Avec le troisième procès d’Yvan Colonna s’ouvre sans doute, ce lundi, le dernier épisode d’un feuilleton judiciaire ouvert le 6 février 1998, date de l’assassinat du préfet Claude Erignac. Et nul doute qu’un certain citoyen suivra ce procès avec une attention particulière: Nicolas Sarkozy.
Le président de la République et ex-ministre de l’Intérieur ne s’est pas seulement impliqué personnellement dans l’arrestation du meurtrier présumé: sa carrière politique aussi bien que sa vie personnelle ont l’Île de Beauté pour toile de fond. Retour sur la «corsican connection» de Nicolas Sarkozy.
Les Corses, Sarkozy est tombé dessus quand il était petit. Il est bien connu que c'est dans les Hauts-de-Seine, et plus précisément à Neuilly, que le chef de l'Etat a fait ses premières armes politiques. Or, dans les années 1970 déjà, un certain nombre de caciques locaux sont d'origine insulaires.
Tel Achille Peretti, maire de Neuilly qui offrira à Nicolas Sarkozy son premier mandat, un siège de conseiller municipal en 1977; Charles Pasqua, puissant secrétaire général adjoint du RPR; Charles Ceccaldi-Raynaud, maire de Puteaux (et père de l'actuelle édile Joëlle); André Santini, maire d'Issy à partir de 1980; ou encore Paul Graziani, député et futur maire de Boulogne-Billancourt.
C’est à l’ombre de ces poids lourds que Nicolas Sarkozy fera son apprentissage.
«Achille Peretti a été son mentor, se souvient André Santini. Il lui a beaucoup appris. Nicolas Sarkozy se considère comme son fils spirituel. Nous autres Corses, on aime bien former les gens, c’est le côté positif du clan.»
Et bientôt se noue un lien plus personnel entre Sarkozy l’île. Il a pour nom Marie-Dominique Culioli, sa première épouse. Le député de Corse-du-Sud Camille de Rocca-Serra raconte avoir présenté cette nièce d’Achille Peretti au futur Président à l’occasion d’un dîner à Neuilly:
«Il avait découvert les Corses grâce à Achille Peretti, mais c’est avec elle qu’il va connaître physiquement la Corse.»
Charles Pasqua est témoin de ce mariage, dont naîtront Pierre et Jean Sarkozy, tous deux corses par leur mère. Nicolas Sarkozy montrera peu de reconnaissance à son parrain politique: à la mort d’Achille Peretti, en 1983, il s’empare par surprise du fauteuil de maire de Neuilly, convoité par l’ex-patron du SAC.
Sarkozy-Colonna, une affaire, deux familles
A cette époque, Nicolas Sarkozy prend l'habitude de se rendre dans la région d'origine de sa belle-famille, près de Sagone, village de la côte ouest de la Corse. On l’introduit auprès des notables du cru. «Nicolas Sarkozy a fait des efforts pour s’approcher au plus près de la culture corse, explique Jean-Marc Philibert, auteur d’une biographie de Jean Sarkozy, Le fils doré. Le président a eu une enfance un peu particulière, avec un père absent, peu de liens familiaux. Je le crois fasciné par le côté clanique de la société insulaire.»
Pour Antoine Albertini, journaliste spécialiste de l’île, «il retrouve en Corse une manière d’être qui lui convient parfaitement: l’exaltation des vertus viriles, de la volonté, et un certain déterminisme. La Corse est à la lisière de plusieurs mondes: la jet-set, les flics musclés, les politiques ambitieux et retors».
A quelques kilomètres de là, dans le village de Cargèse, est établie une autre famille: les Colonna. Presque des voisins, d’autant que la sœur d’Yvan est l’épouse d'André Géronimi, glacier-pâtissier à Sagone et ami de la famille Culioli. Nicolas Sarkozy l’accompagne à l'occasion lors de sa tournée. Y eut-il un jour un face-à-face entre le futur ministre de l'Intérieur et le futur ennemi public n°1? L’hypothèse est tout à fait imaginable.
Leurs fils respectifs, en tout cas, se sont rencontrés. Selon Jean-Marc Philibert, qui a recueilli des témoignages sur place, «Jean Sarkozy jouait au foot sur la plage avec le fils d’Yvan Colonna». Considéré comme un enfant du pays, l’adolescent a, comme son frère, effectué un stage de deux semaines chez un berger de la région. Jean-Marc Philibert raconte:
«Jean a un sentiment de “corsitude” assez développé. Il ne parle pas le corse mais le comprend, il a présenté sa femme là-bas. Toutefois, comme certains croyants, il est conscient mais pas très pratiquant.»
