Loin de nous l’idée de nier au patron du FMI la présomption d’innocence. Jusqu’à ce qu’il soit jugé, Dominique Strauss-Kahn, n’est coupable de rien. Il nie même les faits que la police new-yorkaise lui reproche sur la base du témoignage d’une femme de chambre d’un hôtel où il résidait.
Répétons-nous: DSK est présumé innocent, et la femme de chambre une victime présumée. Il convient désormais à la justice américaine de faire la lumière sur cette affaire qui risque de compromettre l’avenir de Strauss-Kahn, et pas uniquement son avenir politique.
Mais il y a quelque chose de gênant dans certaines réactions, qu’elles émanent de politiques, ou de beaucoup d’entre nous. Dominique Strauss-Kahn serait —ou aurait pu être— victime d’une «manipulation». Il aurait glissé sur une «peau de banane qu'on lui aurait mise sous la chaussure», comme l’a dit Dominique Paillé, vice-président du Parti radical et ancien porte-parole de l'UMP. «S'il est tombé sur cette peau de banane, c'est qu'on savait qu'il avait une vulnérabilité. Et quand on s'apprête à être candidat à la candidature à la présidence de la République française, on se met à l'abri de telles vulnérabilités.»
Vulnérabilité? S’il est tout à son honneur de ne pas vouloir accabler son adversaire politique, la remarque de Paillé est également accusatoire pour DSK. Un homme qui ne saurait pas se tenir. Même idée chez Christine Boutin, entre autres, qui prend quelques pincettes pour qualifier DSK d’homme «vigoureux»:
«Ça me semble tellement énorme cette affaire! On sait qu'il est assez vigoureux, si je puis m'exprimer ainsi, mais qu'il se fasse prendre comme ça me semble ahurissant, donc je pense qu'il est tombé dans un piège.»
Julian Assange / DSK
La thèse du complot peut se comprendre. Comme pour le cas Julian Assange, la tête pensante de Wikileaks, pris dans une affaire de viol, le réflexe complotiste joue à plein. Bien sûr, pour beaucoup de ses opposants politiques, DSK –comme Assange– est un homme à abattre. Patron du FMI, favori des sondages, à gauche comme à droite, DSK contrecarre les ambitions de certains.
Les attaques sur son image, lancées la semaine dernière, puis cette histoire de tentative de viol, qu’elle soit avérée ou pas, laisseront des traces. De là à imaginer que ces adversaires aient réussi à faire embaucher une jeune Mata Hari dans le Sofitel de Manhattan... Mais comme dans le cas Julian Assange, la théorie du complot nie les autres parties du scandale, les femmes (ou la femme dans le cas DSK) qui ont porté plainte.
N’oublions pas les victimes présumées
Si la «vigueur» et la «vulnérabilité» sont les seuls qualificatifs employés pour décrire ce dont cette femme de chambre accuse le patron du FMI –rappelons que le porte-parole de la police de New York a décrit une agression sexuelle au cours de laquelle DSK aurait forcé la jeune femme à lui faire une fellation et tenté de lui enlever ses vêtements contre son gré–, Boutin et Paillé ont une étrange idée des relations sexuelles consenties.
Dit autrement: tant qu’on ne se fait pas prendre, il n’y a pas de crime. Dire que DSK est un homme vigoureux et vulnérable, et qu’il est simplement tombé dans un piège, c’est nier totalement et absolument le qualificatif de victime à celle qui serait la réelle victime de cette agression supposée: la femme de chambre du Sofitel.
Il faut respecter la présomption d’innocence de DSK. Mais envisager l’affaire sous la seule facette de la théorie du complot ou d'un «guet-apens» tendu à un «libertin» pose tout autant problème. C’est transformer la présomption d'innocence de l’accusé en présomption de culpabilité de l’accusatrice. Ou comme le pointe Jules DR sur Twitter, «la présomption d'innocence ne suppose pas de présenter DSK comme une victime».
Les accusations portées par la jeune femme sont extrêmement graves. Comme DSK mérite qu’on lui accorde la présomption d’innocence, la femme de chambre du Sofitel mérite qu’on l’écoute et qu’on ne disqualifie pas a priori ses accusations.
Johan Hufnagel et Cécile Dehesdin