«On peut rater le premier tour, mais pas ses vacances»: au lendemain du 21 avril 2002, ce slogan publicitaire du tour-opérateurs Jet Tours avait fait sourire jaune pas mal d’électeurs. Dix ans après, il va être à nouveau possible de rater le premier tour pour ses vacances: le conseil des ministres a annoncé le 11 mai que la présidentielle et les législatives 2012 auraient lieu les dimanche 22 avril, 6 mai, 10 juin et 17 juin, soit les mêmes dates qu'en 2007.
Le premier tour de la présidentielle aura donc lieu le premier week-end de vacances de la zone B (Aix-Marseille, Amiens, Besançon, Dijon, Lille, Limoges, Nice, Orléans-Tours, Poitiers, Reims, Rouen, Strasbourg), au milieu de celles de la zone C (Bordeaux, Créteil, Paris, Versailles) et le dernier jour de celles de la zone A (Caen, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Nantes, Rennes, Toulouse). Le second tour, lui, aura lieu le dernier jour des vacances de la zone B.
Pourquoi élit-on le président en avril-mai?
Contrairement aux Etats-Unis, où les élections ont obligatoirement lieu le mardi suivant le premier lundi de novembre, la France n'a pas de dates fixes d'élections présidentielle et législatives: le fait qu'elle les tienne dans un calendrier miné de jours fériés (Pâques, Ascension, Pentecôte) et de vacances scolaires est le fruit du hasard. Les deux premières présidentielles eurent lieu en décembre 1958 et décembre 1965 et la troisième aurait dû avoir lieu en décembre 1972, mais fut avancée à juin 1969 par la démission de De Gaulle. Puis la mort de Pompidou, le 2 avril 1974, décala encore le calendrier quelques semaines plus tôt: depuis, le premier tour a toujours lieu dans la seconde quinzaine d’avril et le second dans la première de mai. Les législatives ont elles navigué au gré des dissolutions et sont alignées depuis 2002 sur la présidentielle, en juin tous les cinq ans.
Quelle marge existe pour fixer les dates?
Si le Conseil constitutionnel estimait en 2007 que «le choix des dates doit […] prendre en compte le calendrier des congés scolaires, afin d'éviter, dans toute la mesure du possible, l'organisation du scrutin pendant ces congés», le gouvernement a très peu de marge. Afin de permettre une éventuelle transition, le premier tour de la présidentielle doit en effet être convoqué entre 20 et 35 jours avant l’expiration du mandat du président sortant (le 16 mai 2012 à minuit pour Nicolas Sarkozy) et le second quatorze jours après le premier. La présidentielle ne pouvait donc être organisée que les 15 et 29 avril ou le 22 avril et le 6 mai. Ces dispositions sont fixées par l’article 7 alinéa 3 de la Constitution et sont donc compliquées à changer.
La présidentielle pendant les vacances, c’est nouveau?
Non, c’est même la quatrième fois consécutive. Dès novembre 1993, un jeune ministre de l’Education depuis deux fois candidat, François Bayrou, notait devant les députés que «dans l'état actuel des choses, l'élection présidentielle de 1995 coïnciderait avec les vacances de printemps, ce qu'on ne saurait accepter. […] On ne saurait accepter une sorte d'incitation à manquer de civisme et, pas davantage, que certains renoncent à partir afin de voter». Un vœu pieux puisqu’au final la configuration retenue fut la même que pour 2012. En 2002 et 2007, en revanche, le premier tour était affecté par les vacances scolaires mais le gouvernement avait évité qu’une zone soit en vacances au soir du second.
Les zones de vacances votent-elles différemment?
Oui, selon nos calculs, fondés sur les chiffres par département disponibles auprès du Centre de données socio-politiques de Sciences-Po. La zone C (20% de l’électorat), pour qui le premier tour tombera en plein milieu des vacances, avait accordé nettement plus de voix que la moyenne à Royal et Bayrou en 2007, et nettement moins à Le Pen. La zone A (37% de l’électorat), pour qui le premier tour tombera le dernier weekend, était la plus proche de la moyenne nationale. Enfin, la zone B (38% de l’électorat), qui ouvrira ses vacances avec le premier tour et les fermera avec le second, avait moins voté Bayrou et Royal et plus Le Pen, et avait accordé 2,5 points de plus que la moyenne nationale à Sarkozy au second tour.