L’amour et le calcul
Ces liens avec l’île, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à les mettre en avant face aux élus locaux. «Lors de notre première rencontre après son élection, se rappelle Camille de Rocca-Serra, il m’a dit: “Tu sais, moi je connais la Corse, je ne suis pas comme ces ministres qui y passent trois ou quatre jours par an et qui prétendent y être chez eux. Moi, je connais chaque sentier d’Ajaccio à Cargèse.» Sur les affaires corses, il n’a parfois pas hésité à s’écarter de la ligne de son parti.
Ferme sur la violence, sa position est plus ouverte concernant les questions institutionnelles et culturelles. Ainsi, en 2002, alors que la majorité du RPR critique le processus de Matignon, lancé par le gouvernement Jospin, il reconnaît qu’il «n'arrive pas à concevoir un scénario plus crédible», et s’abstiendra lors du vote. Une ouverture visible également sur la question du rapprochement des prisonniers ou de la langue corse.
Au point de séduire les autonomistes, comme Jean-Christophe Angelini, leader du Partitu di a Nazione Corsa:
«Il a bien compris la Corse, notamment avec l’intéressant référendum de 2003. Je me souviens qu’il a dit “La Corse a vocation à avoir autant d’autonomie que la Sardaigne”.»
En février 2010, c’est avec un sourire entendu que le Président s’adresse à l’Assemblée de Corse:
«Vous n'avez pas besoin de discours vibrants sur l'amour que l'on a pour vous –que vous connaissez en ce qui me concerne.»
Bien plus qu’un simple déclaration de circonstance.
«Nicolas Sarkozy est à la fois fasciné par la Corse et s’en est beaucoup servi, explique Antoine Albertini. En fait, c’est le seul homme politique national qui a compris que la Corse pouvait être un véritable tremplin. Parce qu’elle connaît un problème de violence armée depuis 30 ans qu’il a presque éradiqué, elle lui a permis d’illustrer la volonté de fermeté de l’Etat.» Point d’orgue, l’arrestation, le 4 juillet 2003, d’Yvan Colonna après 4 ans de cavale.
Mettre la main sur l’homme le plus recherché du pays: sacrée ligne sur le palmarès du «premier flic de France» -qui, tout à son triomphe, en oublie presque la présomption d’innocence.
Des cailloux sur le sentier
Fort opportunément, cette arrestation survient deux jours avant une échéance sur laquelle le ministre s’est engagé personnellement: le référendum sur la réforme du statut de l’île. Las, le 6 juillet, c’est le «non» qui l’emporte par 50,98% des voix. Un échec douloureux:
«Ce fut une grande déception pour lui, un traumatisme au regard de l ‘engagement qui avait été le sien, raconte Camille de Rocca-Serra. Il s’était rendu une vingtaine de fois en Corse et nous [les parlementaires corses] recevait toutes les semaines place Beauvau... Il a mal vécu cet échec, s’est senti trahi par ceux-là mêmes auxquels il voulait apporter des réponses.»
Nicolas Sarkozy pourra toujours se consoler en 2007, lorsque, au second tour de la présidentielle, les électeurs corses lui accordent plus de 60% des bulletins. A l’Elysée, il s’entoure de plusieurs insulaires, tels Xavier Musca, aujourd’hui secrétaire général de la présidence, ou Olivier Biancarelli, désormais conseiller aux questions parlementaires et d’Outre-mer. Hélas pour le Président: aux régionales de 2010, l’île, l’une des deux seules régions encore tenues par la droite, bascule à gauche. Portant même un communiste, Dominique Bucchini, à la présidence de l’Assemblée territoriale. Entre la Corse et Nicolas Sarkozy, l’amour ne serait-il plus réciproque?
La zizanie
Le chef de l’Etat ne semble pourtant pas avoir renoncé à faire avancer le dossier des institutions insulaires. Pour preuve, l’intérêt porté au travail de la «commission Aïello»: un groupe d’experts chaperonné par le président de l’université de Corte, qui, après un an de travail, vient de rendre son rapport.
Celui-ci préconise notamment une autonomie élargie pour l’île, et la création d’une «citoyenneté culturelle» corse, ouvrant l’accès «exclusif» à la propriété sur l’île. Discrète observatrice de ces discussions: Marie-Hélène Debart, conseillère sur la Corse au ministère de l’Intérieur, ancienne collaboratrice de Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy pourrait-il suivre les conclusions du groupe? A voir. Un observateur des affaires corses en doute:
«A mon avis, c’est surtout un moyen de contrecarrer la poussée des nationalistes –et pourquoi pas semer la zizanie entre eux.»
Un coup digne d’un fin connaisseur des arcanes insulaires.
A défaut de grands changements, le président n’est pas avare de petits gestes. Été 2010: le Sporting Club de Bastia, club phare de l’île est menacé de relégation administrative en CFA (4° division). Il est sauvé in extremis par un avis contraire du Comité national olympique et sportif. Sur son site, le club publie alors une lettre dont l’auteur se «réjouit très sincèrement» de cette heureuse issue. Un courrier signé Nicolas Sarkozy.
Dominique Albertini
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