France

Procès Colonna: Yvan, un homme en colère

Temps de lecture : 5 min

Au troisième jour de son troisième procès, Yvan Colonna a choisi de se présenter comme un homme ordinaire, promis des révélations, et mis la pression sur les membres du commando chargés de tuer le préfet Erignac.

Pièces du dossier Erignac, le 2 mai 2011. REUTERS/Benoit Tessier
Pièces du dossier Erignac, le 2 mai 2011. REUTERS/Benoit Tessier

Yvan Colonna a changé. C'est un homme nouveau qui se présente pour la troisième fois devant la cour d'assises spéciale de Paris. Un homme amoureux mais aussi, et surtout, un homme en colère. Pour l'amour, pas besoin de mots pour en être convaincu, les regards suffisent. Ceux que l’homme condamné déjà deux fois pour l’assassinat du préfet Erignac échange avec Stéphanie, sa nouvelle compagne épousée il y a deux mois en détention.

Pendant toute la première journée d'audience lundi, la jeune femme au visage ovale, qui fait plus jeune que ses 38 ans, était assise dans le public aux côtés de Jean-Hugues Colonna, le père de l'accusé. Les deux tourtereaux n'ont cessé de se parler par signes discrets mais complices. Depuis, Stéphanie Colonna n'a plus reparu, sans doute échaudée par l'immédiate pression médiatique autour d'elle.

Pour la colère, les mots d'Yvan Colonna – nombreux, c'est suffisamment rare pour le signaler – en témoignent. Dans le box, c'est pourtant l'habitué des assises qui a pris place. Toujours la même allure sportive, sweat-shirt gris sur tee-shirt noir, toujours le même visage carré au teint pâle du détenu qui voit peu la lumière, toujours les mêmes cheveux taillés court mais grisonnants, l'âge (51 ans) oblige. Mais Yvan Colonna accepte cette fois de «jouer le jeu» et le dit au président Hervé Stéphan qui l'interroge sur sa personnalité.

«Je suis nationaliste»

Longuement, l'accusé revient sur son enfance et sa jeunesse en Corse, sur sa famille, sur son métier de berger, sur son passé de nationaliste... «Je suis nationaliste, j'ai toujours été nationaliste et je pense que je le serai toujours», explique-t-il, ajoutant aussitôt «mais je déplore la mort d'un homme, quel qu'il soit». Sans condamner directement l'assassinat du préfet Erignac, un premier pas est quand même fait. Il parle aussi de son mariage, mais réfute tout «plan com'» pour tenter de l'«humaniser». «Il ne faut pas interpréter tous mes comportements comme des plans de communication ou des postures par rapport à la condamnation que je risque», prévient-il.

Simplement, Yvan Colonna en a assez de l'image qui lui colle à la peau. Assez d'être un martyr de la cause nationaliste corse. Celui dont les slogans sur les murs de l'île clament depuis 1999 «Gloria a te Yvan» ou «Libertà per Yvan». Celui dont le nom est applaudi chaque été lors des Journées nationalistes de Corte. Celui que sa défense a longtemps dépeint comme un «Dreyfus corse».

Douze ans et deux procès perdus plus tard, il en a terminé avec l'accusé qui dictait leur ligne de conduite à ses propres avocats, prenait à partie la cour et décidait de quitter l'audience en cours de route. Fini le chef de clan qui interdisait à sa famille de venir témoigner en sa faveur. Mercredi, son père, son frère et sa sœur sont venus à la barre parler de son «franc-parler», de son «courage», de sa «pudeur», de son «intelligence», et tous de son «innocence».

Basta

Désormais, Yvan Colonna veut simplement dire qu'il est «un être humain normal qui rit et qui pleure». Basta, l'homme d'honneur corse. «Vous savez, l'honneur c'est universel, répond-il au président. Il y a des Corses qui ont de l'honneur et des Corses qui n'en ont pas. Mais il n'y a pas d'honneur corse, breton, kurde ou thaïlandais». Basta aussi le «berger taiseux». « Je me rends compte qu'on ne me connait pas», confie-t-il.

Alors, il parle. Il parle de sa cavale de 1999 à 2003 pendant laquelle il est «comme un rat, comme une bête traquée»:

«Je vis dans une grotte, dans des boîtes de nuit désaffectées (…) je passe quelques jours chez des gens ici ou là, mais si on oublie le contexte, on ne comprend pas ce qui me passe par la tête. A l'époque, pour la police, pour la justice, pour les politiques, pour la France entière, je suis l'assassin du préfet Erignac. On dit Colonna, mort ou vif! Je ne vois pas ma famille, je ne vois plus mon fils, je dis que je suis innocent et personne ne m'écoute!»

