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Israël a changé de stratégie face à l'Iran

Temps de lecture : 4 min

Le virus Stuxnet et les assassinats de scientifiques ont suffisamment retardé le programme nucléaire d'armement iranien pour qu'Israël renonce presque officiellement à une attaque risquée et incertaine.

Parade militaire à Téhéran Caren Firouz / Reuters
Parade militaire à Téhéran Caren Firouz / Reuters

Le Mossad, les célèbres services de renseignements israéliens, ont une mission. Ils sont devenus de-facto le porte-parole officieux du gouvernement Netanyahou. Meir Dagan, qui dirigeait le Mossad jusqu’en décembre 2010, s’exprime régulièrement dans les médias et il est difficile d'imaginer que les dirigeants israéliens ne cautionnent pas ses propos. C'est en tout cas un moyen de faire passer des messages dans l'opinion et notamment dans la stratégie face à la République islamique d'Iran et son programme d'armement nucléaire.

En janvier 2006, le même Meir Dagan avait exposé, devant la commission de la défense de la Knesset (le parlement israélien), des prévisions apocalyptiques sur le Proche-Orient. Il avait mis en avant les dangers du réarmement à outrance de la Syrie par l’Iran et avait qualifié la situation avec le Liban de «vrai bordel» en raison des multiples transferts d’armes syriennes vers le Hezbollah. Il caractérisait alors la situation d’explosive et ne s’était pas vraiment trompé puisqu’elle avait mené à la guerre du Liban de juillet 2006.

Meir Dagan s’était à nouveau exprimé devant la même commission de la Knesset en juin 2009 cette fois sur le programme nucléaire iranien: «Si le projet ne rencontre pas d’obstacle technologique, les iraniens auront une bombe prête à l’emploi en 2014». Téhéran avait l'intention selon lui de mettre en service plus de dix mille centrifugeuses d’ici 2012 pour enrichir l'uranium et prônait une action d’envergure avant la fin 2009 pour stopper le programme. Les journalistes avaient interprété ces propos comme préfigurant une attaque militaire sans se douter qu’elle prendrait en fait une autre forme.

Option militaire

Le chef du Mossad, Meir Dagan, était déjà convaincu que l’option militaire n’était pas la meilleure solution pour empêcher la mise au point d’une arme nucléaire iranienne. Israël ne pouvait pas envisager une action semblable à celle de septembre 2007 qui avait entrainé la destruction par l’aviation israélienne de l’usine nucléaire syrienne située près de Dayr a-Zwar. Avec l’accord des américains, les israéliens avaient alors cherché, sans succès, à envoyer un message à l’Iran. Cette destruction d’un site unique entrait dans les compétences militaires israéliennes mais les iraniens ont disséminé leurs installations à travers tout le pays mélant installations militaires et usines nucléaires civiles soumises au contrôle de l'AIEA.

Les israéliens ont hésité à frapper les usines nucléaires en raison des risques encourus car ils craignaient des représailels du Hezbollah et de groupes palestiniens eux aussi proches de l'Iran. Par ailleurs, la Maison Blanche refusait catégoriquement de s’engager dans une aventure militaire et faisait pression sur Israël pour que le gouvernement Netanyahou y renonce. Des anciens du Mossad prévoyaient la guerre et des fuites bien orchestrées faisaient état de vols d’entrainement au dessus de Gibraltar pur préparer l’attaque. Mais la plupart des analystes occidentaux estimaient que l’attaque de l’Iran passait d’abord par la mise au pas de la Syrie et du Hezbollah.

En fait, le Mossad avait bien pris la décision d’attaquer l’Iran mais le combat allait prendre une tournure moins militaire. Il décida d’utiliser des sous-traitants parmi l’opposition iranienne pour organiser des opérations clandestines et notamment l’assassinat de plusieurs scientifiques impliqués dans les activités nucléaires. Il a aussi commandité les mystérieuses explosions qui ont eu lieu sur une base de missiles de Khorramabad le 16 octobre 2010.

Combat informatique

Et l’attaque d’Israël a bien eu lieu en septembre 2009 mais à l’aide du virus Stuxnet qui a rendu inutilisables une partie des centrifugeuses iraniennes. Le code qui a été introduit dans les ordinateurs iraniens est encore actif et, grâce à des fonctions dormantes, ses effets néfastes lui permettent d’évoluer et de commettre d’autres sabotages. Cette désorganisation des moyens de contrôle des centrifugeuses à poussé les russes à demander le report de la mise en service de la centrale de Bushehr qui a commencé tout juste à fonctionner le 10 mai.

Meir Dagan avait ouvertement estimé en janvier 2011 que le sabotage des installations iraniennes avait porté ses fruits. Il avait assuré, devant la commission de la défense de la Knesset, que le programme nucléaire de Téhéran avait pris un retard de «plusieurs années». Il est encore sorti de sa réserve le 6 mai 2011, à l’Université hébraïque de Jérusalem, en évoquant l’éventualité d’une frappe militaire contre les installations nucléaires iraniennes. Il a radicalement repoussé une telle éventualité comme étant «la chose la plus stupide que j’ai jamais entendue.»

Il a ainsi confirmé les difficultés de distinguer les infrastructures nucléaires civiles des militaires. Par ailleurs, venant d’un officier qui a été à la tête d’un service qui a souvent commandité des actions réprouvées par le droit, il a usé d’une argumentation juridique pour étayer son propos: «L’AIEA contrôle les installations civiles pas les secrètes. Une frappe sur ces installations serait manifestement illégale au regard du droit international».

De nombreuses voix se sont élevées contre la mise en doute des capacités de l’aviation israélienne puisque Meir Dagan a estimé qu’elle ne pourrait pas atteindre toutes ses cibles. L’ancien chef du Mossad estime que frapper l’Iran n’est pas insoluble techniquement et que Tsahal sait le faire mais: «l’attaque israélienne sera suivie par une guerre avec l’Iran. C’est le genre de chose où l’on sait comment ça commence, mais pas comment cela finira.» Ces prises de position prudentes expliquent les atermoiements du premier ministre Benjamin Netanyahou.

Meir Dagan a interprété par ailleurs à sa façon les révolutions arabes qui n’ont pas «engendré de tsunami de changement au Moyen-Orient». Selon lui, seule une révolution de palais s'est produite en Egypte où les Frères Musulmans n'ont aucune chance de prendre le pouvoir. L’armée qui détient des pans entiers de l’économie égyptienne ne laissera pas faire. Pour Meir Dagan, les révolutions ont surtout déstabilisé le régime iranien qui semble à présent surtout occupé à éviter la contamination populaire chez lui et en Syrie.

L’Iran est affaibli par les troubles syriens qui mettent en danger le soutien matériel massif apporté au Hezbollah libanais. «Ce serait mieux pour Israël si le président syrien Bachar el-Assad était écarté du pouvoir parce que cela fera cesser de l’aide au Hezbollah, et affaiblira l’influence iranienne». Il estime que s'il perdait le pouvoir cela permettrait le renforcement du camp sunnite en Syrie et dans le monde arabe en consolidant les pays «modérés» sunnites comme l’Arabie saoudite, le Bahreïn et la Jordanie, considérés par Israël comme des alliés potentiels. Mais toute action contre l’Iran risquerait de les voir tomber par solidarité dans le camp des Mollahs. En conséquence, l’Iran semble aujourd'hui à l’abri d’une action israélienne sauf si l’ancien chef du Mossad cherche à «enfumer» les médias.

Jacques Benillouche

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