France

Quand les scandales sexuels s'invitent en politique

Temps de lecture : 6 min

Des reproches sur leur vie conjugale aux incriminations pénales, des accusations de mensonge aux affaires montées de toute pièce, de nombreux hommes politiques de premier plan ont été touchés par des scandales sexuels.

Le président américain Bill Clinton étreint Monica Lewinsky lors d'une cérémonie
Le président américain Bill Clinton étreint Monica Lewinsky lors d'une cérémonie à la Maison Blanche, le 6 novembre 1996. REUTERS/Stringer

Certains ont enfreint la loi, d’autres choqué moralement une partie de leurs concitoyens par leur conduite. Certains ont réussi à garder leur poste, d’autres ont sombré. Certains ont d’abord été épinglés par la presse, d’autres par la justice.

La «gamme» des scandales sexuels en politique est large: dans son livre Political scandal: Power and Visibility in the Media Age, le sociologue britannique John B. Thomson explique que «les scandales sexuels politiques peuvent impliquer des faits délictueux, concernant par exemple l’homosexualité dans des contextes ou elle est (ou était) illégale, le sexe avec un mineur, le harcèlement ou la prostitution. Mais beaucoup de scandales sexuels politiques (et l’immense majorité aujourd’hui) n’impliquent pas de délits de ce type». Tentative de typologie en quatre étapes.

Les relations extraconjugales

Si, en France, le fait pour un homme politique d’entretenir des liaisons extraconjugales n’a longtemps pas dépassé le stade de la rumeur, de la réputation ou de l’allusion cryptée (comme celle de Valéry Giscard d’Estaing lors de son débat face à François Mitterrand en 1974), dans certains pays leur révélation a pu en affaiblir très fortement et les pousser à la démission. Notamment quand le gouvernement auquel ils appartenaient faisait campagne sur les valeurs familiales…

Le Royaume-Uni a ainsi connu une succession de scandales impliquant des ministres conservateurs dans les années 1980-90: en 1983, le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur et à l’Industrie Cecil Parkinson dut démissionner car sa secrétaire était enceinte de lui; en 1992, le secrétaire d’Etat à l’Héritage national David Mellor fut fortement affaibli par la révélation de sa liaison avec une jeune actrice (dont il aimait, paraît-il, suçoter les orteils, ce qui inspira au Sun le fin jeu de mots «Toe job to no job»); en 1994, le secrétaire d’Etat à l’Environnement Tim Yeo quitta son poste, également pour avoir mis sa maîtresse enceinte, et le ministre des Transports Malcolm Sinclair démissionna après le suicide de sa femme, qui avait découvert sa liaison avec une autre femme.

Aux Etats-Unis, le sénateur démocrate du Colorado Gary Hart vit lui sa campagne des primaires coulée à pic en 1987 par la révélation de sa liaison avec une jeune femme, Donna Rice, actrice dans un petit rôle dans la série Miami Vice. Et ce d’autant plus qu’il avait auparavant déclaré à la presse, à la suite des premières rumeurs:

«Suivez-moi, je m’en fiche. Je suis sérieux. Si quelqu’un veut se mettre sur mes traces, allez-y. Vous allez beaucoup vous ennuyer.»

Les mensonges et les conflits d’intérêts

Certains hommes politiques ont en effet été affaiblis, non pas tant par des affaires extraconjugales en tant que telles que parce qu’elles s’accompagnaient de mensonges ou de conflits d’intérêt potentiels susceptibles d’engager leur responsabilité politique. «On ne blâme pas le président américain parce qu’il est un séducteur. […] Ce qui n’est pas tolérable aux yeux d’une grande partie des Américains, c’est le mensonge», écrit ainsi l’historien Christian Delporte dans sa récente Histoire de la séduction politique à propos de l’affaire Lewinsky.

En 1998, la presse américaine révéla l’existence d’une liaison entre Bill Clinton et une stagiaire de la Maison Blanche, Monica Lewinsky, dont le témoignage se trouvait dans les mains du procureur Kenneth Starr, qui enquêtait sur une affaire de harcèlement sexuel impliquant le président. En août 1998, Clinton reconnut devant un grand jury avoir eu des relations «inappropriées» avec Monica Lewinsky, tout en niant avoir eu des relations sexuelles avec elle. Ces déclarations entraînèrent le lancement d’une procédure de destitution (impeachment) pour parjure et obstruction de la justice, qui fut votée par la Chambre des représentants mais ne passa pas au Sénat.

Un autre célèbre scandale sexuel impliquant les mensonges d’un homme politique est l’affaire Profumo: le 5 juin 1963, le secrétaire d’Etat à la Guerre du cabinet conservateur britannique, John Profumo, dut démissionner après avoir menti au Parlement sur sa relation avec une call-girl, Christine Keeler, qui entretenait de plus des relations avec un fonctionnaire de l’ambassade soviétique à Londres.