Il parle ensuite de sa détention à partir de 2003. D'abord à Fleury-Mérogis à l'isolement «22 heures sur 24», puis à Fresnes comme «DPS», détenu particulièrement surveillé. «La prison, je vais vous dire ce que c'est», lance-t-il à la cour autant qu'à l'opinion publique. «Pendant six mois, on refuse de me donner le pécule que ma sœur m'envoie. Je ne peux pas cantiner, même de l'eau! Je n'ai pas le droit de me couper les cheveux, de me raser, je n'ai pas de linge.»

Tendu, ému, il se souvient avoir «attendu six mois pour voir mon fils, deux ans pour voir ma mère, mon père, ma sœur, mon frère, dix-neuf mois pour recevoir une première lettre!». Il dit:

«Alors si le berger, il est taiseux, il a des circonstances atténuantes.»

Puis, de sa personnalité, Yvan Colonna en vient peu à peu à parler des faits qui lui valent d'être renvoyé devant les assises. Il le fait par petites touches. Déposition impressionniste. En expliquant d'abord qu'il n'a «jamais applaudi à la mort d'un homme». Puis en affirmant que «le respect de la vie humaine», il l'a «prouvé dans (sa) vie»: «Quand j'ai été maître-nageur, j'ai sauvé des gens, quand j'ai été pompier, j'ai sauvé des gens». Et de se tourner vers Dominique Erignac, la veuve du préfet, et de lui dire les yeux dans les yeux:

«Je n'ai jamais tué votre mari, je n'ai jamais tué personne.»

Colonna et les «Anonymes»

Mais tout le monde sait que ce n'est pas suffisant. Ces mêmes mots, Yvan Colonna les a déjà dits en 2007 puis en 2009, lors de ses deux précédents procès. Il les répète à l'envi depuis douze ans. Il doit donc donner un signal supplémentaire de son évolution. Celui-ci vient en milieu d'après-midi. Le président Stéphan l'interroge alors sur le «groupe des Anonymes» qui a revendiqué l'assassinat du préfet Erignac et l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella. Colonna a toujours affirmé n'avoir rien à voir avec lui.

- «Avez-vous fait partie du groupe des Anonymes?», lui demande le président.

- «Non.»

- «Avez-vous eu à un moment des informations sur ce groupe?»

- «... A un moment donné oui...»

Une première digue lâche dans un silence épais. Mais la carapace se referme aussi vite. «A ce stade, je préfère ne pas m'exprimer. Si dans le cadre de l'audience, des gens ne disent pas la vérité, je dirai ce que je sais, je vous en donne ma parole», promet l'accusé à la cour. Mais le président n'en a cure de ses promesses, il pousse l'avantage, relance Colonna et l'oblige à préciser ses relations présumées avec le groupe des conjurés. «Je n'avais pas connaissance des Anonymes, mais j'ai été à un moment donné au courant de certaines choses par rapport à ce que m'a dit une certaine personne», répond l'accusé. Phrase ambigüe et mystérieuse, ça devient une habitude dans ce dossier.

Colonna explose

Alors, la partie civile prend la relève et presse Yvan Colonna de questions, lui reproche de faire monter les enchères en posant des «préalables» et en donnant «l'impression de vouloir ajuster (sa) position en fonction de celles des autres», comprendre les membres du commando invités à venir déposer à la fin du mois. Me Philippe Lemaire, l'avocat de la famille Erignac, est celui qui va faire sauter la deuxième digue. Il provoque le «berger taiseux» :

«Monsieur Colonna, on attendait beaucoup de vous aujourd'hui... Au bout de treize ans, vous parlez d'une nouvelle version, vous parlez de certaines choses, mais lesquelles? Dites-nous! Pourquoi attendre X, Y ou Z? Parlez! Prenez vos responsabilités pour une fois dans votre vie!».

Colonna, debout dans son box, explose, et hurle dans le micro, rouge de colère :

«Mais je ne sais pas tout monsieur Lemaire, vous allez le comprendre ça!!! J'espère qu'ils vont dire la vérité me concernant, notamment une personne! Pour le reste, je ne suis au courant de rien!».

Il est 17h15, l'affaire Erignac devenue depuis l'affaire Colonna vient peut-être de prendre un tour inédit. La réponse viendra sans doute de la confrontation entre Yvan Colonna et le commando.

Bastien Bonnefous

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