot» (la photo prise au moment de son arrestation) publié par la police de New York jeudi 19 mai. L’atteinte à la loi pourrait être plus difficile à établir dans le dernier cas étant donné qu’on ne voit pas son lieu de détention. Pourtant «le paratexte des images de l’arrestation les font tomber sous le coup de l’article 35 ter», estime l’avocat spécialisé en droit de la presse Emmanuel Pierrat.

La femme de chambre peut-elle retirer sa plainte?

Non, car la femme de chambre n’a pas porté plainte. La complaint, c'est-à-dire le témoignage qu'elle a fait à la police, a été lue à la juge lors de l’audition dont les images ont fait le tour du monde lundi 16 mai, et dont le but était de décider soit de remettre l’accusé en liberté contre une caution, soit de le mettre en détention provisoire. Cette complaint est généralement rédigée par les policiers en charge de l'affaire, mais elle n’est pas une plainte de la victime à proprement parler.

Dans la procédure pénale américaine, la personne qui se présente comme victime devient un témoin du procès, et c'est l’Etat qui poursuit en justice l’accusé. Si l'accusateur ne veut pas ou plus participer au procès cela peut le rendre plus difficile, mais un juge peut lui ordonner de témoigner au travers d’un subpoena. Si elle décide de porter plainte, la femme de chambre le fera au civil, pas au pénal, ce qui ouvrirait un second procès. (Plus de détails sur la procédure judiciaire américaine ici).

Quelle est la situation de DSK au FMI?

Selon les statuts du FMI, le conseil d’administration, composé de 24 membres dont le haut fonctionnaire Ambroise Fayolle pour la France, peut mettre fin aux fonctions du directeur général à n’importe quel moment par un vote, et ce pour n'importe quel motif. Le directeur général peut quant à lui démissionner en respectant un «préavis raisonnable». C'est cette dernière option qui a été utilisée, Dominique Strauss-Kahn remettant sa démission le 18 mai alors que le FMI avait déjà installé depuis quelques jours dans les fonctions de directeur général par intérim son numéro deux, John Lipsky.

En septembre 2007, le FMI avait publié ses conditions d’embauche comme managing director du Fonds. Son mandat courait théoriquement jusqu’au 1er novembre 2012, pour un salaire annuel de plus de 420.000 dollars net d’impôts et une dotation pour frais généraux de 75.000 dollars annuels, net d’impôts également.

Une indemnité de départ était alors théoriquement prévue s’il était remercié après au moins un an de mandat, ou s'il démissionnait après au moins deux ans de mandat: comme il a accompli trois années pleines dans ses fonctions, elle se monte normalement à 60% du salaire, moins le montant des salaires et indemnités de retraite touchés dans l’année suivant la démission.

Le code de conduite du FMI précise par ailleurs que l’institution «attache une grande importance à l’observation des lois locales par ses employés» même si elle n’est «pas en position d’enquêter sur des allégations selon lesquelles un employé aurait violé» celles-ci. Le FMI précise en revanche qu’il obtempère aux demandes de la justice si celle-ci lui demande de bloquer une partie du salaire d’un employé pour payer des obligations légales.

Rikers est-elle la pire prison des Etats-Unis?

Dominique Strauss-Kahn a été transféré lundi 16 mai à la prison de Rikers Island à New York après avoir vu sa demande de mise en liberté sous caution refusée par une juge de New York.

Rikers Island est le principal centre de détention de New York, et accueille des détenus qui attendent leur procès ou purgent une peine de prison de moins d’un an, selon le cabinet d’avocats new-yorkais Storobin & Spodek, qui précise qu’il y a actuellement 14.000 détenus dans la prison pour une capacité totale de 21.000. Rikers Island était autrefois réputée dangereuse, mais le taux de criminalité a considérablement baissé depuis les années 1990, toujours selon Storobin & Spodek. Le site du cabinet précise que si la sécurité s’est améliorée, «les gardiens ne sont pas toujours en mesure de maintenir un contrôle total».

L'avocat Gerald Lefcourt décrit la prison pour Reuters:

«Ces endroits sont surpeuplés et la nourriture y est horrible. Il existe un véritable danger pour les personnes célèbres de s'y faire agresser. […] Il y a de nombreuses portes à barreaux, très lourdes, qui font du bruit chaque fois qu'on les ouvre ou qu'on les ferme.»

Un jeune homme de Harlem de 17 ans racontait en février 2009 son passage à Rikers dans le magazine local Hell Gate Review: «Ici tout le monde est endurci. […] Il y a des bagarres tout le temps, et pour des broutilles.» Selon le magazine new-yorkais City Journal, 28% des détenus de Rikers étaient traités pour des problèmes de santé mentale en 2009. Les gardiens de la prison ont été accusés à plusieurs reprises de fermer les yeux sur la violence des gangs dans l'établissement, voire de l'encourager.

Mais Dominique Strauss-Kahn devrait bénéficier d’un traitement particulier en raison de son statut. Il est logé dans une cellule individuelle de 12m² dans le bâtiment ouest qui abrite surtout les prisonniers souffrant de maladies transmissibles, et sera tenu complètement à l’écart des autres détenus pour sa propre sécurité.

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