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Le raid qui a tué Ben Laden a représenté «les 40 minutes les plus longues de ma vie», a déclaré le président Obama dans une interview à 60 Minutes diffusée dimanche 8 mai 2011, «exception faite du jour où Sasha, âgée de trois mois, a eu une méningite et que j'attendais que le médecin me donne de ses nouvelles». Qu'est-ce qui rend certaines minutes plus longues que d'autres?
L'émotion et la nouveauté. Les scientifiques sont toujours à la recherche des fondements neurologiques de notre perception du temps, mais ils commencent à découvrir certaines règles de fonctionnement de notre cerveau lorsqu'il allonge et raccourcit les durées. Des émotions négatives, telles l'anxiété, la dépression et la peur, ont tendance à ralentir les choses, tandis que des émotions positives les accélèrent —du moins quand elles se produisent. (Le temps passe trop vite quand on s'amuse.)
Nous avons tendance aussi à nous remémorer des événements complexes et imprévisibles comme s'ils avaient duré plus longtemps que d'autres, plus simples. Quand les participants à une étude voient la même image, passer et repasser devant leurs yeux pendant une seconde, la première fois donne l'impression de durer plus longtemps que les autres. Et quand une nouvelle photo est intercalée dans cette succession attendue, cette image semble aussi rester un peu plus longtemps.
La plupart des recherches sur la perception du temps s'appuient sur des événements courts, comme ceux testés dans ces expériences dites de l'image bizarre. Mais les données dont nous disposons sur des durées plus longues —comme les 40 minutes interminables d'Obama— suggèrent que les émotions négatives et les stimuli inédits ont des effets similaires, et créent l'illusion d'un temps qui se ralentit.
Impression «prospective» ou «rétrospective»
Les chercheurs travaillant sur la perception des minutes et des heures distinguent en général deux formes de cognition temporelle. L'impression de durée peut être soit «prospective», ce qui correspond au sentiment (ou la manière dont vous vous en souvenez) que vous avez au moment même où l'événement se déroule, ou «rétrospective», celui que vous avez après les faits. En général, le temps semble plus long (en termes prospectifs) quand vous êtes nerveux ou effrayé, ou quand vous attendez quelque chose —le phénomène de l'eau qui ne bout jamais quand on la surveille. Obama a décrit l'épisode de la salle de situation comme «très tendu», avec de «longs moments où il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre». En fonction de ce contexte, il est logique que le temps ait semblé se ralentir. Idem lorsqu'il attendait des nouvelles de Sasha et de sa méningite.
L'image des «40 minutes les plus longues de ma vie» est aussi logique en termes d'évaluation rétrospective. Quand nous revenons sur des expériences passées, les moments truffés de stimuli intenses et imprévisibles semblent se rallonger. En général, plus vous avez de souvenirs précis et signifiants dans un laps de temps donné, plus ce laps de temps vous semble long.
L'anxiété joue ici aussi un rôle. Une étude a montré que des étudiants en médecine se rappelaient d'une stressante simulation d'accident cardiaque comme étant environ 10 % plus longue que sa durée réelle. Le souvenir d'Obama et de son temps passé dans la «situation room» peut aussi refléter l'enchaînement dramatique des événements et la valse des sentiments ressentis à ce moment-là.
L’Explication remercie Richard A. Block, de l'Université d’État du Montana, et David Eagleman du Collège de Médecine Baylor.
Jeremy Singer-Vine
Traduit par Peggy Sastre
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