L’affaire Nagy, qui avait frappé Dominique Strauss-Kahn en 2008 à la suite des révélations du Wall Street Journal, est du même ordre: on ne reprochait pas tant au directeur général du FMI sa liaison avec une économiste hongroise du Fonds que d’éventuels soupçons de favoritisme, dont il fut au final disculpé après une enquête de l’institution.

Les délits et crimes sexuels

L’ultime degré est celui du scandale sexuel à dimension pénale, qui pourrait marquer, toujours selon Christian Delporte, le vrai déclencheur d’un tel scandale en France:

«On peut même se demander si, dans un pays comme la France, patrie de Rabelais et des libertins, on ne regarde pas avec une certaine fierté, voire avec une certaine envie, les exploits des hommes politiques séducteurs. A une condition: que cela ne s’étale pas à la une des journaux, que le Dom Juan ne prenne pas l’ascendant sur le Guide de la nation, que ses aventures extraconjugales ne sombrent pas dans le crapoteux et le sordide.»

C’est dans cette catégorie que s’inscrit pour l’instant l’affaire Strauss-Kahn, dans laquelle le dirigeant socialiste, dont les avocats ont annoncé l’intention de plaider non coupable, est présumé innocent.

L’AFP rappelait dimanche matin plusieurs cas déjà jugés ou en cours de jugement. L’ex-président israélien Moshe Katsav a ainsi été condamné en mars à neuf ans de prison, dont sept fermes, après avoir été reconnu coupable du viol d’une subordonnée dans les années 1990. Une affaire qui l’avait forcé à quitter son poste.

Condamné à un an de prison en mai 2000 pour «sodomie et autres crimes sexuels» perpétrés à l'encontre de collaborateurs, l'ancien président zimbabwéen Canaan Banana a lui été libéré fin janvier. La justice malaisienne doit elle se prononcer dans les jours à venir sur le sort de l’ancien vice-Premier ministre Anwar Ibrahim, accusé de sodomie sur un conseiller, tandis que le Premier ministre italien Silvio Berlusconi, accusé de sollicitation d’une prostituée et d’abus de pouvoir (le «Rubygate»), est actuellement jugé à Milan. L’actuel président sud-africain Jacob Zuma a lui été acquitté du viol d'une jeune femme en 2006, après un procès controversé.

Par le passé, certains responsables politiques français ont également été poursuivis pour affaires de mœurs. En 1961, la justice condamna ainsi André Le Troquer, président de l’Assemblée nationale aux dernières heures de la IVe République, à un an de prison et 3.000 francs d’amende dans l’affaire des «ballets roses», un dossier de détournement de mineures.

En 1996, une plainte fut déposée contre Patrick Balkany par sa maîtresse, qui l’accusait de l’avoir forcée à lui faire une fellation sous la menace d’une arme, avant d’être retirée. En 2004, le conseiller en communication de Jean-Pierre Raffarin, Dominique Ambiel, fut lui condamné à 1.500 euros d’amende, peine alourdie à 2.500 euros en appel, pour sollicitation de prostituée mineure. Interpellé par la police avec une prostituée roumaine dans sa voiture, il a dénoncé une affaire «montée de A à Z», accusant nommément Dominique de Villepin dans son livre Fort Matignon.

Les dénonciations calomnieuses et manipulations

Un scandale sexuel peut en effet, dans certains cas, se fonder sur une dénonciation calomnieuse, voire sur une manipulation visant à affaiblir un homme politique ambitieux. En 2009, deux anciennes prostituées furent ainsi condamnées pour dénonciation calomnieuse pour avoir accusé, entre autres, l’ancien maire de Toulouse et président du CSA Dominique Baudis de viols et proxénétisme dans l’affaire Alègre. Un dossier dans lequel le dirigeant avait auparavant obtenu un non-lieu en 2005.

Cette affaire avait soulevé dans la presse des comparaisons avec un des plus célèbres dossiers de l’histoire politique française, l’affaire Markovic. Le 1er octobre 1968 était découvert dans une décharge d’Elancourt (Yvelines) le corps de Stefan Markovic, l’ancien homme à tout faire yougoslave de l’acteur Alain Delon, tué d’une balle dans la tête. Aucune condamnation n’eut lieu dans ce dossier, dans lequel le truand corse François Marcantoni obtint un non-lieu en 1976, mais ce meurtre engendra une rumeur comme quoi Claude Pompidou, l’épouse de Georges Pompidou, avait participé à des parties fines chez Stefan Markovic.

L’ancien Premier ministre, qui venait de quitter Matignon quelques semaines plus tôt, accusa des ministres gaullistes orthodoxes d’avoir laissé prospérer la rumeur, fondée notamment sur des photos truquées. Il fut néanmoins élu président de la République, quelques jours après avoir déclaré, dans un de ses derniers discours de campagne, en juin 1969:

«Je n’ai [pas] répondu aux calomnies contre ma personne et à ces malheureux qui ont cherché à m’atteindre à travers ce que j’ai de plus cher.»

Jean-Marie Pottier

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