FranceZone AZone B et CorseZone CEtranger et Outre-Mer
Participation 1er tour83,77%86,44%83,59%86,55%56,10%
Sarkozy 1er tour31,18%29,75%31,64%32,15%36,03%
Royal 1er tour25,87%25,79%23,56%28,06%38,53%
Bayrou 1er tour18,57%19,85%16,75%20,37%13,57%
Le Pen 1er tour10,44%9,97%13,02%7,82%3,68%
Participation 2e tour83,97%85,96%84,43%85,73%60,29%
Sarkozy 2e tour53,06%52,16%55,52%51,43%46,69%
Royal 2e tour46,94%47,84%44,48%48,57%53,31%
L’effet «vacances» risque-t-il d’être important?
Si, en dehors des enseignants et des plusieurs centaines de milliers de lycéens majeurs, le nombre d’électeurs qui disposent effectivement de deux semaines de vacances de printemps est limité, selon le statisticien Christophe Terrier, qui a dirigé un ouvrage sur la mobilité touristique en France lors de l'année 2005, on constate au moment des vacances de Pâques des pics d'«absence» (vacances, mais aussi weekends en famille) du domicile principal de l'ordre de 20% dans certains départements urbains. Ces absences sont moins longues que l'été, mais leur calendrier est souvent plus contraint, par exemple en cas de réunion de famille.
Si le scrutin coïncide avec le début ou la fin de leurs congés, ces électeurs absents peuvent cependant retarder légèrement leur départ (ce qui peut être compliqué par le fait que les locations de vacances courent souvent du samedi au samedi) ou planifier leur retour pour voter. D’autant que, selon le Nouvel Observateur du 5 mai, le gouvernement songerait à retarder la fermeture de tous les bureaux de vote à 20 heures, solution qui n’existe pour l’instant que dans les grandes villes... Enfin, il reste bien sûr la solution du vote par procuration, assoupli par plusieurs textes depuis le début des années 90 et que le PS veut encore simplifier. Il avait triplé en 2007 par rapport à 2002.
En 2007, selon le géographe Michel Bussi, l'évolution de l'abstention entre les deux tours s'expliquait bien par les zones de vacances, mais l'impact de ce phénomène était très faible. Mais c'est plutôt l'élection de 2002 qui avait attiré l'attention sur ce point, du fait de la qualification de Jean-Marie Le Pen au détriment de Lionel Jospin. Christophe Terrier avait alors publié dans l’European Journal of Geography un court article faisant l'hypothèse d'un rôle important des vacances dans la défaite du Premier ministre:
«Une récente étude du Crédoc réalisée à la demande de la Direction du tourisme montre que le profil psychologique de ceux qui ne partent pas en vacances ou en week-end est fortement marqué par la peur de l'autre, autres lieux ou autres gens. Serait-il abusif de penser que cette peur se traduit par un vote de forte préférence nationale ? […] Même en se dispersant sur tous les candidats démocrates, les voix du surplus d'abstentionnistes pour cause de vacances ou de week-end auraient sans doute comblé le 1% qui a fait la différence entre Jospin et Le Pen.»
Une étude sur la «mosaïque électorale de la France» se montrait elle très prudente en estimant que l'effet des zones en vacances scolaires sur l'abstention n'apparaissait «guère évident» lors de cette élection. Enfin, une étude publiée en 2007 par deux économistes français, Eric Dubois et Christian Ben Lakhdar, aboutissait elle aussi à un constat nuancé: les chercheurs évaluaient à 1,7 point de participation en moins l’impact des vacances sur le premier tour du 21 avril, mais estimaient que, même en partant du postulat que l’abstention désavantagerait plus la gauche, ce phénomène ne pouvait suffire à expliquer à lui seul la défaite du candidat socialiste par 194.600 voix d’écart.
Jean-Marie Pottier
L’explication remercie Pierre Bréchon, professeur de sciences politiques à l’IEP de Grenoble et auteur de Les élections présidentielles. Quarante ans d’histoire politique et La France aux urnes. Soixante ans d’histoire électorale (Documentation française, 2008 et 2009), Michel Bussi, professeur de géographie à l'université de Rouen, spécialiste de la géographie électorale, et Christophe Terrier, statisticien et directeur de l'ouvrage Mobilité touristique et population présente. Les bases de l'économie présentielle des départements (Direction du tourisme, 2006).
Article actualisé le samedi 28 mai avec des précisions sur les travaux de Christophe Terrier et les statistiques d'«absence» du domicile.